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Clifton, cependant, Clifton semblait préoccupé. Il allait ouvrir la bouche, quand retentit le klaxon du bord puis une voix hurla :

— On demande le capitaine au poste de pilotage. On demande le capitaine. Moins quatre minutes, j’ai dit moins quatre minutes.

— A vous de vous débrouiller, dit Dak : il faut que j’aille passer les vitesses, là-haut. Il ne reste que le jeune Epstein dans le poste.

Et il bondit dehors.

— Eh, capitaine ! cria Corpsman, et il partit sur les talons de Broadbent.

Clifton alla refermer la porte laissée ouverte par Corpsman, revint vers moi et, terriblement sérieux mais très calme, me demanda :

— Alors, vous vous sentez de force à risquer la conférence de presse ?

— A vous de dire. Moi je suis volontaire.

— Ouais, fit-il : eh bien, si ça vous va, je suis d’avis d’essayer. A condition, bien entendu, de faire poser les questions par écrit. Et que je vérifie les réponses que Bill aura données avant que vous les remettiez aux intéressés.

— Parfaitement. Et si vous pouviez vous arranger de telle manière que je puisse les regarder une dizaine de minutes avant la séance, je pense qu’il n’y aurait aucun risque. Vous savez, je travaille très vite.

— Je crois, Chef. D’accord. Dès la fin des cérémonies, nous nous arrangerons pour que Penny vous passe les réponses. Vous vous arrangerez bien pour vous glisser au lavabo. Et vous y resterez tout le temps qu’il faut.

— Je pense que ça doit coller comme ça.

— Oui ! je crois… Je dois dire que je me sens rassuré depuis que je vous ai vu. Puis-je faire encore quelque chose pour vous ?

— Non ! je ne crois pas, Rog, merci. Si. Au temps pour moi. Je voulais vous demander, que sait-on de neuf sur lui ?

— Eh bien, pas grand-chose, à vrai dire. Non ! vraiment. Il est toujours à Goddard-Ville. Ça nous le savons. Nous en sommes sûrs. On ne l’a pas emmené hors de Mars ou même en banlieue. Au cas où tel aurait été leur plan, ils ont dû y renoncer.

— Mais alors ? Goddard-Ville n’est pas un endroit important, n’est-ce pas ? Pas plus de cent mille habitants ? Qu’est-ce qui ne va pas ?

— Ce qui ne va pas, justement, c’est que nous ne voulons pas admettre officiellement que vous… je veux dire, lui, ait été kidnappé. Une fois terminée cette histoire d’Adoption, on peut très bien vous mettre à l’abri et annoncer alors que l’enlèvement vient de se produire. Et faire démonter la ville boulon par boulon. La municipalité appartient tout entière au Parti de l’humanité. Mais il faudra bien qu’ils marchent avec nous, mais après l’Adoption, pas avant. Et vous verrez s’ils s’y mettront de bon cœur, vous n’aurez jamais rien vu de pareil, tant ils seront mortellement inquiets de remettre la main sur lui avant que le Kkkahgral entier ne leur tombe dessus et qu’on leur fasse tomber la ville sur la tête.

— On n’a jamais fini d’en apprendre sur le compte des Martiens et de la psychologie.

— Nous en sommes tous là.

— Écoutez, Rog, mm… Qu’est-ce qui vous conduit à croire que… qu’il soit encore vivant ? Est-ce que leur but ne serait pas atteint s’ils le tuaient purement et simplement. (Je pensais à part moi qu’il était si facile de se débarrasser d’un corps pour peu qu’on fût suffisamment déterminé.)

— Je vois ce que vous voulez dire… Eh bien, là aussi il y a une notion martienne dont il faut tenir compte. Une notion de « convenance » (en martien dans le texte). Comprenez bien : la mort est la seule excuse qu’on puisse admettre en cas d’obligation non remplie. Si l’on ne se contentait de le tuer, purement et simplement, on se contenterait de l’adopter à titre posthume. Après quoi le Nid de Kkkahgral, suivi probablement de tous les autres Nids martiens, se mobiliserait pour le venger. Il leur serait indifférent, oh ! parfaitement indifférent de savoir que la race humaine en entier doive mourir. Mais la mort de cet être humain unique, mort organisée en vue de l’empêcher d’être adopté, ça, c’est une autre paire de manches. Question d’obligation et de convenances, de « bonnes manières » ! La réaction du Martien à des circonstances données est automatique. On croirait un instinct. Mais non, bien sûr ! ce n’est pas l’instinct. Ils sont si incroyablement intelligents. Ce qui ne les empêche pas de faire les choses les plus stupéfiantes.

Il plissa le front et ajouta :

— Je souhaiterais parfois n’avoir jamais quitté le Sussex.

Le klaxon nous fit regagner en hâte les pressoirs à cidre. Dak avait manœuvré avec beaucoup de finesse. La fusée-navette de Goddard-Ville attendait au moment où nous nous mîmes en chute libre. Transbordement qui nous fit nous retrouver tous les cinq sur la fusée navette. Cinq, cela faisait juste le compte des couchettes. Dak avait prévu la chose. Le commissaire-résident, en effet, ayant exprimé le désir d’être admis à me rencontrer, en avait été dissuadé par le message de Dak, où il lui était communiqué que ma suite et moi aurions besoin de tout l’espace disponible.

J’eus beau faire de mon mieux pour essayer de distinguer le paysage, à la descente, rien à faire ! Je ne pouvais pas ostensiblement admirer le paysage en touriste alors que j’étais censé le connaître parfaitement et le pilote de la navette ne tourna que pour l’atterrissage, et à ce moment, j’étais trop occupé à revêtir mon masque à oxygène.

Sacré masque du type martien ! Il a bien failli me faire renoncer. Je n’avais jamais essayé de le mettre jusqu’à ce moment-là. Dak n’y avait pas songé. Moi-même je n’avais pas prévu que la question se poserait. Il m’était arrivé de revêtir la tenue de plongeur spatial et l’hydropneu et je pensais que ce serait à peu près la même chose cette fois-ci. Il n’en était rien. Le modèle favori de Bonforte était un Mitsubushi « Vent du Sud », à « bouche libre », qui envoie la pression directement dans les narines et comporte une pince à nez, des olives nasales, deux tubes qui aboutissent derrière les oreilles au surtendeur pendu sur la nuque. Je dois avouer que c’est là une jolie réalisation technique puisqu’elle permet de continuer à parler, à manger et à boire, etc., tout en portant masque. A condition bien entendu, qu’on y soit habitué.

Personnellement, j’aime autant me faire introduire les deux mains d’un dentiste dans la bouche !

L’ennui avec ce genre de truc, c’est qu’il vous faut exercer un effort volontaire sur les muscles obturateurs de la bouche ou alors vous produisez un bruit de bouillotte restée sur le feu, en raison de la différence de pression qui intervient. Heureusement, le pilote de la navette rétablit la pression moyenne de Mars alors que nous avions tous chaussé le masque. Ce qui nous laissa vingt bonnes minutes pour nous y habituer. Mais pendant un fichu quart d’heure, j’avais bien cru que les lampions étaient soufflés. Tout ça à cause d’une stupide petite invention du Concours Lépine ! Mais je me souvins en temps utile que j’avais porté ce masque cent et mille fois auparavant et que par conséquent j’y étais habitué autant qu’homme au monde. Un peu plus tard, j’y croyais déjà.

Dak avait réussi à m’épargner l’heure de conversation avec le commissaire-résident. Mais il n’avait pu m’en dispenser tout à fait. Le commissaire-résident nous attendait au débarqué de la navette. L’horaire minuté empêcha d’autres contacts avec les hommes. Il me fallait gagner aussitôt la ville martienne. Incroyable mais vrai, j’allais me sentir plus en sécurité avec les Martiens qu’avec les hommes.

5

Monsieur le commissaire Boothroyd appartenait au Parti de l’humanité, ainsi que toute son administration, mis à part quelques techniciens de l’administration civile. Mais Dak m’avait assuré qu’il y avait soixante chances sur cent pour qu’il fût en dehors de toute cette affaire. Selon Dak, toujours, il était honnête mais stupide. Dak ainsi que Rog Clifton estimaient également que le ministre suprême Quiroga, n’y était pour rien non plus. Et qu’il fallait attribuer les responsabilités de la chose à la fraction clandestine de terroristes à l’intérieur du Parti de l’Humanité dont les membres s’étaient baptisés « les Actionnistes », et qui, toujours selon mes sources, se trouvaient à la solde de respectables hauts financiers à l’affût de gains très substantiels. Pour ma part, j’aurais été bien en peine de distinguer un « actionniste » d’avec un « actionnaire ».