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Nous avions dépassé les voitures qui descendaient, mais dans l’autre sens, en face de nous, venant vers nous, une voiture que j’avais vue sans y faire attention. Mais Dak veillait. Quand cette voiture fut plus rapprochée de la nôtre, Dak rabattit soudain la cloison qui nous séparait du chauffeur, il se jeta sur ledit chauffeur, lui entoura le cou d’un de ses bras, et saisit de l’autre, le volant. Nous dérapâmes sur la droite. Nous évitâmes d’un cheveu la collision avec l’autre voiture, filâmes sur la gauche et finîmes par rester sur la route. Nous l’avions échappé de peu. Et, à présent, le Canal longeait directement la route.

Quelques jours auparavant, je n’avais pas été capable d’aider vraiment Broadbent, mais je ne m’étais pas attendu aux ennuis et j’avais été désarmé. Aujourd’hui, je n’étais pas armé non plus. Pas même un petit croc empoisonné. Mais je me comportai un peu mieux. Dak avait fort à faire à essayer de conduire la voiture tout en se penchant en avant à partir de son strapontin. Le chauffeur d’abord surpris et bousculé, cherchait à présent à reprendre le volant.

Je fus sur lui, le pouce gauche enfoncé dans les côtes :

— Si tu bouges, lui dis-je, tu es un homme mort !

C’était la voix et la réplique du « Monsieur du Second étage ».

L’homme se tut et ne bougea plus.

— Rog, qu’est-ce qu’ils sont en train de faire ? demanda Broadbent.

Clifton regarda derrière lui :

— Ils sont en train de tourner.

— Bon. Eh bien, Chef, gardez votre arme sur cet individu pendant que je traverse.

Ce qu’il se mettait en devoir d’exécuter, et qui n’était pas commode vu la longueur de ses jambes et le peu de place qu’il y avait dans la voiture. Enfin il fut installé :

— Je ne pense pas qu’il existe un autre engin sur roues qui puisse rattraper une Rolls sur un parcours sans virages.

Il appuya sur la pédale et la voiture bondit.

— Ils viennent de tourner.

— Bon ! qu’est-ce qu’on fait du machin ? on le jette par la fenêtre ?

— Je n’ai rien fait, dit le chauffeur.

Mais je lui enfonçai le doigt un peu plus fort dans les côtes, et il ne parla plus.

— Tu n’as rien fait, lui répondit Dak sans quitter les yeux de la route : rien du tout ! Tu as seulement tenté de nous faire avoir un petit accident d’auto. Juste ce qu’il fallait pour que M. Bonforte rate son rendez-vous. Si je n’avais pas remarqué que tu ralentissais pour te sauver la peau, tu pouvais très bien réussir. Seulement tu n’as rien dans le ventre, n’est-ce pas ? (Et Dak prenait un virage dans le hurlement des pneus avec le gyroscope qui s’affolait à rétablir l’équilibre.) Alors, qu’est-ce qu’ils font, Rog ?

— Ils ont renoncé.

— Bon !

Mais Dak ne ralentissait pas pour autant. Nous devions dépasser les trois cents kilomètres à l’heure.

— Je me demande s’ils sont prêts à nous attaquer à la bombe avec un homme à eux dans la voiture ? Tu crois mon gars, qu’ils te rayeraient des cadres, comme ça ?

— Je ne sais pas de quoi vous voulez parler. Mais vous allez avoir des ennuis.

— Ah ! tu crois ça. La parole d’honneur de quatre personnes honorables contre celle d’un gibier de potence. Ou ne serais-tu pas un bagnard ? De toute manière, M. Bonforte préfère que ce soit moi qui le conduise. Si bien que tu t’es empressé de faire plaisir à M. Bonforte.

A ce moment précis, mon prisonnier et moi-même faillîmes traverser le plafond de la voiture. Nous venions de passer sur un obstacle gros comme un ver, posé en travers de la route, unie comme un miroir.

— Monsieur Bonforte ! cria le chauffeur, sur un ton d’injure.

— Vous savez, Chef, reprit Dak, quelques secondes plus tard : je ne suis pas d’avis de le jeter par la fenêtre. Je pense qu’il vaudrait mieux vous déposer. Puis le prendre lui et l’emmener dans un endroit tranquille. Je crois qu’il finirait par parler si on le lui demandait avec assez d’insistance.

Le chauffeur se débattit. Je resserrai les doigts autour de son cou et le refrappai de la jointure du pouce. Peut-être qu’un os ne donne pas tout à fait la même impression que la gueule d’une arme à feu, mais qui peut savoir au juste ?

Il se laissa aller et dit :

— Vous n’oserez pas me faire une piqûre.

— Seigneur, non ! s’écria Dak. Cela serait illégal… Penny, mon chou, est-ce que vous avez une épingle sur vous.

— Mais certainement, Dak, répondit-elle, et elle n’était pas effrayée alors que je l’étais, moi.

— Merci… Eh bien, mon gars, tu n’as certainement jamais eu d’épingle qu’on te poussait sous l’ongle. On assure que cela suffit à détruire l’effet d’un blocage hypnotique. Oui ! L’épingle sous l’ongle parle directement au subconscient. Il n’y a qu’un ennui, c’est que le malade fait des bruits désagréables. Ainsi donc, nous te conduirons sur le sable des dunes où nous ne dérangerons personne, excepté les scorpions. Et quand tu auras parlé, c’est là que vient le plus gentil ! Quand tu auras parlé, on te laissera partir. Tranquillement. On ne te fera rien. Tu pourras retourner en ville. Mais écoute-moi bien : si tu as fait preuve d’obéissance et d’esprit de coopération, on te fait une fleur : nous te laissons ton masque.

Dak se tut. On n’entendit plus que le bruit de l’air raréfié de Mars contre les parois de la voiture. L’être humain en bonne condition peut, sans masque à oxygène, parcourir une centaine de mètres sur cette planète. Je crois me rappeler le cas exceptionnel d’un humain ayant accompli, toujours sans masque, une course d’un demi-kilomètre avant d’expirer. Et Goddard-Ville se trouvait à vingt-trois kilomètres environ.

— C’est pas des blagues, commença notre prisonnier : je ne sais rien. On m’a payé seulement pour que je vous fasse écraser par l’autre voiture.

— Eh bien, essaie de te réveiller la mémoire, dit Dak en ralentissant. C’est ici que vous descendez, Chef ! Prends son arme, Rog, et remplace le Chef.

— D’ac, répondit Rog, et il enfonça à son tour le poing dans le dos du chauffeur. La voiture s’arrêta devant les portes monumentales.

— Vous disposez de quatre minutes, dit Dak, soulagé. Quelle bonne voiture. Je voudrais bien en avoir une comme ça. Rog, si tu voulais te pousser un peu et me faire de la place. (Rog se poussa. Dak frappa le chauffeur du coupant de la main sur le cou. L’homme devint flasque et s’effondra.) Voilà qui le fera se tenir tranquille le temps de vous préparer, Chef ! On ne peut pas se permettre de laisser-aller sous les yeux de ceux du Nid. Quelle heure est-il ? (Nous avions trois minutes trente secondes d’avance sur l’horaire.) Alors, Chef, je vous rappelle que vous avez encore trois minutes devant vous. Il vous faut faire votre entrée exactement au temps prévu. Ni plus tôt ni plus tard. A l’heure exacte.

— Vu ! fis-je.

— Vu ! fit Clifton.

— Par conséquent, trente secondes à peu près pour monter la rampe. Il reste trois minutes. Que voulez-vous faire pendant ces trois minutes, Chef ?

— Reprendre mon sang-froid, Dak.

— Votre sang-froid, vous l’avez. Vous ne vous êtes pas trompé d’un clin d’œil à la dernière répétition. Haut les cœurs, vieille branche ! Encore deux heures à faire et vous pourrez rentrer chez vous avec votre argent qui vous brûle les poches. C’est le sprint final.

— Oui ! je l’espère. Ça n’aura pas été sans mal. Dites-moi, Dak…

— Quoi donc ?

— Venez un peu plus près… Et qu’est-ce qui arrive si je fais une erreur… Là-dedans ?