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Heureusement que je n’avais rien mangé, car j’en avais la nausée. J’avais un peu étudié ce sujet. Cela me faisait horreur à un tel point que c’en était devenu une sorte de fascination. Pour moi, il y a quelque chose d’immoral et de dégradant à altérer l’intégrité de la personnalité d’un homme. L’assassinat, en comparaison, n’est qu’une peccadille. « Lavage de cerveau » est le terme qui nous vient des communistes et des temps d’obscurantisme. On avait d’abord appelé ainsi le traitement qui consistait à briser la volonté d’un patient par la torture. Pour y arriver, il fallait des mois parfois. On trouva donc une « meilleure » façon d’agir, permettant de transformer en esclave balbutiant, en quelques secondes seulement, n’importe quel homme normal. Il suffisait pour cela d’injecter un des dérivés de la cocaïne dans le lobe frontal.

Cette immonde pratique avait d’abord été mise au point à des fins légitimes pour tranquilliser les agités et permettre leur traitement au moyen de la psychothérapie. En tant que telle, c’était là un progrès puisque cela rendait la « lobotomie » inutile. La lobotomie  – ce terme paraît aussi anachronique que celui de « ceinture de chasteté » — est l’opération qui consiste à agir avec un bistouri sur le cerveau humain de façon à détruire la personnalité sans la tuer. Eh oui ! c’est ainsi qu’on faisait, tout comme on avait battu à mort pour chasser le démon.

Les « communistes » devaient perfectionner ce « lavage de cerveau » par les narcotiques, et en faire une technique efficace. Après les « communistes », les « frères » poursuivirent la même tâche jusqu’à ce qu’on pût administrer de la sorte des doses suffisamment légères pour rendre le patient simplement « réceptif aux instructions données », ou alors, au contraire, jusqu’à ce qu’il ne fût plus qu’une masse de protoplasme sans âme, tout cela au nom de la Fraternité. Après tout, pas de fraternité sans confiance. Pas de confiance là où il y a des secrets. Et existe-t-il une meilleure manière de vérifier si un individu donné est assez entêté pour vouloir garder quelque chose pour lui seul que de lui enfoncer une aiguille à côté de l’œil et de lui injecter un peu de « faire parler » liquide dans la cervelle ? N’est-ce pas, « on ne fait pas d’omelette sans casser d’œufs »… Sophisme de coquins !

On sait que cette façon de procéder a été déclarée illégale depuis très longtemps. Sauf pour des raisons de thérapeutique, et sur autorisation expresse d’un tribunal. Mais les criminels continuent à la pratiquer. Et les policiers ne sont pas toujours des anges. Et le lavage de cerveau fait parler, sans aucun doute. Et il ne laisse aucune trace. On réussit même à ordonner à la victime d’oublier ce qui lui a été fait.

Tout cela, je le savais. Tout cela, ou presque. Dak venait de me mettre au courant de ce qu’avait subi Bonforte. Je devais trouver le reste dans l’Encyclopédie batavia de la bibliothèque du bord. (V. articles Intégration psychique et Torture.)

Je secouai la tête, fis de mon mieux pour chasser ces cauchemars de mon esprit :

— Mais il va se rétablir, non ?

— Le docteur prétend que la drogue n’altère pas la structure du cerveau. Elle la paralyse simplement. Il faut donc attendre que la circulation du sang ait évacué la morphine. Seulement, ça prend du temps… Chef ! ajouta Dak.

— Je crois qu’il serait presque temps de laisser tomber toutes ces histoires de Chef, en ce qui me concerne. Puisqu’il est de retour.

— Justement, je voulais vous en parler. Est-ce que ça ne vous gênerait pas trop de continuer à doubler pendant une courte période supplémentaire ?

— Je ne comprends pas. Puisque nous sommes ici entre grandes personnes et que tout le monde est au courant.

— Ce n’est pas tout à fait vrai, Lorenzo. Nous avons réussi à ne pas mettre trop de monde au courant. Il y a vous, il y a moi, il y a le docteur, Rog, Bill et Penny, bien entendu, et un certain Langston. Il est sur terre et vous ne l’avez jamais vu. Il y a aussi Jimmy Washington, que je soupçonne de soupçonner quelque chose. Mais il est incapable de dire à sa propre mère l’heure véritable. Nous ignorons le nombre de ceux qui ont participé à l’enlèvement. Il ne doit pas y en avoir beaucoup. De toute manière, ils n’oseront pas parler. Et ce qui fait tout le charme de la plaisanterie, c’est qu’à présent, ils se trouvent dans l’impossibilité matérielle de prouver, au cas où ils voudraient le faire, que Bonforte ait jamais été absent. Il ne s’agit pas de ça… Ici, à bord du Tom-Paine, il y a l’équipage entier et aussi les passagers, qui sont dans l’ignorance. Ma vieille, il va falloir continuer pour eux. Il va falloir se montrer tous les jours aux gars de l’équipage et aux filles de Jimmy Washington, et ainsi de suite, pendant la convalescence du Chef. Hein ?

— Pourquoi pas ?… Et pendant combien de temps ?

— Le temps du retour. Mais cette fois rien ne presse et nous resterons à un petit G. Tu seras à ton aise.

— D’accord, Dak, et ne comptez pas ça dans mes appointements. Si j’accepte, c’est uniquement parce que je suis contre le lavage de cerveau.

Dak bondit en l’air, me donna un grand coup sur les omoplates :

— Lorenzo, vous êtes un type selon mon cœur. Ne vous occupez pas du fric, on ne vous oubliera pas, le jour de la distribution.

Puis il changea de manière :

— Parfait, Chef, dit-il. Je serai au rapport demain matin.

De fil en aiguille, que ne fait-on ?

Au retour de Dak, nous avions changé d’orbite, histoire d’en gagner une autre et de diminuer, ce faisant, les chances pour qu’une agence de presse envoie une navette et nous prenne en filature.

Toujours est-il que je m’éveillai « en chute libre ». Quand j’eus avalé une pilule, je pus me forcer à manger mon petit déjeuner. Penny arriva sur ces entrefaites :

— Bonjour, Penny… Quoi de neuf ?

— Pas grand-chose, Chef. Le capitaine vous présente ses compliments et vous demande si vous ne voulez pas avoir l’obligeance de passer dans sa cabine.

— Mais parfaitement.

Penny m’y suivit. Dak avait les talons crochés aux pieds de sa chaise. Rog et Bill, l’un et l’autre, étaient ligotés à leur couchette.

— Merci d’être venu jusqu’ici, dit Dak. Nous avons besoin d’aide, Chef !

— Bonjour. De quoi s’agit-il ? demandai-je.

Clifton me salua avec dignité et cérémonie, comme à son habitude. Corpsman se contenta de faire un signe. Dak poursuivit :

— Pour terminer en beauté, Chef, vous devez faire encore une apparition publique.

— Mais je croyais que…

— Minute… Les réseaux de la télé et de la stéréo attendaient un discours de vous, pour aujourd’hui. J’avais compris que Bill annulait le discours. Mais Bill a tout préparé et il a écrit le discours. La question se pose de savoir si vous voulez le prononcer, ce discours, Chef ?

(Le terrible quand on adopte un chat, c’est qu’il a toujours des chatons, aussi.)

— Et où ça se passerait ? A Goddard-Ville ?

— Pas du tout ! Ici à bord. Vous ne bougez pas de votre cabine. Nous transmettons à Phébus. Ils font l’enregistrement en direct à destination de Mars et la diffusion sur circuit haut à destination de la Nouvelle Batavia, d’où les réseaux de la Terre font leur repiquage en duplex, et d’où l’on relaie en différé à destination de Vénus, Ganymède et ainsi de suite. Quatre heures plus tard, le Système entier vous entend, et vous n’avez pas quitté votre cabine.