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— Allons, Jock, pour changer, si tu souriais un peu. Lorenzo, vous êtes d’accord pour ne pas parler.

— Voyons ! il s’agit d’une discussion entre hommes du monde, n’est-ce pas ?

— Que vous preniez l’emploi ou que vous ne le preniez pas.

— Que nous tombions d’accord ou que nous ne tombions pas d’accord. Mis de côté l’emploi des méthodes illégales d’interrogatoire, vous ne risquez rien.

— Cela, bien entendu. Nous ne demandons pas l’impossible. Je sais très bien ce que la néodexocaïne appliquée sur le cerveau antérieur…

Dubois revint à la charge :

— Dak, nous commettons une erreur. Nous devrions au moins…

— Allons, Jock, ferme-la. Je ne veux surtout pas qu’un hypnotiseur vienne fourrer son nez dans cette histoire. Non ! Voilà de quoi il s’agit, Lorenzo : nous aimerions que vous nous fassiez une imitation, un numéro d’imitation. Un numéro si réussi que PERSONNE (j’y insiste, PERSONNE) ne sache jamais qu’il aura eu lieu. Vous vous sentez capable de faire ça ?

Je fronçai les sourcils :

— Ne demandez pas si je peux le faire. Demandez plutôt si je veux le faire. Indiquez-moi les circonstances.

— Les détails, ce sera pour plus tard. En gros, il s’agit du travail ordinaire qui consiste à doubler un personnage public connu. A cette seule différence, qu’il faut que l’imitation soit si parfaite qu’elle devra tromper des personnes qui connaissent bien le modèle et qui viendront le regarder de très près. Pas seulement comme s’il suffisait d’assister à une revue du haut de la tribune ou d’épingler des médailles sur la poitrine de scoutesses.

Ici, Dak me regarda les yeux dans les yeux :

— Il faut pour cela un véritable artiste.

— Allons donc !

— Mais vous ne savez pas de quoi il s’agit. Si les scrupules vous embarrassent, je me permets de vous assurer que vous ne nuirez pas aux intérêts du principal intéressé. Ni à ceux de personne, du reste. C’est un travail qu’il faut absolument faire, un point c’est tout.

— Allons donc ! Rien à faire.

— Mais pour l’amour du Ciel, dites au moins pourquoi. Vous ne savez même pas ce que ça doit vous rapporter.

— Ce n’est pas une question d’argent. Je suis un acteur, pas une doublure.

— Là, je ne vous comprends pas. Il y a un tas d’acteurs qui se font un appoint en doublant des personnages connus.

— J’estime qu’au lieu de faire leur métier, ils le prostituent. Permettez… Est-ce qu’un écrivain a de l’estime pour celui qui fait le « nègre » ? Pourriez-vous respecter un peintre qui autoriserait un tiers à signer ses tableaux pour de l’argent ?… Mais peut-être ce point de vue vous est-il étranger, monsieur ? Pourtant, on peut traduire cela sur le plan de votre profession. Accepteriez-vous, uniquement pour de l’argent, de piloter, et que ce soit un autre – un autre qui ne possède pas votre savoir-faire – qui porte l’uniforme et qui ait droit à l’estime, et qu’on acclame publiquement en tant que capitaine ? Ça vous plairait ?

Dubois eut un grognement :

— Pour combien d’argent ? demanda-t-il.

Broadbent lui lança un regard :

— Je crois que je comprends votre point de vue.

— Bien sûr, monsieur, pour un artiste, c’est le renom qui vient en premier. L’argent, ce n’est que le moyen matériel qui lui permet de se réaliser dans son art.

— Bon… Alors, si je comprends bien, vous ne le ferez pas pour l’argent seulement. Est-ce que vous le feriez pour d’autres raisons ? Si vous étiez convaincu de la nécessité de la chose. Et que vous seul pouvez la réaliser ?

— C’est possible. Mais je ne connais pas les circonstances.

— Nous allons vous les expliquer.

Dubois sauta du divan :

— Écoute Dak, vraiment, tu ne veux pas, quand même…

— Suffit, Jock, il faut qu’il soit au courant.

— Il n’a pas besoin de savoir maintenant, et ici. Et tu n’as pas le droit de compromettre tout le monde en le lui disant… Tu ne sais rien de lui.

— C’est un risque calculé.

Et Broadbent se retourna vers moi :

— Les risques calculés au diable ! Dak, jusqu’ici, je ne t’ai jamais laissé tomber. Mais aujourd’hui, avant de te laisser te mettre la corde au cou, eh bien, l’un de nous deux sera en trop mauvais état pour ouvrir la bouche.

Broadbent eut un sourire impassible à l’adresse de Dubois :

— Tu te crois à la hauteur, Jock ?

Dubois leva la tête et ne cilla point. Broadbent avait la tête de plus. Il devait peser dix kilos de mieux. Et pour la première fois, je me mettais à prendre Dubois en sympathie. L’audace des jeunes chats, l’esprit combatif des petits coqs, ou la volonté d’un homme qui meurt sur place plutôt que de céder me vont toujours droit au cœur…

Peut-être que Broadbent n’allait pas le tuer. Mais de toute façon, il allait s’essuyer les pieds dessus.

Il n’était pas question d’intervenir.

Tout homme doit avoir le droit de choisir le moment et la manière de sa propre destruction.

Mais la tension montait.

Puis soudain Broadbent éclata de rire, frappa Dubois dans le dos :

— T’as gagné, Jock !

Et à moi :

— Est-ce que vous m’excuserez un instant ? Mon ami et moi devons lâcher un peu de vapeur.

Il y avait dans cet appartement, un « silencieux » comprenant le téléphone et l’appareil à messages. Broadbent se dirigea vers ce « silencieux » en tirant Dubois par le poignet. Et ils se concertèrent.

Il arrive que ce genre d’installations dans les lieux publics, comme les hôtels par exemple, ne réponde pas à tout ce qu’on serait en droit d’en exiger. Il arrivé que les ondes sonores ne soient pas totalement supprimées. Mais le Eisenhower était un hôtel de luxe. Et, du moins en cette minute, l’équipement fonctionnait parfaitement. Je voyais les deux hommes bouger des lèvres. Je n’entendais rien.

Pour voir les lèvres bouger, je les voyais.

Broadbent tendait son visage dans ma direction. Et j’apercevais celui de Dubois dans le miroir pendu au mur.

Au temps où je présentais mon célèbre numéro de magie, j’avais compris pourquoi mon père m’avait tapé dessus jusqu’à ce que j’eusse appris à lire sur les lèvres. Au cours de ce numéro de magie, en effet, je travaillais dans une salle fortement éclairée, et je chaussais des lunettes qui… Peu importe. Je comprends les paroles qu’on prononce rien qu’à voir le mouvement des lèvres.

Dubois disait :

— Espèce d’épouvantable cloche… Tu veux vraiment nous forcer à entasser des rochers en nombre incalculable sur Titan ? Ton prétentieux petit bonhomme est incapable de se taire…

Pour un peu, j’aurais raté la réponse de Broadbent. Prétentieux, prétentieux !

A part l’estimation froidement calculée de mon génie personnel, je me sais modeste.

Broadbent. — … Tant pis si le jeu est trafiqué. Il n’y en a pas d’autres en ville. Jock, écoute-moi, on ne peut utiliser personne d’autre.

Dubois. — Très bien, mais alors, il faut appeler le Dr Scortia, qu’il vienne l’hypnotiser, et qu’il lui fasse une piqûre de liqueur bienheureuse. Mais le mettre au courant avant qu’il soit préconditionné, pas question !

Broadbent. — Oh ! Scortia en personne m’a dit que nous ne pouvions pas compter sur l’hypnose et les drogues. Non ! pas pour le genre de démonstration qu’il doit fournir. Il nous faut sa coopération, sa coopération intelligente.