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— Qui êtes-vous donc, messieurs ? leur demanda Mr Spaulding, qui dirigeait la grange aux provisions. Quelqu’un vous a-t-il permis d’entrer ici ?

June Raub intervint :

— C’est moi qui ai invité cette délégation de Bolinas à faire le déplacement pour venir écouter avec nous. Leur récepteur ne fonctionne plus.

— Chut ! firent plusieurs voix, car de nouveau on entendait le satellite.

— … de toute façon, disait Dangerfield, je souffre surtout après avoir dormi et avant de manger. Cela semble disparaître pendant que je mange, ce qui me fait croire à un ulcère plutôt qu’à un trouble cardiaque. Par conséquent, s’il y a des médecins à l’écoute et s’ils ont accès à un émetteur, peut-être voudront-ils me lancer un appel et me communiquer leur opinion. Je peux leur fournir davantage de renseignements si cela doit les aider.

June Raub était plongée dans la stupeur en écoutant l’homme du satellite décrire avec force détails les symptômes qu’il éprouvait. Était-ce cela que Hoppy voulait dire ? Dangerfield était devenu hypocondriaque sans que personne ne s’aperçoive du changement, sauf Hoppy dont les sens étaient particulièrement aiguisés. Elle frissonna. Ce pauvre homme, là-haut, condamné à tourner sans cesse autour de la Terre jusqu’à ce qu’enfin, comme les Russes, il meure faute de nourriture ou d’air.

Et que deviendrons-nous alors ? se demanda-t-elle, sans Dangerfield… Comment continuer à vivre ?

8

Orion Stroud, Président du Conseil d’Administration de l’école de West Marin, remonta la flamme de la lanterne à essence Coleman de façon à bien éclairer la salle réservée de l’école et à mettre en pleine lumière le nouveau maître, pour les quatre autres membres.

— Je vais lui poser quelques questions, dit Stroud à ses collègues. D’abord, je vous le présente : Mr Barnes. Il vient de l’Oregon. Il se dit spécialisé dans les sciences et dans les comestibles naturels. C’est bien cela, Mr Barnes ?

Le nouvel instituteur, un homme de petite taille à l’air jeune, vêtu d’une chemise kaki et d’un pantalon de travail, s’éclaircit la gorge d’une toux nerveuse et répondit :

— Oui, je connais bien la chimie, les plantes et les animaux. Surtout ce qui se trouve dans les bois, par exemple les baies et les champignons.

— Nous avons de la malchance avec les champignons depuis quelque temps, dit Mrs Tallman, une dame d’âge mûr, déjà membre du Conseil dans les jours anciens avant le Cataclysme. Nous avions plutôt tendance à les laisser de côté. Mais nous avons perdu plusieurs personnes, qu’elles aient été trop gourmandes ou négligentes ou simplement ignorantes.

— Mais Mr Barnes n’est pas un ignorant, déclara Stroud. Il est allé à l’université de Davis et on lui a enseigné à distinguer les champignons vénéneux des autres. Il ne se vante pas et il ne procède pas au hasard, n’est-ce pas, Mr Barnes ?

Il regarda l’instituteur pour obtenir confirmation.

— Il existe des espèces nutritives sur lesquelles il n’y a pas à se tromper, dit Barnes. J’ai inspecté les champs et les bois de votre région et j’ai relevé quelques échantillons remarquables. Cela vous permettra d’améliorer votre régime sans courir de risques. Je connais même leurs noms en latin.

Le Conseil s’agita en murmurant. Cela les impressionne, constata Stroud, ce coup du latin.

— Pourquoi avez-vous quitté l’Oregon ? demanda sans ambages le Principal, George Keller.

Le nouveau maître lui fit face.

— La politique.

— La vôtre ou la leur ?

— La leur. Moi, je n’en ai pas. J’enseigne aux enfants à fabriquer de l’encre et du savon et à couper la queue des agneaux même si ceux-ci sont presque adultes. De plus, j’ai mes livres personnels. (Il en prit un dans le petit tas posé près de lui, pour montrer au Conseil qu’ils étaient en bon état :) Et je vais vous dire autre chose : vous avez dans cette partie de la Californie les moyens de faire du papier. Le saviez-vous ?

Mrs Tallman répondit :

— Nous le savions, Mr Barnes, mais nous ignorions comment nous y prendre. C’est une affaire d’écorces d’arbres, n’est-ce pas ?

Une expression de mystère, de dissimulation, apparut sur le visage de l’instituteur. Stroud savait que Mrs Tallman avait raison, mais le maître ne voulait pas qu’elle en apprenne davantage. Il tenait à garder ses connaissances pour lui seul tant que les administrateurs ne l’avaient pas embauché. Ses connaissances n’étaient pas encore disponibles ; il ne donnait rien pour rien. Ce qui bien sûr était normal. Stroud l’admettait et en avait d’autant plus de respect pour Barnes. Il fallait être idiot pour donner en toute gratuité.

Pour la première fois, le membre le plus récent du Conseil, Miss Costigan, prit la parole.

— Je… j’ai moi-même quelques notions sur les champignons, Mr Barnes. Quelle est la première chose à faire pour s’assurer qu’il ne s’agit pas d’une amanite mortelle ?

Elle scrutait l’instituteur, visiblement résolue à extraire de lui des données concrètes.

— La coupe de la mort, répliqua Mr Barnes. La volve qui se trouve en bas du pied. Les amanites l’ont, la plupart des autres espèces, non. Et le voile universel. Et généralement les amanites mortelles ont des spores blanches… et naturellement des lamelles blanches.

Il sourit à Miss Costigan qui lui rendit son sourire.

Mrs Tallman examinait la pile de bouquins du nouveau maître.

— Je vois que vous avez Les Types Psychologiques de Carl Jung. La psychologie fait-elle partie de votre bagage ? Ce serait splendide d’avoir dans notre école un maître qui non seulement connaisse les champignons comestibles, mais qui soit en outre une autorité sur Freud et Jung.

— Ces choses sont totalement sans valeur, dit Stroud d’un ton irrité. Il nous faut de la science utile et non du vent académique. (Il avait l’impression qu’on l’avait trompé. Mr Barnes ne lui avait pas parlé de cela, de son intérêt pour la théorie pure.) Ce n’est pas avec la psychologie qu’on fait les fosses septiques !

— Je pense que nous sommes prêts à passer au vote, intervint Miss Costigan. Pour ma part, je suis en faveur de l’admission de Mr Barnes, du moins à titre provisoire. Quelqu’un est-il d’avis opposé ?

Mrs Tallman s’adressa à Mr Barnes :

— Nous avons tué notre précédent instituteur, vous savez. C’est pourquoi il nous en faut un autre. C’est pourquoi nous avons envoyé Mr Stroud faire des recherches tout le long de la Côte, jusqu’à ce qu’il vous ait découvert.

Le visage impassible, Mr Barnes opina.

— Je le savais. Mais cela ne me fait pas peur.

— Il s’appelait Mr Austurias et il était très fort lui aussi en matière de champignons, poursuivit Mrs Tallman. Bien qu’il ne les ait jamais cueillis que pour son usage personnel. Il ne nous a jamais rien enseigné à leur sujet et nous comprenions ses raisons. Ce n’est pas pour cela que nous avons décidé de le supprimer. Nous l’avons tué parce qu’il nous avait menti. Comprenez : le véritable motif de sa venue ici n’avait rien à voir avec l’enseignement. Il recherchait un nommé Jack Tree, qui se trouvait vivre dans cette région. Notre Mrs Keller, membre respecté de la communauté et épouse de notre Principal, George Keller, est une amie dévouée de Mr Tree, aussi nous a-t-elle informés de la situation. Naturellement, nous avons agi officiellement, selon la loi, par l’intermédiaire de notre chef de la police, Mr Earl Colvig.

— Je vois, fit sèchement Mr Barnes, qui écoutait sans jamais interrompre.

Orion Stroud éleva la voix.

— Le jury qui l’a condamné et exécuté se composait de moi-même, de Cas Stone, le plus grand propriétaire terrien de West Marin, de Mrs Tallman et de Mrs June Raub. Je dis exécuté, mais vous comprenez que l’acte même… quand on l’a abattu, la fusillade proprement dite, a été le fait d’Earl. C’était le travail d’Earl, une fois que le jury officiel de West Marin avait prononcé sa sentence.