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Stuart acquiesça. Il sentait la profonde vérité de ce qu’affirmait l’amputé.

Bonny frappa à la porte de la petite cabane en bois et appela :

— Jack ? Vous êtes là ? (Elle secoua la poignée. Le battant n’était pas fermé à clé. Elle se tourna vers Mr Barnes :) Il est probablement dehors avec son troupeau. C’est la saison où les agneaux naissent et il a pas mal de difficultés. D’une part il y a des tas de phénomènes qui sont mis bas, et par ailleurs une quantité de petits ne peuvent sortir sans aide.

— Combien a-t-il de moutons ? s’enquit Barnes.

— Trois cents. Ils vivent dans les canyons à l’état sauvage, alors il est impossible d’en faire le compte exact. Vous n’avez tout de même pas peur des béliers, j’espère ?

— Non.

— Alors on va marcher un peu.

— Et c’est lui que l’ancien instituteur voulait tuer, dit Barnes alors qu’ils traversaient un champ tondu par les moutons pour gagner un petit escarpement couvert de sapins et de buissons.

Il remarqua que de nombreux arbustes avaient été broutés. Des branches dénudées indiquaient que bon nombre des moutons de Mr Tree étaient dans le voisinage.

— Oui, répondit la femme, qui avançait à grands pas, les mains aux poches. Mais je ne sais pas pourquoi. Jack n’est… qu’un éleveur de moutons. Je sais qu’il est illégal d’élever des moutons sur des terres arables… mais comme vous le voyez, il n’y aurait pas grand-chose à labourer dans ce secteur. Presque uniquement des ravins. Peut-être Mr Austurias était-il jaloux.

Mr Barnes songeait : je ne la crois pas. Mais cela ne l’intéressait que médiocrement. En tout cas, il était décidé à ne pas commettre la même erreur que son prédécesseur, quel que fût ce Mr Tree. Pour Barnes, c’était un être qui s’était incorporé au paysage, qui n’avait plus tous ses moyens, qui n’était plus tout à fait humain. Il ne s’en faisait pas une image rassurante.

— Je suis navré que Mr Gill n’ait pas pu nous accompagner, dit-il. (Il n’avait pas encore rencontré le fameux expert en tabac dont il avait déjà entendu parler avant de venir à West Marin.) Vous m’avez bien dit que vous avez un groupe musical ? Que vous jouez de divers instruments ?

Cela lui avait paru attrayant parce qu’il avait en un temps joué du violoncelle.

— Nous avons deux flûtistes, dit Bonny. Andrew Gill et Jack Tree. Moi, je tiens le piano. Nous jouons des compositeurs anciens comme Henry Purcell et Johann Pachelbel. Le Dr Stockstill se joint de temps en temps à nous, mais… (Elle s’interrompit, le sourcil froncé.) Il est si occupé ! Trop de bourgs à visiter. Il est vraiment trop épuisé, le soir.

— N’importe qui peut-il entrer dans le groupe ? demanda Barnes, avec un certain espoir.

— De quoi jouez-vous ? Je vous avertis que nous sommes sévèrement classiques. Ce n’est pas un simple amusement d’amateurs. George, Jack et moi nous jouions déjà avant le Cataclysme. Nous avons commencé… il y a neuf ans. Gill est venu après la catastrophe.

Elle sourit et Barnes constata qu’elle avait de bien jolies dents. Une quantité énorme de gens souffraient du manque de vitamines, des maux causés par la radioactivité et ils avaient perdu leurs dents, leurs gencives s’étaient ramollies. Il cachait de son mieux ses propres dents car elles étaient en mauvais état.

— J’ai joué autrefois du violoncelle, dit-il, sachant très bien que cela ne lui servirait plus de rien parce que – très simplement – il n’y avait plus de violoncelle nulle part. Si seulement il avait joué d’un cuivre ou d’un autre instrument métallique…

— Dommage, fit Bonny.

— Vous n’avez pas du tout d’instruments à cordes dans la région ?

Il était persuadé qu’en cas de nécessité il apprendrait bien à jouer de l’alto, par exemple. Il s’en ferait même une joie si c’était le moyen de se joindre à leur groupe.

— Pas un seul, confirma Bonny.

Un mouton apparut devant eux, un Suffolk à face noire. Il les regarda, pivota en bondissant et s’enfuit.

C’était une brebis, constata alors Barnes, une belle bête, beaucoup de viande et une laine superbe. Il se demanda si on l’avait jamais tondue.

Il avait l’eau à la bouche. Il n’avait pas mangé d’agneau depuis des années.

— Les abat-il ou n’est-ce que la laine ? demanda-t-il à Bonny.

— Pour la laine. Il a une phobie de l’abattage. Il s’y refuse quoi qu’on lui offre. Les gens lui volent de temps en temps une bête, bien sûr… et si vous désirez de l’agneau, c’est la seule façon de vous en procurer. Mais je vous avertis tout de suite : son troupeau est bien gardé.

Elle pointa l’index et Barnes vit un chien qui les observait du sommet d’une colline. Il reconnut aussitôt une mutation extrême, et utile, celle-là. La tête du chien exprimait l’intelligence. Mais sous une forme nouvelle.

— Je n’approcherai pas de ses moutons, dit Barnes. Il ne va pas nous attaquer ? Il vous reconnaît ?

— C’est pour cela que je vous ai accompagné. À cause du chien. Jack n’a que celui-là, mais c’est assez.

Le chien trottait maintenant dans leur direction.

En un temps ses ancêtres avaient dû appartenir à la famille bien connue des bergers allemands, gris ou noirs. Il reconnaissait les oreilles et le museau. Pour le moment, il attendait, un peu tendu, tandis que l’animal approchait. Naturellement Barnes avait en poche un couteau qui l’avait souvent protégé, mais dans le cas présent… cela n’aurait servi à rien. Il se tenait donc tout près de la femme qui avançait sans s’émouvoir.

— Bonjour, dit-elle au chien.

L’animal s’arrêta devant eux, ouvrit la gueule et grogna. Le son hideux qui en résulta fit frissonner Barnes. On eût dit un paralytique humain, une personne infirme qui eût tenté de faire fonctionner des cordes vocales inopérantes. Dans ce grognement il distingua – ou crut distinguer – un mot ou deux, mais il n’en était pas sûr. Cependant Bonny parut comprendre.

— Gentil, Terry, dit-elle. Merci, gentil Terry. (Le chien remua la queue. Elle se tourna vers Barnes :) Nous trouverons son maître à cinq cents mètres d’ici, par le sentier.

Elle repartit.

— Que disait le chien ? s’enquit-il quand ils furent hors de portée d’écoute de l’animal.

Bonny éclata de rire et il en fut irrité.

— Mon Dieu, dit-elle, il fait une évolution ascendante d’un million d’années… l’un des plus grands miracles de l’évolution animale… et vous ne comprenez pas ce qu’il dit ! (Elle s’essuya les yeux.) Pardonnez-moi, mais c’est vraiment trop drôle. Je suis heureuse que vous ne m’ayez pas demandé cela alors qu’il pouvait entendre.

— Cela ne m’impressionne pas, affirma-t-il, sur la défensive. Cela ne m’impressionne même pas du tout. Vous êtes restée perdue dans ce coin de campagne et cela vous paraît énorme, mais j’ai longé la Côte dans les deux sens et j’ai vu des choses qui vous feraient… (Un silence.) Ce chien, ce n’est rien. Rien par comparaison, bien qu’en soi j’admette que ce soit une prouesse.

Bonny lui prit le bras, sans cesser de rire.

— Oui, vous arrivez du dehors, du grand dehors. Vous avez tout vu. Vous avez raison. Qu’avez-vous vu, Barnes ? Vous savez, mon mari est votre patron et Orion Stroud est le sien. Pourquoi êtes-vous venu ici ? Est-ce si perdu ? Si rustique ? Je pense pour ma part que c’est un bon endroit pour y vivre ; nous avons une communauté stable. Mais, comme vous le dites, nous n’avons que peu de merveilles. Nous n’avons pas les miracles et les monstres des grandes villes où la radioactivité a été plus forte. Sauf que nous avons Hoppy.