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— Qu’y a-t-il ? demanda-t-il à Hoppy.

Il s’était placé devant la phocomobile qu’il maintenait ainsi à distance de la zone du travail. Ces locaux avaient été en un temps ceux de la boulangerie ; construits en ciment, ils avaient résisté au souffle des bombes et ils étaient pour lui l’endroit idéal. Naturellement il payait très mal ses employés, trop heureux d’avoir du boulot à n’importe quel salaire.

Hoppy bégaya :

— Cet… cet homme vient de Berkeley pour vous voir, Mr Gill. Il se dit dans les affaires. Exact ? fit-il en se tournant vers Stuart. C’est bien ce que vous m’avez dit ?

Le Noir tendit la main à Gill.

— Je représente la Compagnie des pièges homéostatiques Hardy, de Berkeley. Je suis venu vous soumettre une proposition sensationnelle qui pourrait tripler vos revenus dans les six mois.

Ses yeux sombres étincelaient. Il y eut un silence.

Gill réprima une envie de rire.

— Je vois, répondit-il, en hochant la tête et en fourrant les mains dans ses poches. (Il assuma un air de profond sérieux.) Très intéressant, Mr… ?

Il l’interrogeait du regard.

— Stuart McConchie, fit le Noir.

Ils échangèrent alors une poignée de main.

— Mon patron, Mr Hardy, m’a donné pouvoir de vous fournir la description détaillée d’une machine à cigarettes entièrement automatique. Nous savons bien que vos cigarettes sont roulées à l’ancienne manière, à la main. (Il désignait les ouvriers à l’œuvre dans le fond de la pièce.) Cette méthode est vieille de cent ans, Mr Gill. Vous avez atteint une qualité magnifique avec vos Gold Label Special…

— … et j’entends bien la maintenir, déclara Gill.

— Notre matériel électronique automatique ne sacrifiera nullement la qualité à la quantité. En fait…

— Un instant ! Je n’ai pas envie d’en discuter pour le moment, dit Gill.

Il regarda le phoco qui écoutait, non loin d’eux. L’infirme rougit et roula aussitôt pour s’éloigner.

— Je m’en vais, annonça-t-il. Tout cela ne me concerne pas. Au revoir.

Il franchit la porte de l’atelier et fila dans la rue. Les deux autres le suivirent des yeux jusqu’à ce qu’il eût disparu.

— C’est notre dépanneur, observa Gill.

McConchie allait faire une observation mais il se retint. Il toussota et s’écarta de quelques pas pour examiner les lieux et les employés.

— Une jolie petite affaire que vous avez là, Mr Gill. Je tiens à vous exprimer tout de suite combien j’admire votre produit qui est sans conteste le meilleur dans son domaine.

Sept ans que je n’avais entendu pareil laïus, songeait Gill. Difficile à croire qu’il y eût encore des types de ce genre dans un monde aussi modifié. Pourtant, chez cet homme, rien n’avait changé. Gill éprouvait un certain plaisir, cela lui rappelait des temps plus heureux, ce bagou de commis-voyageur. Il inclinait à l’amabilité.

— Je vous en remercie, dit-il, sincère.

Allons, le monde reprenait peut-être certaines formalités, civilités et coutumes qui avaient contribué à le façonner, avant. Ce discours de McConchie avait un son authentique, c’était une survivance et non une affectation ; cet homme avait réussi à conserver son point de vue, son enthousiasme, malgré tout ce qui était intervenu… Il pense, il cogite, il dresse ses plans, il parle… rien ne l’arrêtera, rien ne peut l’arrêter.

C’est tout simplement un bon vendeur, conclut Gill. Une guerre nucléaire et l’écroulement d’une société n’ont pas suffi à le décourager.

— Une tasse de café ? offrit Gill. Je m’accorde un quart d’heure de détente. Vous pourrez me donner plus de détails sur votre machine automatique.

— Du vrai café ? s’étonna McConchie, dont le masque d’aimable optimisme tomba un instant.

Il regardait Gill, bouche bée, avec une avidité à nu.

— Désolé, mais c’est un ersatz. Pas mauvais, toutefois. Je crois qu’il vous plaira. C’est meilleur que ce qu’on vous sert dans les baraques des villes sous le nom de café.

Il alla prendre un pot d’eau.

— Vraiment remarquable, votre installation, observa McConchie pendant que le café chauffait.

— Vous êtes bien aimable.

— Ma venue ici est la réalisation d’un rêve que j’entretenais depuis longtemps, poursuivit Stuart. Le voyage m’a pris une semaine. Et je l’envisageais depuis ma première Gold Label. C’est… (Il cherchait les mots qui exprimeraient le mieux sa pensée.) Une oasis de civilisation en notre époque de barbarie.

— Et que pensez-vous du pays en soi ? Un petit patelin comme le nôtre, comparé à la vie en ville… C’est très différent.

— Je viens d’arriver et je suis venu vous voir tout droit. Je n’ai pas eu le temps de me promener. Il manquait un fer à mon cheval et je l’ai laissé à la première écurie après avoir traversé le petit pont de fer.

— Oui. Je vois l’endroit. L’écurie appartient à Stroud. Son maréchal-ferrant vous fera du bon boulot.

— La vie semble beaucoup plus paisible, ici, fit McConchie. En ville, si on laisse son cheval… Tenez ! Il y a quelque temps, j’abandonne le mien pour traverser la Baie et quand je reviens, je m’aperçois qu’on l’a tué pour le manger. Ce sont de ces choses qui vous dégoûtent des villes et vous poussent à émigrer.

— Je sais, convint Gill. La vie est farouche en ville parce qu’il s’y trouve encore trop de pauvres et de sans-abri.

— Je l’aimais bien, ce cheval.

— Eh bien, à la campagne, c’est continuellement que les animaux meurent. Cela a toujours été une des contingences les plus désagréables de la vie rurale. Quand les bombes sont tombées, des milliers de bêtes ont été affreusement blessées dans notre coin. Des moutons, des vaches… mais évidemment cela ne saurait se comparer aux misères humaines de l’endroit où vous habitez. Vous avez dû en voir de toutes les couleurs, depuis le jour du Cataclysme ?

Le Noir approuva de la tête.

— J’en ai vu, et aussi toutes les fantaisies de la nature. Les phénomènes, aussi bien chez les animaux que chez les gens. Par exemple Hoppy…

— Il n’est pas originaire de la région. Il a rappliqué après la guerre en réponse à notre offre d’emploi pour un dépanneur. Moi non plus, je ne suis pas d’ici ; je traversais le patelin le jour de la première bombe et j’ai décidé d’y rester.

Le café était prêt. Ils se mirent à le déguster en silence, pendant un temps.

— Quel genre de pièges fabrique votre entreprise ? s’enquit bientôt Gill.

— Ils ne sont pas du modèle passif. Ils sont homéostatiques, c’est-à-dire qu’ils se donnent eux-mêmes des instructions. Par exemple si le piège poursuit un rat – ou un chat ou un chien – dans le réseau de tunnels que ces bêtes occupent sous Berkeley,… il s’attaque à un rat après l’autre, passant au suivant quand il en a tué un… jusqu’à ce qu’il soit à court de carburant ou que par hasard un rat réussisse à le détruire. Il y a des rats très intelligents – vous savez bien, des mutations plus avancées dans l’ordre de l’évolution – qui sont capables d’endommager un piège Hardy. Mais ils ne sont pas nombreux.

— Sensationnel, commenta Gill.

— Mais pour en revenir à la machine à cigarettes que nous envisageons…

— Mon ami, vous me plaisez… mais il y a un hic. Je n’ai ni argent pour payer votre machine ni rien à troquer en échange. Et je n’ai pas l’intention de prendre d’associés dans mon affaire. Alors que reste-t-il ? (Il sourit.) Je suis obligé de continuer le travail comme par le passé.