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Et Bill ? se demanda-t-il. Où est ce Bill, comme Edie l’appelle ? Rôde-t-il dans la maison, aux aguets quelque part ? Mal à l’aise, il s’écarta de la femme, sur le divan.

— Qu’y a-t-il ? Tu as entendu quelque chose ? fit Bonny, en alerte.

— Non, mais…

Il ébaucha un geste. Bonny le prit dans ses bras et l’attira sur elle.

— Mon Dieu, que tu es peureux ! la guerre ne t’a donc rien enseigné de la vie ?

— Elle m’a enseigné le prix de l’existence, et par conséquent à ne pas la gaspiller. Elle m’a enseigné la prudence.

Bonny poussa un grognement et se redressa. Elle remit ses vêtements en place, reboutonna son corsage. Comme cet homme était différent d’Andrew Gill qui faisait toujours l’amour avec elle à ciel ouvert, en plein jour, le long des routes bordées de chênes de West Marin, en des lieux où n’importe qui, n’importe quoi pouvait passer à tout instant. Il la prenait chaque fois tout comme à leur première rencontre… la culbutant tout de suite, sans bavardages, sans tremblements, sans récriminations… Je devrais peut-être retourner à lui, songeait-elle. Ou alors les plaquer tous, Barnes, George et ma cinglée de fille ; je devrais vivre ouvertement avec Gill, défier la collectivité et être heureuse pour changer !

— Eh bien, si nous ne faisons pas l’amour, dit-elle, descendons à Foresters’ Hall écouter le satellite.

— Tu parles sérieusement ? fit Barnes.

— Bien sûr.

Elle alla prendre son manteau dans le placard.

— Alors, tout ce que tu désires, c’est faire l’amour ? reprit-il lentement. C’est la seule chose qui t’intéresse dans nos rapports ?

— Et qu’est-ce qui t’intéresse ? Bavarder ?

Il la contempla avec mélancolie, mais ne répondit pas.

— Espèce de lope, dit-elle en secouant la tête. Pauvre petite lope ! Qu’es-tu venu faire à West Marin, en premier lieu ? Seulement instruire les petits enfants et te balader en cherchant des champignons ?

Elle débordait de rancœur.

— Mon expérience d’aujourd’hui dans la cour de l’école… commença-t-il.

— Ce n’était pas une expérience ! coupa-t-elle. Simplement ton sentiment de culpabilité qui t’a collé un choc en retour. Partons ; j’ai envie d’écouter Dangerfield. Au moins, lui, quand il bavarde, il est drôle !

Elle enfila son manteau, alla vivement à la porte et l’ouvrit.

— Tu ne crains rien pour Edie ? demanda Barnes quand ils furent dans l’allée.

— Bien sûr que non, répondit-elle, s’en fichant d’ailleurs éperdument pour l’instant. Puisse-t-elle brûler vive ! se dit-elle. L’air sombre, elle arpentait la route, les mains au fond des poches. Barnes suivait un peu en arrière, il avait du mal à rester à sa hauteur.

Deux silhouettes apparurent au virage. Elle s’immobilisa, saisie, pensant que l’un des hommes était George. Puis elle reconnut le plus petit, le plus trapu des deux : c’était Jack Tree… et l’autre… elle s’efforçait de le distinguer, ayant repris son pas normal comme si de rien n’était. C’était le Dr Stockstill.

— Viens ! lança-t-elle par-dessus son épaule, calmement, à Barnes. (Il se rapprocha d’un pas hésitant, pris d’une envie de faire demi-tour et de se sauver.) Bonsoir ! cria-t-elle à Stockstill et à Bluthgeld ; ou plutôt Jack Tree… il fallait à tout prix se rappeler que c’était son nom à présent. Que fabriquez-vous ? De la psychanalyse dans le noir ? Est-ce plus efficace ainsi ? Je ne serais pas surprise de l’apprendre.

Le souffle court, Tree dit, de sa voix rauque et râpeuse :

— Bonny, je l’ai revu. Le Noir qui a tout compris à mon sujet, le jour où la guerre a commencé, quand je me rendais au cabinet de Stockstill ! Vous vous rappelez, vous m’y aviez envoyé ?

Stockstill prit le ton de la plaisanterie :

— Ils se ressemblent tous, comme on dit. Et de toute façon…

— Non ! C’est le même homme. Il m’a suivi jusqu’ici. Savez-vous ce que cela signifie ? (Il regardait successivement Bonny, Stockstill et Barnes, les yeux écarquillés, pleins de terreur.) Cela signifie que tout va recommencer.

— Qu’est-ce qui va recommencer ? fit Bonny.

— La guerre, répondit Tree. Parce que c’est déjà pour cela qu’elle a commencé la dernière fois ; le nègre m’a aperçu et il a compris ce que j’avais fait, il savait qui j’étais et il le sait toujours. Dès qu’il m’aura vu… (Il s’arrêta, pris de toux et de râles tant il souffrait.) Je vous demande pardon, murmura-t-il.

Bonny dit à Stockstill :

— Il y a un Noir dans le pays, c’est exact. Je l’ai vu. Il paraît qu’il est venu voir Gill pour organiser la vente de ses cigarettes.

— Ce n’est sûrement pas le même ! dit Stockstill.

Il s’écarta un peu avec elle, leur conversation devint privée.

— Bien sûr que si, répondit Bonny. Mais c’est sans importance, car cela fait partie de ses illusions. Je l’ai entendu débiter cette histoire je ne sais combien de fois. Il y avait un nègre qui balayait le trottoir et qui l’a vu entrer dans votre cabinet, et ce même jour, la guerre s’est déclenchée, alors dans son esprit, il y a une relation de cause à effet. Et maintenant, il va se désagréger complètement, ne pensez-vous pas ?

Elle se sentait résignée ; elle s’y était attendue… un jour ou l’autre. Ainsi la période de stabilité dans le dérèglement touche à sa fin. Peut-être pour nous tous, songeait-elle. Tout le monde, tout simplement. Nous ne pouvions continuer ainsi indéfiniment, Bluthgeld avec ses moutons, moi avec George… Elle poussa un soupir.

— Qu’en pensez-vous ?

— Je regrette de ne pas avoir de Stélazine, mais la Stélazine a cessé d’exister au jour C. Cela l’aurait soulagé. Moi, je ne peux plus, j’ai abandonné ; vous le savez, Bonny.

Il paraissait également résigné.

— Il va le dire à tout le monde, reprit-elle en surveillant Bluthgeld qui répétait à Barnes ce qu’il venait de leur dire à tous les trois. Ils sauront qui il est et ils le tueront comme il le craint. Il a raison.

— Je ne peux pas l’en empêcher, fit doucement Stockstill.

— Et vous ne vous en souciez pas tellement.

Il haussa les épaules.

Bonny rejoignit Bluthgeld et lui dit :

— Écoutez, Jack, allons tous ensemble chez Gill voir ce Noir. Je vous parie qu’il ne vous a même pas remarqué ce jour-là. On parie ? Moi, je vous offre vingt cents en argent !

— Pourquoi prétendez-vous avoir causé la guerre ? demanda Barnes. (Il se tourna vers Bonny, l’air intrigué.) Qu’est-ce que c’est ? Une psychose causée par la guerre ? Et il prétend que la guerre va reprendre. (Il s’adressa de nouveau à Bluthgeld.) Ce n’est pas possible que cela se reproduise ; j’ai cinquante bonnes raisons à vous avancer. Tout d’abord, il ne reste pas une seule arme à hydrogène. Ensuite…

Bonny lui mit la main sur l’épaule.

— Taisez-vous. (Elle fit face à Bruno Bluthgeld.) Descendons tous ensemble écouter le satellite. D’accord ?

— Qu’est-ce que c’est, le satellite ? fit Bluthgeld.

— Grands dieux ! s’écria Barnes. Il ne sait même pas de quoi vous lui parlez ! C’est un malade mental ! (Puis il dit à Stockstill :) Voyons, docteur, la schizophrénie, c’est bien quand une personne perd trace de toute culture et de toutes valeurs ? Eh bien, cet homme a perdu les pédales ! Écoutez-le.

— Je l’entends, fit Stockstill, lointain.

Bonny lui dit :

— Docteur, Jack Tree m’est très cher. Il a été comme un père pour moi, autrefois. Au nom du ciel, faites quelque chose pour lui. Je ne peux pas supporter de le voir dans cet état. Je ne le supporte pas !