Quel soulagement ! Merci, mon Dieu !
Maintenant, il faut absolument que cela se déclenche à nouveau, se disait Bruno Bluthgeld. La guerre. Parce que je n’ai pas le choix ; on m’y force. Je le regrette pour la population. Tous devront souffrir, mais peut-être ainsi seront-ils rachetés. Peut-être qu’en définitive c’est une bonne chose.
Il s’assit, joignit les mains et entreprit l’effort de rassembler ses pouvoirs. Croissez, grandissez, exhortait-il les forces placées sous son commandement partout dans le monde. Unissez-vous et activez-vous comme dans le passé. On a de nouveau besoin de vous, de toutes les énergies !
Cependant, la voix sortant du haut-parleur le dérangeait, le gênait dans sa concentration. Il s’interrompit. Il ne faut pas me laisser distraire. C’est contraire au Plan. Qui est celui qui parle ? Ils l’écoutent tous… serait-ce qu’il leur donne ses instructions ? Est-ce cela ?
Il s’adressa à son voisin :
— Qui est cet homme que nous écoutons ?
L’homme, d’un certain âge, se tourna, courroucé, pour l’examiner.
— Mais c’est Walt Dangerfield, fit-il, stupéfait.
— Je n’en ai jamais entendu parler, observa Bruno. Parce qu’il ne l’avait pas voulu. D’où parle-t-il ?
— Du satellite ! répondit l’autre d’un ton méprisant, et il reporta son attention sur le poste.
Je me rappelle, songeait Bruno. C’est pour cela que nous sommes venus : pour écouter le satellite. L’homme qui parle d’en haut.
Soyez détruit ! lança-t-il en pensée vers le ciel. Taisez-vous parce que vous me tourmentez exprès, vous entravez mon œuvre. Il attendit, mais la voix continua.
— Pourquoi ne s’arrête-t-il pas ? demanda-t-il à son autre voisin. Comment peut-il continuer ?
L’homme, un peu étonné, chercha des précisions :
— Vous voulez dire avec sa maladie ? Mais il a enregistré ceci il y a longtemps, avant de tomber malade.
— Malade, répéta Bruno. Je vois.
Il avait rendu malade l’homme du satellite, et c’était déjà un résultat, mais insuffisant. Ce n’était qu’un début. Soyez mort ! ordonna-t-il au ciel et au satellite. Néanmoins la voix parlait sans interruption.
Auriez-vous dressé un écran protecteur contre moi ? monologuait intérieurement Bruno. Vous l’aurait-on fourni ? Je vais le pulvériser ; de toute évidence il y a longtemps que vous êtes prêt à repousser l’attaque, mais cela ne vous servira de rien.
Que soit un engin à hydrogène ! invoqua-t-il. Qu’il explose assez près du satellite de cet homme pour briser sa résistance. Puis qu’il meure en sachant bien à qui il s’est opposé. Bruno Bluthgeld s’absorba, les mains crispées, aspirant la puissance au fond de son esprit.
Et pourtant la lecture se poursuivait.
Vous êtes très fort, reconnut Bruno. Il était obligé d’admirer cet homme. En fait, il ébaucha un sourire en y pensant. Et maintenant, que toute une série d’engins nucléaires explosent ! Que son satellite soit ballotté en tous sens. Qu’il découvre la vérité !
La voix se tut dans le haut-parleur.
Eh bien, ce n’est pas trop tôt, se dit Bruno. Il se décontracta ; il soupira, croisa les jambes, se lissa les cheveux, et lança un coup d’œil à son voisin de gauche.
— C’est fini, observa Bruno.
— Ouais. Mais à présent, il va nous donner les nouvelles, s’il se sent assez bien.
Sidéré, Bruno objecta :
— Mais il est mort, maintenant.
L’homme, surpris, protesta :
— Il ne peut pas être mort ; je ne le crois pas. Fichez-moi la paix ! Vous êtes givré !
— C’est la vérité. Son satellite est totalement détruit et il n’en reste rien.
Ce type ne le savait-il donc pas ? Le monde n’en était-il pas encore informé ?
— Bon Dieu ! reprit l’autre, je ne sais pas qui vous êtes ni pourquoi vous racontez de pareils bobards, mais pour sûr, vous n’êtes pas rigolo ! Attendez une seconde et vous allez l’entendre. Je vous parie même cinq cents en métal !
La radio restait silencieuse. Dans la salle, les gens bougeaient, murmuraient, avec inquiétude, avec crainte.
Oui, c’était commencé, se répétait Bruno. D’abord les explosions à grande altitude, comme avant. Et bientôt… vous serez tous servis ! Le monde lui-même sera nettoyé, comme avant, pour bloquer la progression régulière de la cruauté et de la vindicte ; il faut l’arrêter avant qu’il soit trop tard. Il regarda dans la direction du Noir et sourit. Le nègre feignait de ne pas le voir, d’être en conversation sérieuse avec son voisin.
Tu es au courant, songea Bruno. Je le vois bien ; tu ne peux pas me donner le change. Toi, plus que tout autre, tu sais ce qui commence à se réaliser.
Il y a quelque chose qui ne va pas, songeait le Dr Stockstill. Pourquoi Dangerfield ne continue-t-il pas ? A-t-il eu une embolie ou une crise du même ordre ?
Puis il remarqua le sourire torve et triomphal sur le visage édenté de Bruno Bluthgeld. Aussitôt le médecin comprit : il s’en attribue le crédit, en pensée. Folie paranoïaque de la toute-puissance ; tout ce qui se passe, il en est la cause. Écœuré, il se détourna et déplaça sa chaise de façon à ne plus voir Bluthgeld.
Il porta son attention sur le jeune Noir. Oui, c’était probablement le vendeur de télévision qui ouvrait la boutique en face de mon cabinet, à Berkeley, autrefois. Je crois que je vais aller m’en assurer.
Il se leva et s’approcha d’Andrew Gill et de son compagnon.
— Je vous demande pardon, dit-il en se penchant, mais n’habitiez-vous pas Berkeley, avant la guerre ? Ne vendiez-vous pas des récepteurs de télévision dans Shattuck Avenue ?
Le Noir dit :
— Docteur Stockstill ! (Ils échangèrent une poignée de main.) Que le monde est petit !
— Qu’est-il arrivé à Dangerfield ? s’inquiéta Andrew Gill.
Maintenant, June Raub tripotait les boutons de l’appareil ; d’autres se rassemblèrent autour d’elle, lui donnant des conseils et discutant entre eux avec gravité.
— Je crois que c’est la fin. Qu’en pensez-vous, docteur ?
— Je pense que si c’est vrai, c’est une véritable tragédie.
Au fond de la pièce, Bruno Bluthgeld se leva et déclara d’une voix forte, un peu rauque :
— La destruction de l’existence a commencé. Tous les gens ici présents seront épargnés par faveur spéciale, juste le temps de confesser leurs péchés et de se repentir s’ils sont sincères.
Le silence s’établit. Les gens, un à un, se tournèrent vers lui.
— Vous avez un prédicateur, ici ? demanda le Noir à Stockstill.
Celui-ci répondit rapidement, mais à Gill :
— C’est un malade, Andy. Il faut l’emmener d’ici. Donnez-moi un coup de main.
— Bien sûr, accepta Gill, qui le suivit.
Ils se dirigèrent vers Bluthgeld, toujours debout.
— Les bombes à grande altitude que j’ai fait exploser en 1972, poursuivait Bluthgeld, trouvent leur justification dans l’acte actuel, sanctionné par Dieu lui-même dans Sa sagesse pour le bien du monde. Voyez le Livre des Révélations pour vérification. (Il observait l’avance de Stockstill et de Gill.) Vous êtes-vous purifiés ? leur demanda-t-il. Êtes-vous préparés au Jugement qui vient ?
Tout à coup, une voix familière sortit du haut-parleur. Elle était étouffée et chevrotante, mais ils la reconnurent tous.
— Navré de cette interruption, mes amis, dit Dangerfield, mais j’ai eu un fichu étourdissement pendant un moment ; j’ai été obligé de m’allonger et je ne me suis pas aperçu que la bobine était au bout. En tout cas (il émit son rire habituel) me voici de retour, au moins pour un temps. Voyons, où en étais-je ? Quelqu’un s’en souvient-il ? Attendez ! J’ai un voyant rouge qui s’allume. On m’appelle d’en bas. Ne quittez pas l’écoute.