— Qu’est-ce que c’est, les Nouvelles et Points de Vue ? protesta Bill, angoissé. Je ne comprends rien à ce qui se passe. Tu ne pourrais pas m’expliquer ? S’il te plaît ?
— Il faut rentrer au bourg, maintenant, répondit Edie.
Elle partit lentement, laissant le chien accroupi auprès des restes de Mr Tree. J’imagine que c’est tant mieux que tu n’aies pas effectué le changement, songeait-elle, parce que si tu avais été dans Mr Tree, tu serais mort.
Et c’est lui qui vivrait en moi. Tant que je n’aurais pas mangé les feuilles de laurier-rose. Et peut-être qu’il aurait trouvé le moyen de m’en empêcher. Il avait une drôle de puissance ; il déclenchait des explosions. Il aurait pu le faire dans mon ventre !
— On pourrait essayer avec quelqu’un d’autre ? (Bill reprenait espoir.) Non ? Veux-tu qu’on essaie avec ce… comment l’appelles-tu, déjà ? Ce chien ? Je crois que j’aimerais bien être dans le chien. Il court vite, il attrape des bêtes et il voit loin, n’est-ce pas ?
— Pas tout de suite ! fit-elle, encore effrayée et pressée de se sauver. Une autre fois. Tu n’as qu’à attendre.
Alors elle prit sa course par le sentier qui menait au bourg.
14
Orion Stroud, siégeant au centre de Foresters’ Hall afin que tout le monde l’entende clairement, frappa sur la table pour réclamer le silence.
— Mrs Keller et le docteur Stockstill, commença-t-il, ont demandé que le Jury officiel de West Marin et le Conseil des citoyens se réunissent pour apprendre des nouvelles d’importance au sujet d’un meurtre qui a eu lieu aujourd’hui même.
Il y avait autour de lui Mrs Tallman, Cas Stone, Fred Quinn, Mrs Lully, Andrew Gill, Earl Colvig et Miss Costigan. Il les regarda tous, tour à tour, pour s’assurer que tout son monde était présent. Ils lui accordaient une attention profonde, conscients que l’affaire était des plus sérieuses. Rien de semblable n’était encore arrivé dans la communauté. Ce meurtre ne ressemblait pas à celui de l’homme aux lunettes, ni à l’exécution de Mr Austurias.
— J’apprends, dit Stroud, qu’on a découvert que ce Mr Tree, qui vivait parmi nous…
De la salle, une voix lança :
… était Bluthgeld.
— Exact. Mais il est mort à présent, en conséquence cela ne doit plus vous tourmenter ; enfoncez-vous bien cela dans la tête. Et c’est Hoppy qui a fait le coup… Pardon, qui en est la cause ! (Il lança un coup d’œil à Paul Dietz pour s’excuser.) Il faut que je soigne mon langage, dit-il, parce que tout ceci sera publié dans les Nouvelles et Points de Vue… n’est-ce pas, Paul ?
— En édition spéciale, acquiesça le journaliste.
— J’espère que vous comprenez bien que nous ne sommes pas ici pour décider si Hoppy doit ou non être puni de son acte. Cela ne pose pas de problème car Bluthgeld était un criminel de guerre notoire et en outre il usait de ses pouvoirs magiques pour recommencer en partie l’ancienne guerre. Je pense que vous êtes tous au courant, que vous avez tous vu les explosions. Mais… (Il se tourna vers Gill.)… nous avons parmi nous un nouveau venu, un Noir du nom de Stuart McConchie, et je dois reconnaître qu’en temps ordinaire nous n’accueillons pas avec faveur les gens de couleur à West Marin ; toutefois, je suis informé que McConchie était sur la piste de Bluthgeld, par conséquent il lui sera permis de s’installer à West Marin s’il le souhaite.
Un murmure approbateur s’éleva de l’assistance.
— Nous sommes ici avant tout, poursuivit Stroud, pour voter la récompense que nous devons à Hoppy. Nous aurions sans doute tous fini par être tués, en raison de la puissance magique de Bluthgeld. Nous avons donc envers Hoppy une véritable dette de gratitude. Je m’aperçois qu’il n’est pas ici, parce qu’il travaille dans sa maison, qu’il répare des objets ; après tout, c’est notre dépanneur général, ce qui est déjà une lourde responsabilité. De toute façon, l’un d’entre vous aurait-il une idée de ce que nous pourrions faire pour exprimer à Hoppy notre reconnaissance d’avoir supprimé en temps opportun le docteur Bluthgeld ?
Il promena les yeux sur la foule.
Andrew Gill se leva et s’éclaircit la gorge.
— J’estime justifié de prononcer à mon tour quelques paroles, dit-il. Tout d’abord, je tiens à remercier Mr Stroud et la communauté de leur bon accueil à mon nouvel associé en affaires, Mr McConchie. En outre, je voudrais offrir une récompense appropriée – peut-être – au grand service que Hoppy a rendu à notre collectivité comme au monde entier. J’aimerais contribuer pour ma part en donnant cent cigarettes Gold Label Spécial… (Il s’interrompit, sur le point de se rasseoir, puis ajouta :)… et une caisse de Gill’s cinq étoiles.
La salle applaudit, siffla, frappa des pieds pour manifester son approbation.
— Eh bien, voilà une belle et bonne contribution, dit Stroud, souriant. Je vois que Mr Gill se rend parfaitement compte de ce que l’acte de Hoppy nous a épargné à tous. Il y a bon nombre de chênes abattus le long de la route de Bear Valley Ranch, par le souffle des explosions que déchaînait Bluthgeld. De plus, vous le savez peut-être, il allait porter ses destructions au sud, vers San Francisco…
— C’est exact, intervint Bonny Keller.
— Donc, reprit Stroud, les gens de là-bas voudront peut-être faire leur part et offrir quelque chose à Hoppy en symbole de leur reconnaissance. Mais pour nous, le mieux que nous puissions faire, et j’aimerais que nous ayons davantage à lui apporter, c’est de lui remettre les cent cigarettes et la caisse de cognac de Mr Gill… Hoppy appréciera ce cadeau à sa juste valeur. Cependant, je pensais plutôt à un monument commémoratif, une statue, un parc à son nom, ou à la rigueur une simple plaque. Et… je suis prêt à fournir le terrain, de même que Cas Stone, j’en suis sûr.
— D’accord, déclara Cas Stone avec emphase.
— Quelqu’un d’autre a-t-il une idée ? s’enquit Stroud. Vous, Mrs Tallman ? J’aimerais connaître votre avis.
Mrs Tallman répondit :
— Il conviendrait d’élire Mr Harrington à une fonction publique honorifique, par exemple la Présidence du Conseil des citoyens de West Marin, ou le secrétariat du Bureau administratif de l’école. Ceci, bien entendu, en sus du parc ou du monument et des cigarettes et cognac.
— Bonne idée, convint Stroud. Alors ? C’est tout ? Parce qu’en termes concrets, mes amis, Hoppy nous a ni plus ni moins sauvé la vie. Ce Bluthgeld avait perdu la tête comme le savent tous ceux qui étaient à la lecture hier soir… il nous aurait ramenés à sept ans en arrière et tout notre labeur de reconstruction aurait été en vain. Il ne serait rien resté du tout.
L’assistance manifesta de nouveau son assentiment.
— Quand on dispose de telles forces magiques, dit Stroud, et qu’on est un physicien aussi savant que Bluthgeld… Le monde n’a jamais auparavant couru pareil danger. Ai-je raison ? C’est pure chance que Hoppy puisse déplacer les objets à distance et qu’il s’y soit exercé depuis des années, car rien d’autre n’aurait pu ainsi frapper de loin et anéantir Bluthgeld.
Fred Quinn prit la parole :
— J’ai parlé à Edie Keller qui en a été témoin, et elle m’a raconté que Bluthgeld a été littéralement projeté en l’air avant que Hoppy l’écrase ; bousculé en tous sens.
— Je sais, dit Stroud. J’ai questionné Edie à ce sujet. (Il regarda l’assistance.) Si quelqu’un désire plus de détails, je suis sûr qu’Edie les fournira. D’accord, Mrs Keller ?
Bonny, assise toute raide, le visage livide, acquiesça.
— Vous êtes toujours effrayée, Bonny ? s’enquit Stroud.