— C’était épouvantable, répondit-elle d’un ton calme.
— Certes, mais Hoppy l’a eu, fit Stroud. (Et cela, songeait-il, fait de Hoppy quelqu’un de plutôt formidable, hein ? Peut-être que c’est à cela que pense Bonny. C’est sans doute pour cela qu’elle ne parle pas.)
— Je crois que le mieux à faire, proposa Cas Stone, c’est d’aller trouver directement Hoppy et de lui dire : « Hoppy, que désirez-vous que nous fassions pour vous prouver notre reconnaissance ? » Dans la limite de nos moyens. Nous lui poserons la question. Peut-être qu’il a un désir quelconque que nous ne soupçonnons pas.
Oui, se dit Stroud. C’est intéressant, Cas. Il veut peut-être des tas de choses que nous ignorons, et peut-être qu’un jour – pas très lointain – il va se mettre en tête de se les procurer. Que nous désignions ou non une délégation chargée de s’en enquérir.
— Bonny, dit-il, j’aimerais que vous preniez la parole ; vous êtes tellement silencieuse.
Elle murmura :
— Simple fatigue.
— Saviez-vous que Jack Tree n’était autre que Bluthgeld ?
Elle acquiesça de la tête.
— Serait-ce donc vous qui en avez informé Hoppy ?
— Non. J’en avais l’intention ; j’étais même en route. Mais c’était déjà arrivé. Il était au courant.
Je me demande par quel moyen, songeait Stroud.
— Ce Hoppy, dit Mrs Lully, d’une voix tremblante, il paraît capable de n’importe quoi… il est même plus puissant que ne l’était le docteur Bluthgeld, c’est évident.
— Exact, convint Stroud.
De l’assistance s’éleva un murmure d’appréhension.
— Mais il a mis toutes ses capacités au service de la communauté, observa Andrew Gill. Ne l’oubliez pas. Rappelez-vous aussi que c’est notre dépanneur, qu’il nous aide à capter l’émission de Dangerfield quand elle est trop faible, qu’il nous distrait par ses tours et ses imitations quand nous n’entendons pas du tout le satellite… Il a déjà fait un tas de choses, y compris nous épargner un nouvel holocauste. Pour ma part, je conclus donc : Dieu bénisse Hoppy et ses talents. Je pense que nous devrions remercier Dieu de nous avoir envoyé une personne comme lui.
— D’accord, fit Cas Stone.
— J’en conviens, déclara Stroud, circonspect. Mais j’estime que nous devrions faire comprendre à Hoppy que désormais… (Il hésitait.) Nos exécutions devraient se dérouler comme pour Austurias, légalement, sur décision du Jury. J’entends bien que Hoppy a eu raison et qu’il devait agir vite et tout cela… mais le Jury est le seul corps constitué qui soit censé en décider. Et c’est Earl qui doit s’acquitter de l’exécution. À l’avenir, bien sûr. Cela ne couvre pas le cas de Bluthgeld, parce que sa magie en faisait un être différent.
On ne peut pas tuer un homme pareil par les méthodes classiques, se rendait-il compte. Prenons Hoppy, par exemple… supposons qu’on veuille le supprimer… ce serait à peu près impossible.
Il frissonna.
— Qu’y a-t-il, Orion ? lui demanda Cas Stone, qui devinait sa pensée.
— Rien, répondit Stroud. Je réfléchissais seulement à la meilleure manière de démontrer à Hoppy notre gratitude. C’est une question sérieuse, parce que nous lui devons beaucoup.
La foule bourdonna. Les gens discutaient entre eux des récompenses à donner à Hoppy.
George Keller, observant la pâleur de sa femme et ses traits tirés, l’interrogea :
— Tu n’es pas bien ?
Il lui posa la main sur l’épaule, mais elle s’écarta.
— Simplement fatiguée. J’ai bien couru deux kilomètres, je crois, quand les explosions ont commencé. Pour tenter de parvenir jusqu’à la maison de Hoppy.
— Comment pouvais-tu deviner que Hoppy était en mesure…
— Oh ! nous le savons tous ; nous savons bien qu’il est le seul, et de loin, à disposer de ce genre de force. Il nous est venu à l’esprit… (Elle se reprit :) Il m’est venu tout de suite à l’esprit d’avoir recours à lui, dès que j’ai vu les explosions.
— Avec qui étais-tu ?
— Avec Barnes. On cherchait des girolles sous les chênes, au bord de la route de Bear Valley Ranch.
— Personnellement, j’ai peur de Hoppy. Regarde… il n’est même pas ici. Il a envers nous tous une sorte de dédain. Il arrive toujours en retard au Hall. Vois-tu ce que je veux dire ? Le sens-tu ? Et cela devient plus vrai tous les jours, peut-être au fur et à mesure qu’il aiguise ses capacités.
— Possible, souffla Bonny.
— Que crois-tu qu’il nous arrive à présent ? Maintenant que Bluthgeld est mort ? Nous respirons plus à l’aise, c’est un poids de moins pour les gens. On devrait en informer Dangerfield pour qu’il émette la nouvelle, de là-haut.
— Hoppy est capable de le joindre, fit Bonny d’une voix lointaine. Il peut tout. Ou presque.
De son fauteuil présidentiel, Orion Stroud réclama le silence.
— Qui souhaite faire partie de la délégation pour aller chez Hoppy lui remettre sa récompense et lui conférer ses honneurs ? (Il jeta un coup d’œil circulaire.) Allons, des volontaires !
— Moi, dit Andrew Gill.
— Moi aussi, dit Fred Quinn.
— J’irai, déclara Bonny.
George s’inquiéta :
— Tu te sens assez bien ?
— Bien sûr. Tout va bien à présent, si ce n’est ma coupure à la tête.
Elle toucha son pansement.
— Et vous, Mrs Tallman ? demanda Stroud.
— Oui, j’irai, répondit-elle d’une voix tremblante.
— Vous avez peur ? demanda Stroud.
— Oui.
— Pourquoi ?
Mrs Tallman hésita.
— Je… je ne sais pas, Orion.
— J’en serai aussi, décida Stroud. Nous serons cinq, trois hommes et deux femmes ; c’est à peu près ce qu’il faut. Nous emporterons le cognac et les cigarettes et nous lui annoncerons la suite… la plaque, la Présidence du Conseil, tout cela.
— Peut-être, dit Bonny d’une voix grave, devrions-nous lui envoyer une délégation pour le lapider à mort.
George Keller en fut interloqué, puis il réagit :
— Bon Dieu ! Bonny !
— C’est mon opinion, confirma-t-elle.
— Tu te conduis d’une manière incroyable ! (Il était surpris et furieux. Il ne la comprenait plus.) Qu’as-tu ?
— Évidemment, cela ne servirait à rien. (Elle suivait son idée.) Il nous écraserait avant que nous soyons près de chez lui. Peut-être va-t-il m’anéantir tout de suite, rien que pour l’avoir dit.
Elle souriait.
— Alors, ta gueule !
Il la contemplait, terrifié.
— C’est bon, je me tais. Je n’ai pas envie de me retrouver projetée dans les airs et de redégringoler à terre comme Jack.
— Je suis de ton avis.
— Tu n’es qu’un lâche, n’est-ce pas ? Je ne comprends pas que j’aie mis tout ce temps à le comprendre. C’est sans doute ce qui explique mes sentiments envers toi.
— Et quels sont-ils ?
Bonny sourit. Et ne répondit pas. C’était un sourire froid, dur, haineux et cela dépassait son entendement ; il détourna la tête, se demandant une fois de plus si les rumeurs qui lui parvenaient au sujet de sa femme depuis des années n’étaient pas en définitive fondées. Elle était si froide, si indépendante. George Keller se sentait très malheureux.
— Seigneur ! fit-il. Tu me traites de lâche parce que je n’ai pas envie de voir ma femme écrabouillée ?
— C’est mon propre corps et ma propre vie. J’en fais ce que bon me semble. Je n’ai pas peur de Hoppy. Si ! J’en ai peur, mais je n’ai pas l’intention de le laisser voir, si tu saisis la nuance. J’irai dans sa maison en carton goudronné, je l’affronterai en toute sincérité. Je le remercierai, mais je pense que je lui dirai aussi d’être un peu plus modéré à l’avenir. Que nous insistons sur ce point.