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Il ne pouvait se retenir de l’admirer.

— Fais-le. Ce sera une bonne chose, ma chérie, la pressa-t-il. Il devrait s’en convaincre, prendre conscience de notre sentiment.

— Merci. Merci infiniment de tes encouragements, George.

Elle se détourna pour écouter Orion Stroud. George Keller se sentait plus malheureux que jamais.

Il fallait d’abord passer à la fabrique d’Andrew Gill prendre les cigarettes et le cognac ; Bonny quitta le hall en compagnie d’Orion Stroud et de Gill. Ils firent la route ensemble, pénétrés de la gravité de leur mission.

— À quoi vise cette association entre vous et McConchie ? s’enquit Bonny.

— Stuart va automatiser ma fabrique, répondit Gill.

Comme elle ne le croyait pas, elle ironisa :

— Et j’imagine que vous allez faire de la publicité par le satellite ? Des chansons publicitaires, comme autrefois ? Comment seront-elles ? Puis-je en composer une à votre intention ?

— D’accord, si cela doit améliorer les affaires !

— Vous êtes sérieux, pour l’automation ? (Il lui venait tout juste à l’esprit que c’était peut-être vrai.)

— J’en saurai davantage après avoir rendu visite au patron de Stuart, à Berkeley. Nous ferons le voyage très prochainement, Stuart et moi. Il y a des années que je n’ai mis les pieds à Berkeley. Stuart dit que cela se reconstruit… pas comme avant, bien sûr. Mais cela viendra peut-être un jour !

— J’en doute, émit Bonny. Mais je m’en fiche, après tout. Ce n’était pas si formidable.

Après s’être assuré qu’Orion ne pouvait pas l’entendre, Gill lui demanda :

— Bonny, pourquoi ne nous accompagnez-vous pas, Stuart et moi ?

— Pourquoi ? fit-elle, estomaquée.

— Ce serait bon pour vous de ne plus voir George. Et peut-être que vous réussiriez à rompre définitivement. Vous le devriez, pour lui comme pour vous.

Elle hocha la tête et répondit :

— Mais… (Cela lui paraissait hors de question ; c’était aller trop loin. Les apparences ne seraient pas sauves.) Mais alors tout le monde serait au courant, dit-elle. Vous ne croyez pas ?

— Et après ! Ils savent déjà ! répliqua-t-il.

— Oh ! (Elle hochait la tête, remise à sa place.) Eh bien, c’est une surprise. Il semble évident que j’ai vécu d’illusions.

— Venez à Berkeley avec nous, insista Gill, et on recommence à zéro. En un sens, c’est ce que je compte faire. Fini de rouler les cigarettes à la main, une à une, avec une petite mécanique à rouleaux de bois couverts de toile. J’aurai une véritable usine, au sens que cela avait avant-guerre.

— L’avant-guerre ? Est-ce si souhaitable ? fit-elle.

— Oui. J’en ai vraiment marre de les rouler à la main. Il y a des années que j’essaie de me libérer. C’est Stuart qui m’a ouvert la voie. Du moins je l’espère.

Ils arrivèrent à la fabrique ; les ouvriers travaillaient au fond de la salle. Ils roulaient des cigarettes. Ainsi, songea Bonny, cette tranche de notre vie va bientôt prendre fin. Je dois être une grande sentimentale, pour m’y cramponner ainsi. Mais Andrew a raison. Ce n’est pas une méthode de production. C’est trop fastidieux, trop lent. Et on fabrique trop peu de cigarettes, en définitive. Avec de vraies machines, Andrew pourrait subvenir aux besoins du pays tout entier… à condition de disposer de moyens de transport, bien entendu.

Au milieu des ouvriers, Stuart McConchie inspectait un baril du bon ersatz de tabac inventé par Gill. Allons ! se dit Bonny. Ou il a déjà la formule des Gold Label Special de Gill, ou elle ne l’intéresse pas.

— Bonjour, lui dit-elle. Serez-vous en mesure de distribuer les cigarettes une fois que la chaîne de production aura démarré ? Y avez-vous réfléchi ?

— Oui, répondit McConchie. Nous avons dressé, des plans de distribution massive. Mon employeur, Mr. Hardy…

— Ne me débitez pas votre boniment, coupa-t-elle. Je vous crois, puisque vous le dites. Simple curiosité. (Elle l’examinait d’un œil critique.) Andrew voudrait que je vous accompagne tous les deux à Berkeley. Qu’en pensez-vous ?

— Si vous voulez, répondit-il sans conviction.

— Je pourrais vous être utile à la réception. Au bureau central, dit-elle. En plein centre de la ville. Exact ? (Elle rit, mais ni Stuart McConchie ni Gill ne se joignirent à elle.) Est-ce tabou ? s’enquit-elle. Est-ce que je piétine les plates-bandes sacrées en plaisantant ainsi ? Dans ce cas, je vous demande pardon.

— Mais non, dit McConchie. Nous sommes simplement soucieux. Il reste un tas de détails à mettre au point.

— J’irai peut-être, conclut Bonny. Cela résoudrait sans doute tous mes problèmes.

Maintenant, c’était McConchie qui l’observait.

— Quels problèmes pouvez-vous avoir ? Le secteur semble charmant pour y élever votre fille, et votre mari étant le Principal de…

— Je vous en prie ! lança-t-elle. Je ne tiens nullement à entendre énumérer tous mes bonheurs. Épargnez-le-moi.

Elle s’éloigna et rejoignit Gill qui empaquetait des cigarettes dans une boîte métallique pour les offrir au phocomèle.

Le monde est si innocent, songeait-elle. Malgré tout ce qui est arrivé, Gill veut encore me guérir de… de mon instabilité. McConchie ne voit rien que je puisse souhaiter dont je ne jouisse déjà ici. Mais peut-être ont-ils raison et ai-je tort. Peut-être me suis-je compliqué la vie sans nécessité. Peut-être ont-ils à Berkeley une machine qui me sauverait, moi aussi ? Peut-être mes problèmes peuvent-ils être éliminés par l’automation !

Dans un coin, Orion Stroud rédigeait le discours qu’il comptait débiter à Hoppy. Bonny sourit en pensant à la solennité de tous leurs agissements. Hoppy en serait-il touché ? Ne serait-il qu’amusé ou même rempli d’un amer mépris ? Non, cela lui plaira… j’en ai l’intuition. C’est tout juste le genre de manifestations qu’il aime. Qu’on reconnaisse sa puissance ne peut que chatouiller agréablement sa vanité.

Se prépare-t-il à nous recevoir ? S’est-il débarbouillé ? Rasé ? A-t-il mis un costume propre ? Nous attend-il avec impatience ? Est-ce le triomphe de sa vie, le pinacle ?

Elle s’efforçait d’imaginer le phocomèle en ce même moment. Il n’y avait que quelques heures, Hoppy avait tué un homme ; et Edie lui avait raconté que tout le monde le croyait coupable du meurtre de l’homme aux lunettes. C’est le tueur de rats du patelin ! se dit-elle en réprimant un frisson. À qui le tour ? Et lui rendra-t-on encore les honneurs ? Pour tout crime futur ?

Peut-être qu’on retournera s’agenouiller chaque fois avec des présents ! Elle décida : J’irai à Berkeley ; je veux m’éloigner le plus possible d’ici.

Et aussi vite que je pourrai. Aujourd’hui, tout de suite, à la seconde ! Les mains dans les poches, elle alla rapidement rejoindre Stuart McConchie et Gill ; ils étaient en pleine conversation, aussi se rapprocha-t-elle le plus qu’elle put, pour écouter ce qu’ils disaient avec la plus profonde attention.

Le Dr Stockstill demanda d’un ton incertain :

— Êtes-vous sûr qu’il m’entendra ? Votre appareil porte bien jusqu’au satellite ?

Il effleura de nouveau le bouton du micro, d’un geste d’expérimentateur.

— Je suis incapable de vous garantir qu’il vous entende, fit Hoppy en ricanant. Je peux seulement vous affirmer que cet émetteur a une puissance de cinq cents watts ; ce n’est pas beaucoup par rapport aux stations d’autrefois, mais cela suffit pour le joindre. Je l’ai déjà réussi plusieurs fois. (Il eut son sourire rusé, intelligent, des éclairs de lumière avivant ses yeux gris.) Allez-y. Est-ce qu’il a un divan, là-haut ? Ou n’est-ce pas indispensable ?