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L’oiseau émettait un son horrible, criant son désir de déchirer, de dévorer.

— Vous tous, s’écria Bill en fuyant dans l’air noir et glacé, il faut que vous écriviez des lettres de protestation !

Les yeux étincelants de l’oiseau ne le quittaient pas tandis qu’ils filaient tous les deux sous la faible clarté lunaire.

La chouette le rattrapa. Et l’engloutit en un bref instant.

16

Une fois de plus il était au-dedans. Il ne voyait plus et n’entendait plus ; cela n’avait duré qu’un court instant et maintenant c’était fini.

La chouette continuait de voler en hululant.

Bill Keller lui demanda :

— Est-ce que tu m’entends ?

Probable, improbable… Ce n’était qu’une chouette, elle n’avait pas l’intelligence qu’avait eue Edie. Ce n’était pas pareil. Puis-je vivre à l’intérieur de toi ? demanda-t-il. Caché ici où personne ne sait… tu effectues tes vols, tes attaques. Avec lui, dans la chouette, il y avait des corps de souris et une autre chose qui remuait et grattait, assez grosse pour chercher à rester en vie.

Plus bas, dit-il à la chouette ; il distinguait les chênes par ses yeux ; il voyait même clairement comme si tout eût été chargé de lumière. Des millions d’objets immobiles. Puis il en repéra un qui rampait… C’était vivant, aussi la chouette vira-t-elle dans cette direction. La chose rampante, sans soupçon et ne percevant aucun bruit, s’aventura à découvert.

L’instant d’après elle était avalée et la chouette repartait.

Bon, songeait-il. Y a-t-il autre chose ? Ceci se poursuit toute la nuit, sans arrêt, puis il y a le bain quand il pleut, et les sommeils longs et profonds. Sont-ils la meilleure part ? Oui.

Il dit :

— Fergesson ne permet pas à ses employés de boire ; c’est contraire à sa religion, n’est-ce pas ? (Puis il ajouta :) Hoppy, d’où provient cette lumière ? Émane-t-elle de Dieu ? Tu sais, comme dans la Bible ? Je veux dire, est-ce que c’est vrai ?

La chouette cria.

— Hoppy, reprit-il, du fond de la chouette, tu as dit la dernière fois que tout était sombre. Est-ce vrai ? Pas de lumière du tout ?

Un millier de choses mortes en lui clamaient pour obtenir son attention. Il écoutait, choisissait, répétait.

— Sale petit monstre ! dit-il. À présent, écoute. Reste ici, en bas ; nous sommes au-dessous du niveau de la rue. Espèce d’âne bâté, reste où tu es, où tu es, où tu es. Je remonte chercher ces… gens… dégage un… espace… espace pour eux.

Effrayée, la chouette battait des ailes ; elle monta, pour tenter d’échapper à Bill. Mais il continua d’écouter, de trier, de choisir.

— Reste en bas, répéta-t-il.

De nouveau les lumières de la maison de Hoppy étaient en vue ; la chouette avait décrit un cercle et y était revenue, incapable de s’enfuir. Il la força à rester où il voulait. À chaque passage, il la rapprochait un peu plus de Hoppy.

— Espèce d’âne bâté, reste où tu es ! répétait-il.

La chouette volait plus bas, hululant son désir de fuir. Elle était captive et elle le savait. Elle le haïssait.

— Il faudra bien que le Président entende nos doléances, dit-il, avant qu’il soit trop tard.

D’un furieux effort, la chouette appliqua sa méthode habituelle ; elle l’expectora d’une toux violente et il sombra en direction du sol, cherchant à freiner sa chute sur les courants ascendants. Il tomba sur l’humus, parmi les plantes. Il roula en poussant de petits cris, puis s’immobilisa dans un creux.

Libérée, la chouette prit son essor et disparut.

— Que la pitié humaine en témoigne ! dit-il, tassé dans son trou. (Il avait repris la voix du pasteur d’autrefois.) C’est nous-mêmes qui sommes cause de ceci. Nous voyons en cette créature les conséquences de la folie des hommes.

Privé des yeux de la chouette, il n’y voyait que vaguement ; les lumières semblaient avoir disparu et il ne restait que des formes indistinctes. C’étaient des arbres.

Il distinguait également la masse de la maison de Hoppy, découpée sur le ciel nocturne. Elle n’était pas loin.

— Fais-moi rentrer, dit Bill en remuant la bouche. (Il roulait dans son creux et se débattait, froissant les feuilles.) Je veux rentrer.

Un animal, en l’entendant, s’éloigna prudemment.

— Dedans, dedans, dedans, clamait Bill. Je ne peux pas rester longtemps ici ; je vais mourir. Edie, où es-tu ?

Il ne la sentait pas proche de lui ; il ne sentait que la présence du phocomèle dans la cabane.

De son mieux, il entreprit de rouler dans cette direction.

Le matin, de bonne heure, le Dr Stockstill arriva devant la maison de carton bitumé de Hoppy pour une quatrième tentative en vue de soigner Walt Dangerfield.

Il observa que l’émetteur était sous tension et qu’il y avait en outre plusieurs lumières. Intrigué, il frappa à la porte.

Le battant s’ouvrit : Hoppy Harrington était là sur sa phocomobile. Il le regardait d’un air étrange, avec méfiance, comme sur la défensive.

— Je désire faire un nouvel essai, dit Stockstill, conscient de l’inutilité de son geste, mais désireux néanmoins de continuer. Tu veux bien ?

— Oui, d’accord, répondit Hoppy.

— Dangerfield est-il toujours vivant ?

— Oui. Je le saurais, s’il était mort. Il doit toujours être là-haut, dit Hoppy en roulant son chariot pour laisser entrer le médecin.

— Que se passe-t-il ? Tu es resté éveillé toute la nuit ? s’étonna Stockstill.

— Oui. J’apprends à manier les choses. (Il allait et venait sur ses roues.) C’est dur, fit-il, préoccupé.

— Je pense que mon idée de traitement à l’anhydride carbonique était une erreur, déclara Stockstill en s’asseyant au micro. Cette fois, je vais essayer l’association libre des idées, si toutefois il y consent.

L’infirme continuait à s’agiter ; le chariot heurta le coin d’une table.

— Je me suis cogné là-dessus par maladresse, dit Hoppy. Je vous demande pardon. Ce n’était pas exprès.

— Tu me parais changé, observa Stockstill.

— Je suis toujours le même ; je suis Bill Keller, dit l’infirme. Et non pas Hoppy Harrington. (De sa main artificielle droite, il pointa.) Le voici, Hoppy. C’est lui, à partir de maintenant.

Dans le coin de la pièce gisait un objet tout plissé, qui ressemblait à de la pâte, de quelques pouces de long ; la bouche était béante, figée. Cela avait quelque chose d’humain. Stockstill alla ramasser la chose.

— C’était moi, dit le phocomèle. Mais pendant la nuit je me suis rapproché assez près pour faire l’échange. Il s’est beaucoup débattu, mais il avait peur, alors j’ai gagné. J’ai continué à lui débiter imitation sur imitation. Celle du pasteur l’a terrassé.

Stockstill, tenant encore l’homuncule ratatiné, restait silencieux.

— Savez-vous faire fonctionner l’émetteur ? s’enquit bientôt le phocomèle. Parce que moi, je ne sais pas ! J’ai essayé, mais je n’y arrive pas. J’ai réussi avec les lumières ; elles s’allument et elles s’éteignent. Je me suis exercé pendant la nuit.

Pour faire une démonstration, il fit rouler le chariot jusqu’à la paroi où, avec un de ses prolongements, il manœuvra un interrupteur.

Au bout d’un temps, Stockstill, contemplant la petite chose morte qu’il n’avait pas lâchée, dit :

— Je savais que ce n’était pas viable.

— Cela a vécu un temps, dit le phocomèle. Environ une heure. Pas mal, n’est-ce pas ? Une partie de ce temps a été passée à l’intérieur d’une chouette ; je ne sais pas si cela peut compter ?