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— Tu ne pouvais pas savoir, dit-il. Je comprends. Vous êtes épuisés, et vous avez été malades. Repose-toi. Je monterai la garde.

Il écarta les branchages et sortit sous la pluie.

Lunedor avait écouté sans mot dire. Elle vint se blottir contre Rivebise, étendu dans un coin de la caverne. Bientôt ils s’endormirent, la tête de Lunedor reposant sur la poitrine de son guerrier.

Avec un soupir de soulagement, Tanis se tourna vers Raistlin. Il avait sombré dans un profond sommeil. Parfois, il murmurait quelques mots étranges et touchait son bâton. Tasslehoff, assis près du feu, dénombrait ses différentes « acquisitions ». Des anneaux brillants, des pièces de monnaie bizarres, des plumes d’engoulevent, des cordelettes, un collier de verroterie, une poupée de savon, et une toupie. Tanis reconnut un des objets. C’était un anneau fabriqué par les elfes, que quelqu’un dont il ne se souvenait plus lui avait donné. En or, il était finement sculpté de feuilles de lierre.

Doucement pour ne pas réveiller les autres, Tanis approcha du kender.

— Tass… cet anneau m’appartient…, dit-il en lui touchant l’épaule.

— Vraiment ? répondit Tass en roulant de grands yeux. C’est le tien ? Je suis content de l’avoir trouvé. Tu as dû le perdre à l’auberge.

— Tass, aurais-tu une carte de la région, par hasard ?

Les yeux du kender brillèrent.

— Une carte ? Oui, j’en ai une, Tanis. Bien sûr.

Il fouilla dans un de ses sacs et sortit un coffret de bois sculpté dont il tira une liasse de cartes. Tanis connaissait la diversité des « trouvailles » du kender, mais il ne cessait de s’en émerveiller. Il devait y avoir là une centaine de cartes sur parchemin.

— Je croyais que tu connaissais personnellement chaque arbre de la région, Tanis.

— J’ai vécu ici plusieurs années, mais soyons francs, je n’ai pas trouvé un seul sentier dérobé.

— Tu n’en trouveras pas d’ici à Haven, dit Tass en étalant une carte sur le sol de la grotte. La route de Haven par la vallée de Solace est la plus rapide.

— Tu as raison, admit Tanis après avoir étudié la carte. Non seulement c’est la plus rapide, mais c’est la seule route possible à des lieues à la ronde. Au nord et à l’est, se dressent les monts Kharolis, où il n’y a pas un col. Ce que sait parfaitement le Théocrate.

Tass bâilla et remit la carte dans le coffret.

— Bien ! C’est un problème que des têtes meilleures que la mienne sauront résoudre. Moi, je suis là pour la rigolade.

Le kender remit le coffret dans son sac. Ramenant ses jambes en chien de fusil, il s’étendit par terre et s’endormit du sommeil bienheureux des nourrissons.

Tanis le regarda avec envie. Bien que recru de fatigue, il n’était pas assez détendu pour s’abandonner au sommeil. Caramon, qui veillait sur son frère, ne dormait pas non plus.

— Repose-toi, je m’occuperai de Raistlin.

— Non, répondit le guerrier. Il peut avoir besoin de moi.

— Mais il te faut récupérer.

— J’en aurai, répliqua Caramon en souriant. Dors toi-même, nounou. Tes enfants se portent bien. Regarde le nain a cessé de grelotter.

— En effet, dit Tanis, le Théocrate entend probablement ses ronflements depuis Solace. Eh bien, ami, nos retrouvailles ne ressemblent pas à ce que nous avions imaginé cinq ans plus tôt.

Tanis s’étendit à son tour et se roula dans son manteau. Il finit par s’endormir.

Au cours de la nuit, Caramon releva Sturm. Puis Tanis releva Caramon. La tempête fit rage. Le lac ressemblait à une mer déchaînée. Les éclairs illuminaient les arbres comme en plein jour. Le matin, la tempête se calma et l’aube grise pointa dans un ciel couvert de nuages. Tanis sentit qu’il fallait agir. Les tempêtes étaient rares en automne, et il était étrange qu’elles viennent du nord ; elles passaient généralement à l’est, par les plaines. Tanis, très sensible aux phénomènes naturels, était aussi dérouté par ce temps étrange que Raistlin par la disparition des étoiles. Il ressentait le besoin de bouger. Alors il revint dans la grotte pour réveiller ses compagnons.

La caverne était humide et sombre malgré l’aube naissante et le feu pétillant. Lunedor et Tasslehoff s’affairaient à préparer le petit déjeuner. Rivebise était occupé à secouer les fourrures de sa compagne. Le barbare, qui allait parler à la jeune femme quand Tanis était entré, s’était interrompu. Le visage pâle et défait, Lunedor gardait les yeux baissés.

Tanis comprit que Rivebise regrettait de s’être laissé aller, la veille.

— Il n’y a pas grand-chose à manger, dit Lunedor en versant des graines dans l’eau bouillante.

— Le garde-manger de Tika n’était pas bien garni, avança Tass pour s’excuser. Nous avons une miche de pain, un demi-fromage ramolli, et de l’avoine. Tika doit se contenter de peu.

— Rivebise et moi n’avons rien emporté avec nous, dit Lunedor. Nous ne nous attendions pas à voyager si loin.

Tanis voulut lui demander des précisions, mais les autres commençaient à se réveiller. Caramon s’étira, et se leva.

— Du gruau ? C’est tout ce qu’il y a ?

— Il y aura encore moins pour le dîner, dit Tasslehoff. Serre-toi la ceinture. De toute façon, tu as grossi.

Sturm refusa toute nourriture et reprit la garde. Caramon dévora ce que contenait son assiette, vida celle de son frère, puis celle du chevalier. Il attendit, au cas où quelqu’un lui laisse encore quelque chose.

— Vas-tu manger ça ? demanda-t-il en pointant un index sur le morceau de pain de Flint.

Le nain fronça les sourcils. Tass, voyant le regard de Caramon se poser sur son assiette, enfourna son morceau de pain dans sa bouche et faillit s’étouffer. Cela lui clouera le bec un moment, pensa Tanis, heureux de ne plus entendre la voix aiguë du kender. Tass n’avait cessé de taquiner Flint dès le matin, l’appelant « maître des mers » ou « navigateur émérite », l’interrogeant sur le prix du poisson ou sur la somme qu’il lui prendrait pour le transporter de l’autre côté du lac. Flint lui jeta finalement un caillou à la figure. Sur quoi Tanis l’envoya laver la vaisselle dans le lac.

Le demi-elfe se dirigea vers le fond de la caverne.

— Comment ça va, ce matin, Raistlin ? Nous allons bientôt lever le camp.

— Je vais beaucoup mieux, répondit le magicien d’une voix douce.

Il fit la grimace en buvant une décoction d’herbes de sa composition. Dans un insupportable tintamarre, Tass revint avec les ustensiles lavés. Flint voulut les prendre pour les empaqueter, mais Tass se déroba avec agilité.

— Un peu de sérieux, siffla le nain, sinon je te pends par les cheveux à un arbre pour que tu serves d’exemple aux autres kenders.

Les branchages de l’entrée de la grotte bruissèrent ; le visage tourmenté, Sturm entra.

— Arrêtez votre tintamarre ! cracha-t-il avec colère. On vous entend depuis la rive du lac. Ces deux-là vont ameuter tous les gobelins de Krynn. Il faut partir d’ici. Quelle direction prenons-nous ?

Un silence gêné s’installa. Chacun regarda Tanis, sauf Raistlin, qui semblait ailleurs.

— Le Théocrate de Solace est corrompu. À présent, nous le savons. Il manipule cette racaille de gobelins pour prendre le pouvoir. Si le bâton entrait en sa possession, il s’en servirait à des fins personnelles. Depuis des années, nous sommes à la recherche des vrais dieux. Il semblerait que nous en ayons trouvé un, que je ne suis pas prêt à laisser aux mains de cet imposteur de Solace. Tika croit que les Grands Questeurs de Haven sont encore à la recherche de la vérité, elle nous l’a dit. Ils pourront peut-être nous renseigner sur ce bâton, nous dire d’où il vient, et quels pouvoirs il possède. Tass, donne-moi la carte.

Le kender étala par terre le contenu de ses poches, puis lui tendit un parchemin.

— Nous sommes là, dit Tanis, sur la rive ouest de Crystalmir. Au nord et au sud, nous avons les monts Kharolis qui délimitent la vallée de Solace. À notre connaissance, il n’y a pas de col qui permette de franchir les montagnes, sauf celui de Hautes-Portes, au sud de Solace.