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— Un cheval ! dit Flint en éternuant de nouveau.

— Il est derrière toi, répliqua Tanis.

À cet avertissement, Flint bondit sur ses pieds. Tasslehoff en fit autant.

Le hobgobelin les considéra d’un air méprisant.

— Regardez, les gars, dit-il dans la langue commune avec un fort accent, à qui nous avons affaire à Solace.

Des rires gras montèrent des taillis. Cinq gardes gobelins en uniforme rapiécé marchèrent vers leur chef et se postèrent à côté de lui.

— Maintenant… (Le hobgobelin se pencha sur sa selle. Fasciné de dégoût, Tanis vit le pommeau disparaître sous son gros ventre.) Je suis le petit-maître Toede, chef de la troupe chargée de protéger Solace des éléments indésirables. Vous n’avez pas le droit de vous trouver sur le territoire de la ville après le coucher du soleil. Vous êtes en état d’arrestation. (Il se pencha vers l’un des gobelins :) Apporte-moi le bâton au cristal bleu, si tu le trouves.

Tanis, Flint et Tasslehoff s’interrogèrent du regard. Chacun d’eux parlait gobelin, Tass mieux que les autres. Avaient-ils bien entendu ? Un bâton avec un cristal bleu ?

— S’ils résistent, ajouta Toede dans la langue commune pour faire plus d’effet, tue-les.

Il administra un coup de trique à sa monture et partit au galop vers la ville.

— Des gobelins à Solace ! Ce nouveau Théocrate devra en répondre ! cracha Flint.

Bien campé sur ses jambes, il tira sa hache de son sac à dos et la brandit.

— Très bien, les prévint-il, je vous attends !

— Je vous conseille de battre en retraite, dit Tanis, relevant le pan de son manteau pour dégager son épée. La journée a été longue. Nous sommes aussi fatigués qu’affamés ; il se fait tard pour nos amis qui nous attendent et que nous n’avons pas vus depuis longtemps. Nous ne nous laisserons pas arrêter.

— Pas plus que nous ne nous laisserons trucider, ajouta Tass.

Les gobelins échangèrent quelques coups d’œil nerveux. L’un lança un regard vers la route où leur chef venait de disparaître. Les créatures avaient coutume d’intimider les marchands ambulants et les fermiers qui se rendaient d’une ville à l’autre. Ils avaient peu d’entraînement au combat et leurs armes n’étaient guère redoutables. Mais leur haine des races étrangères les poussa à dégainer leurs longues lames courbes.

Main serrée sur le manche de sa hache, Flint fit un pas en avant.

— S’il y a des salopards que je déteste plus encore que les nains des ravins, grommela-t-il, c’est bien les gobelins !

Une des créatures plongea aussitôt sur le nain. Flint lança sa hache avec une précision et une dextérité telles que la tête du gobelin alla rouler dans la poussière.

— Bande de mollassons, que diable faites-vous donc à Solace ? rugit Tanis en parant un estoc maladroit. Êtes-vous au service du Théocrate ?

— Du Théocrate ? ricana le gobelin. Cet idiot ? Notre petit-maître travaille pour… Ouille !

Le gobelin s’était embroché sur l’épée de Tanis. Il s’abattit sur le sol en geignant.

— Sacrebleu ! jura Tanis. Quel balourd ! Je ne voulais pas le tuer, mais savoir qui l’employait.

— Tu ne vas pas tarder à l’apprendre ! gronda un autre gobelin en se précipitant sur le demi-elfe.

En se retournant, Tanis le désarma. Un coup de pied à l’estomac l’envoya rouler au sol.

À peine avait-il lancé son arme meurtrière, que Flint fut assailli par un gobelin qui lui fit perdre l’équilibre.

La voix de Tasslehoff s’éleva, plus aiguë que jamais :

— Cette vermine se mettrait au service de n’importe qui, Tanis. Tu donnes à ces chiens quelques os à ronger de temps à autre et ils te suivent au bout du monde !

— Des os à ronger, hein ? Que dirais-tu d’un peu de viande de kender, petit imbécile ?

Mains tendues, le gobelin se rua sur le petit être. Tass, sans se départir de son expression puérile, mit la main à son gilet et en sortit un poignard qu’il planta dans la poitrine du monstre.

Le dernier gobelin détala sans demander son reste. La bataille était terminée.

Pinçant le nez devant les cadavres puants, Tanis rengaina son épée. L’odeur lui rappelait le poisson pourri. Flint essuya sa hache souillée de sang noir, tandis que Tass regardait sans mot dire le corps du gobelin effondré sur le ventre, son poignard sous lui.

— Je vais le retirer pour toi, proposa Tanis.

— Non, je n’en veux plus. Tu sais qu’il est impossible de se débarrasser de l’odeur.

Tanis acquiesça. Tous trois descendirent le sentier.

Dans l’obscurité croissante, les lumières de la ville grandissaient. La bonne odeur de cuisine dont ils se rapprochaient leur donna chaud au cœur. Ils pressèrent le pas. Chacun restait silencieux ; les mots de Flint résonnaient à leurs oreilles : des gobelins, à Solace…

Ce fut l’incorrigible kender qui brisa le silence.

— De toute façon, c’était le poignard de Flint, gloussa-t-il.

2

Retour à l’auberge. Le choc. Le serment brisé.

Ces derniers jours, tous les habitants de Solace passaient à un moment ou à un autre à l'Auberge du Dernier Refuge, car les gens se sentent plus en sécurité quand ils sont entourés.

Située au carrefour de plusieurs routes, Solace avait toujours été un point de rencontre pour les voyageurs. Il en venait du nord-est, de Haven, capitale des Questeurs, pour se rendre dans le sud, au royaume des elfes, Qualinesti. Il en venait aussi de l’est, à travers les plaines arides d’Abanasinie. Dans le monde civilisé, l’auberge était pour les voyageurs un havre où se transmettaient les nouvelles. C’est vers elle que les trois compères dirigèrent leur pas.

En contrepoint des fenêtres illuminées, des lanternes accrochées aux branches éclairaient les marches. L’auberge était bondée. Les trois amis durent attendre pour laisser passer hommes, femmes et enfants qui en sortaient. Tanis remarqua les coups d’œil suspicieux qui leur étaient adressés en lieu et place des regards bienveillants d’il y a cinq ans.

Tanis se rembrunit. Ce n’était pas l’accueil dont il avait rêvé. Jamais il n’avait senti une telle tension dans cette ville. Les bruits qui couraient sur la corruption insidieuse de la population par les Questeurs devaient être fondés.

Cinq ans auparavant, des hommes se présentant comme « questeurs » (« Nous sommes en quête de nouveaux dieux ») fondèrent dans les villes de Solace, de Haven et de Hautes-Portes une organisation de prêtres au service d’une nouvelle religion. Ces prêtres étaient mal inspirés, du moins selon Tanis, mais ils étaient honnêtes et sincères. Les années passant, ils assirent leur position. Bientôt, ils s’occupèrent davantage du pouvoir qu’ils avaient acquis sur Krynn que du salut éternel. Avec la bénédiction du peuple, ils prirent en main le gouvernement des cités.

Quelqu’un lui toucha le bras, interrompant ses réflexions : Flint lui montrait du doigt ce qu’il fallait regarder en bas. Tanis vit des gardes marchant au pas par groupes de quatre. Armés jusqu’aux dents, ils défilaient d’un air suffisant.

— Au moins ce sont des humains, non des gobelins, dit Tass.

— Le gobelin a ricané quand je lui ai parlé du Grand Théocrate. Comme s’ils étaient au service de quelqu’un d’autre ! Je me demande ce qui ce passe.

— Nos amis en savent peut-être plus long, hasarda Flint.

— S’ils sont ici, ajouta Tass. En cinq ans, les choses ont dû changer.

— Ils sont ici, s’ils vivent toujours, dit Tanis. Nous avons fait le serment solennel de nous retrouver dans cinq ans et de rapporter ce que nous avions appris sur l’influence du Mal dans le monde. Dire que nous rentrons à la maison et que nous trouvons le Mal sur le seuil de notre porte !