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— Ebène, dit Tanis d’un ton calme, nous sommes las d’entendre tes sempiternels soupçons. Il n’y a pas de traîtres parmi nous, j’en suis sûr. Comme l’a dit Raistlin, s’il y en avait un, il nous aurait vendus depuis longtemps. Pourquoi nous aurait-il laissés progresser aussi loin ?

— Pour nous livrer, les Anneaux et moi, au seigneur Verminaar, dit tranquillement Lunedor. Il sait parfaitement que je suis ici, Tanis. Lui et moi sommes des gens de foi.

— C’est ridicule ! grogna Sturm.

— Pas du tout, reprit Lunedor. Souviens-toi de la disparition des deux constellations. L’une était la Reine des Ténèbres, qui compte parmi les anciens dieux. Les dieux du Bien s’opposent aux dieux du Mal, et les dieux neutres tentent de maintenir l’équilibre. Verminaar sert la Reine des Ténèbres comme je sers Mishakal. C’est ce qu’a voulu dire la déesse quand elle a parlé de rétablir l’équilibre. La promesse de Bien que je représente est ce que Verminaar redoute et il fera tout ce qui est en son pouvoir pour me retrouver. Plus longtemps je resterai ici, plus…

— Raison de plus pour cesser de se chamailler, dit Tanis en fixant Ebène.

— Ce que vous me dites me suffit. Je suis avec vous.

— Quel est ton plan, Gilthanas ? interrogea Tanis, notant avec irritation que Sturm, Caramon et Ebène échangeaient des regards complices.

Trois humains qui se liguent contre les elfes, se surprit-il à penser.

Gilthanas avait également vu l’échange de clins d’œil. Il regarda les trois hommes sans ciller puis parla d’un ton mesuré et distant, comme à contrecœur :

— Tous les soirs, une douzaine de prisonnières quittent leur geôle pour aller porter à manger à leurs hommes et à leurs enfants. Mes guerriers et moi avions projetés de nous déguiser en femmes pour avertir les mâles que nous allions libérer les otages et qu’ils pouvaient se préparer à la révolte. Nous n’avions pas pensé à la façon de libérer les enfants. Nos espions ont fait un rapport étrange sur le dragon qui les garde ; nous n’avons pas pu déterminer de quoi il s’agit.

— Quels esp…, commença Caramon.

Croisant le regard de Tanis, il renonça à poursuivre.

— Quand et comment allons-nous attaquer Ambre, le dragon rouge ?

— Demain matin. Verminaar et Ambre vont sûrement vouloir rejoindre l’armée, sur les frontières du Qualinesti. Le seigneur a longuement préparé cette invasion, et je ne pense pas qu’il veuille manquer l’événement.

Le groupe discuta du plan jusque dans ses moindres détails et s’accorda sur l’essentiel. Puis chacun ramassa ses affaires. Sturm et Ebène poussèrent la porte qui donnait sur le couloir et avancèrent en silence dans le corridor désert.

Tasslehoff et Fizban passèrent une bonne heure à se faufiler entre les chaînes pour trouver une issue dans le tunnel. En vain. Ils s’accordèrent une pause et s’assirent près de la sortie du tunnel.

— Tu parlais de lumière, eh bien, en voilà ! déclara soudain le vieux magicien.

Tass se retourna. Un mince rai filtrait par une lézarde, au bas de la paroi. Des bruits de voix s’élevèrent et le rayon de lumière se fit plus intense. Des hommes munis de torches circulaient dans la pièce du dessous.

Tass se précipita vers la lézarde, s’accroupit et colla son œil sur la fente.

— Viens voir !

Fizban et le kender découvrirent une vaste salle meublée avec un luxe inouï. Tout ce que le seigneur des Dragons avait pu trouver de plus joli, de plus délicat, de plus précieux dans le pays se trouvait dans ses appartements privés. Autour du trône ouvragé, des miroirs d’argent ornaient les murs, reflétant à l’infini l’image grotesque du seigneur au heaume cornu.

— Ce doit être lui ! s’exclama Tass, éberlué. Ce ne peut être que Verminaar ! Et là, regarde ! reprit-il haletant d’excitation, c’est sûrement son dragon, tu sais, Ambre, celui dont a parlé Gilthanas. C’est lui qui a tué les elfes à Solace !

Ambre, ou Pyros (son vrai nom n’était connu que des draconiens et des autres dragons) était un antique dragon rouge. Il avait été offert à Verminaar par la Reine des Ténèbres pour le récompenser de ses services. En réalité, c’était pour avoir l’œil sur lui. Car Verminaar souffrait d’une terreur panique, quasi paranoïaque, de voir revenir les vrais dieux. En Krynn, tous les grands seigneurs draconiens possédaient des dragons, mais celui-ci était plus fort et plus intelligent que les autres.

Le rôle que Pyros devait jouer auprès de Verminaar sur ordre de la Reine des Ténèbres devait bien entendu rester secret.

Il consistait à rechercher dans cette partie de l’Ansalonie un homme connu sous plusieurs noms. La Reine des Ténèbres l’appelait l’Immortel, les dragons le nommaient l’Homme à l’Émeraude, et son nom humain était Berem. En raison de son obsédant souci de mettre la main sur cet individu, Pyros se trouvait dans la chambre de Verminaar en un après-midi qu’il aurait préféré passer vautré dans son antre.

Pyros avait appris que Toede, le chef des gobelins, allait amener deux prisonniers. Berem pouvait être l’un des deux. Le dragon assistait toujours aux interrogatoires, bien qu’il s’y ennuyât ferme, car il arrivait que Verminaar lui abandonne un prisonnier en pâture.

Pyros somnolait dans la spacieuse salle du trône qu’il emplissait presque totalement. Ses gigantesques ailes se soulevaient sur ses flancs. En remuant dans son sommeil, il fit tomber un vase précieux. Verminaar, qui examinait une carte du Qualinesti, leva la tête.

— Transforme-toi, avant de tout casser ! grogna-t-il.

Pyros ouvrit un œil, regarda Verminaar d’un air goguenard, puis marmonna une formule magique. Le grand dragon rouge se mua en un être humain aux cheveux sombres, au visage émacié, aux yeux d’un rouge ardent. Il avança vers le seigneur, faisant froufrouter son ample tunique écarlate.

Quelqu’un frappa un coup à la porte.

— Entrez ! répondit Verminaar d’un ton absent.

Un garde draconien ouvrit et introduisit le chef des gobelins, Toede, accompagné de ses prisonniers. Quelques minutes s’écoulèrent avant que le seigneur des Dragons daignât lever la tête. Puis il alla s’asseoir entre les deux mâchoires sculptées qui formaient son trône.

Verminaar avait une belle prestance. L’homme en imposait avec son armure en écailles de dragon trempée d’or et le masque couronné de cornes qu’il portait sur le visage.

Il considéra Toede et ses prisonniers d’un air courroucé. Il savait que Toede les lui avait amenés pour se faire pardonner la perte désastreuse de la prêtresse, qu’il avait laissée s’échapper. Quand Verminaar avait appris qu’une femme correspondant au signalement de la prêtresse se trouvait parmi les prisonniers de Solace et qu’elle s’était enfuie, il était entré dans une colère noire. Toede aurait payé cette erreur de sa vie s’il n’avait fait jouer ses exceptionnels talents de flagorneur. Au début, Verminaar ne voulut plus entendre parler de l’abject hobgobelin. Sentant que tout n’allait pas pour le mieux dans le royaume, il s’était ravisé.

C’est à cause de cette maudite prêtresse ! pensa Verminaar. Elle prenait de plus en plus d’importance, ce qui le mettait mal à l’aise et le rendait nerveux.

Il examina les prisonniers. Aucun des deux ne correspondait au signalement des visiteurs de Xak Tsaroth. Désappointé, il maugréa sous son masque.

Pyros eut une tout autre réaction. Le cou tendu, il serra le bord de la table avec une telle frénésie qu’il y laissa l’empreinte de ses ongles. Voulant dissimuler son excitation, il fit un effort démesuré pour prendre un air détaché. Mais ses prunelles de braise trahissaient son ardeur.

Un des prisonniers était le nain des ravins, Sestun. L’autre était un homme en haillons qui gardait les yeux baissés.

— Pourquoi m’amènes-tu ces déchets, Toede ? grogna Verminaar.