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— C’est déjà l’heure ? demanda Matafleur d’une voix ensommeillée.

Flamme était le nom que seuls lui donnaient les simples mortels.

— Il est encore tôt, répondit Maritta avec douceur, mais je voudrais que les enfants sortent avant l’orage. Rendors-toi, je m’assurerai qu’ils ne te réveillent pas.

La créature entrouvrit les paupières. Les compagnons constatèrent qu’elle était borgne.

— J’espère que nous n’aurons pas à la combattre, dit Sturm à Tanis. J’aurais l’impression d’attaquer une grand-mère.

— Soit, mais une redoutable grand-mère !

— Les petits ont passé une bonne nuit, murmura Matafleur. Assure-toi qu’ils ne soient pas mouillés par la pluie, Maritta, surtout le petit Erik. Il a eu un rhume la semaine dernière.

Matafleur ferma les yeux et s’assoupit. Un doigt sur les lèvres, Maritta fit signe aux compagnons de la suivre. Parvenu à trente pas du dragon, Tanis, qui fermait la marche, perçut une sorte de bourdonnement. Il l’attribua tout d’abord à sa nervosité, mais le bruit amplifia, rappelant celui d’un essaim d’abeilles. Tous le regardèrent avec étonnement.

La créature poussa un grognement et secoua la tête comme si elle avait mal. Raistlin se précipita vers le demi-elfe.

— L’épée !

Il souleva la cape de Tanis et dévoila l’arme. Le mage avait raison. C’était l’épée qui bourdonnait. Était-ce un signal ?

— Elle est enchantée, constata Raistlin avec intérêt. Je me souviens, maintenant… Il doit s’agir de Tranche-dragon, la fameuse épée de Kith-Kanan. Elle réagit dès qu’elle est en présence de ces monstres.

— Il est grand temps que tu t’en souviennes !

— Mieux vaut tard que jamais, persifla Sturm, il a choisi le moment propice !

Matafleur avait lentement relevé la tête. Ses naseaux fumaient ; ses yeux écarlates se dardèrent sur Tanis.

— Qui as-tu amené avec toi, Maritta ? demanda-t-elle d’un ton menaçant. J’entends un bruit que je n’ai plus ouï depuis des siècles et je sens l’infecte odeur de l’acier ! Ce ne sont pas des femmes qui t’accompagnent, mais des guerriers !

— Tanis, ne lui fais pas de mal, gémit Maritta.

— Il ne me reste rien d’autre à tenter ! répliqua Tanis. Rivebise et Lunedor, éloignez Maritta !

La lame s’auréola d’une lumière blanche et le bourdonnement se fit menaçant. Aveuglée par la lumière, assourdie par le bruit, Matafleur recula.

— Vite ! Allez chercher les enfants ! vociféra Tanis.

Maritta et les compagnons mirent quelques instants à ramener les enfants. Dûment chapitrés, ils savaient ce qu’on attendait d’eux, mais ils regrettaient d’abandonner leur amie. À la vue du groupe, les yeux de Matafleur s’emplirent de haine.

— Ne touchez pas à mes enfants ! C’est avec moi que vous devrez vous battre ! Ne faites pas de mal à mes enfants !

Tanis comprit que la bête, folle de douleur, revivait le passé qui l’avait privée de ses petits.

— Je reste avec le demi-elfe, dit Sturm en dégainant son épée.

— C’est moi qui resterai ici avec Tanis, murmura Raistlin. Ta lame ne te servira à rien. Pars avec les autres.

Le demi-elfe regarda le mage avec surprise. Leurs regards se croisèrent : Raistlin savait que Tanis doutait de lui, mais il ne cilla pas.

— Va avec les autres, ordonna Tanis au chevalier.

— Quoi ? Tu as perdu la tête ! Faire confiance à ce…

— Sors d’ici ! répéta Tanis.

Sturm hésita, mais son sens du devoir l’emporta. Il jeta un regard haineux sur le mage et s’engagea dans le corridor.

— Mes pouvoirs magiques ne peuvent pas grand-chose contre les dragons, déclara Raistlin.

— Mais peux-tu gagner du temps ?

Raistlin sourit. L’approche d’une mort qu’il croyait certaine ne l’effrayait pas.

— C’est possible. Commence à t’éloigner doucement. Au premier mot que je prononcerai, cours !

Tanis recula prudemment, l’épée brandie. Mais Matafleur n’était plus affectée par la lame magique. Seul le désir de tuer ceux qui s’en prenaient à ses enfants l’animait. Elle plongea sur le demi-elfe à l’instant où il s’échappait. Alors une obscurité très dense l’enveloppa ; Matafleur se crut devenue complètement aveugle. Elle entendit prononcer les mots magiques et comprit qu’on lui avait jeté un sort.

— Je vais les brûler ! rugit-elle. Ils ne m’échapperont pas ! (Elle perçut le babillage des enfants – ses enfants – au fond du couloir.) Non, pas cela, je risque de leur faire du mal. Mes enfants ! Je voulais faire du mal à mes enfants !

Elle laissa retomber sa tête sur le sol.

Tanis et Raistlin atteignirent le bout du corridor. La lumière du soleil matinal, qui inondait la salle de jeu, les éblouit. Ils se précipitèrent dans la cour où se trouvaient les femmes et les enfants. Soudain, un hurlement effroyable leur déchira les tympans.

Pyros venait de découvrir des espions dans son antre. Les murs commencèrent à trembler. Battant l’air de ses ailes immenses, le dragon prit son envol.

— Ambre ! maugréa Tanis, amer. Il est encore dans la forteresse !

Flint hocha la tête d’un air entendu.

— Je veux bien avaler ma barbe si Tass n’est pas responsable.

Trois petites silhouettes suspendues à ses maillons, la chaîne brisée vint s’écraser au fond de la Salle de la Chaîne.

Agrippé à un maillon, illusoire planche de salut, Tasslehoff faisait une expérience qu’il aurait bien voulu prolonger : voir la mort approcher à toute vitesse. Au-dessus de lui, Sestun hurlait de terreur. Au-dessous, le vieux mage marmonnait une formule magique. La phrase qu’il débitait s’interrompit net. Un cri s’éleva, suivi d’un fracas d’os brisés. Fizban s’était écrasé sur le sol. Le moral de Tass chuta immédiatement. Un sort identique l’attendait. Dans quelques secondes, ce serait son tour…

Il se mit à neiger.

Du moins c’est ce que crut le kender avant de réaliser qu’il était entouré de myriades de plumes. Il atterrit dans une énorme couche de duvet où il s’enfonça. Sestun fourragea à sa recherche, soulevant des nuages blancs.

— Pauvre Fizban, dit Tass en se frottant les yeux. Il a dû commencer une formule magique pour que nous tombions comme des plumes, et il ne s’est plus souvenu de la fin. Nous n’avons eu que les plumes !

Au-dessus d’eux, la roue de l’engrenage, libérée de son entrave séculaire, tournait de plus en plus vite…

Dans la cour intérieure de la forteresse régnait une confusion totale.

— Rassemblez-vous autour de moi ! cria Tanis. Courez vers les mines et mettez-vous à l’abri ! Verminaar et le dragon rouge sont encore ici. Nous sommes pris au piège. Vite ! Ils vont arriver !

Les compagnons acquiescèrent d’un air sinistre, conscients que la situation était désespérée. Ils avaient cinq cents pas à parcourir à découvert avant de pouvoir se cacher.

Les mineurs, voyant arriver leurs familles, maîtrisèrent les gardes et commencèrent à courir au-devant des leurs. Ils ne se conforment pas au plan fixé ! Que fait donc Elistan ? Dans quelques secondes, huit cents personnes courraient en tous sens, sans possibilité de se protéger ! Elistan devait les rassembler et les conduire vers le sud, dans les montagnes où tous pourraient se cacher.

— Où est Ebène ? cria Tanis à Sturm.

— La dernière fois que je l’ai vu, il courait vers les mines. Je n’ai pas compris pourquoi…

Le chevalier et le demi-elfe poussèrent une exclamation en même temps. Ils venaient de comprendre ce qui s’était passé.

— Maintenant, c’est évident, dit Tanis d’un ton abattu, tout concorde point par point. C’est clair.

En se ruant vers la mine, Ebène n’avait qu’une seule pensée à l’esprit : obéir à Pyros. Coûte que coûte, il fallait qu’il mette la main sur l’Homme à l’Émeraude. Il savait parfaitement quel sort Pyros et Verminaar réservaient aux prisonniers. Il eut pitié d’eux, car il n’était ni méchant ni cruel. Mais cette compassion ne dura pas longtemps. Il s’était rangé du côté des plus forts et il était bien décidé à rester dans le camp des gagnants.