Выбрать главу

Après la ruine de sa famille, il ne lui était plus rien resté d’autre à vendre que lui-même. Il savait être intelligent, loyal et vaillant tant qu’on le payait bien.

Verminaar, qu’il avait rencontré dans le nord, lui avait fait une telle impression qu’il avait tout mis en œuvre pour s’attirer ses bonnes grâces. Il avait également réussi à se rendre utile auprès de Pyros, qui le trouvait charmant, avisé, inventif, et, finalement, digne de confiance. Renvoyé dans son pays de Hautes-Portes, il s’était arrangé pour espionner un groupe de guerriers résistant aux draconiens. Quand il était tombé par hasard sur la prêtresse, il avait eu du mal à croire en sa bonne fortune. La Reine des Ténèbres allait être enchantée des ses services…

Pour l’heure, il lui fallait trouver l’Homme à l’Émeraude… Ebène implora de nouveau l’aide de la Reine, car sans intervention divine, comment le repérer dans cette fourmilière ?

Après avoir scruté en vain la foule, il décida d’aller fouiller les cachots. Il y trouva un homme seul, assis par terre, les yeux dans le vague. Ebène se creusa la cervelle pour se rappeler son nom, étrange, démodé…

— Berem…, dit-il au bout d’un moment. Berem ? C’est bien ainsi que tu t’appelles ?

L’homme leva les yeux. Il n’était ni sourd, ni muet, mais totalement absorbé par sa méditation. Par bonheur, il demeurait une part humaine en lui ; le son d’une voix sembla lui faire du bien.

Il fallait qu’Ebène sorte du cachot en compagnie de Berem avant que Tanis les surprenne. Se cacher dans Pax Tharkas avec sa précieuse trouvaille ne lui semblait pas raisonnable ; Verminaar pourrait lui poser des questions…

Il devait sortir de la forteresse et se terrer dans la campagne jusqu’à la fin des combats, puis revenir à la faveur de la nuit.

— Il va y avoir une bataille, dit Ebène. Nous allons nous mettre à l’abri, et nous reviendrons quand les combats seront terminés. Je suis un ami, comprends-tu ?

Berem leva sur lui des yeux brillant d’intelligence et de sagesse. Son expression était celle d’un homme qui a accumulé des années d’épreuves. Il se borna à soupirer en hochant la tête.

En proie à une rage froide, Verminaar quitta ses appartements. Un draconien le suivait, portant Nuit-noire, la masse d’armes du seigneur des Dragons.

— Imbéciles, il est inutile de rappeler la garde ! Cet incident sera réglé très vite. Ce soir même, Qualinesti sera en flammes ! Ambre ! hurla-t-il en ouvrant la porte qui donnait sur l’antre du dragon. Combien de temps te faut-il pour capturer un misérable espion ? Ambre !

Il n’y eut pas de réponse, sinon un étrange bruit métallique provenant de l’autre côté de la forteresse.

Un autre son lui succéda, celui d’une roue qui n’avait pas tourné depuis des siècles. Verminaar se demandait d’où provenaient ces grincements étranges quand Pyros atterrit dans son antre.

Le seigneur Verminaar sauta de la balustrade et enfourcha son dragon. Bien que se méfiant l’un de l’autre, les deux malfaisants formaient un duo redoutable au combat. Leur haine des petits peuples qu’ils s’efforçaient de subjuguer, jointe à leur soif de pouvoir, les liait plus sûrement que la confiance.

— Envole-toi ! ordonna Verminaar.

Le dragon s’éleva vers le ciel.

— Cela ne sert à rien, mon ami, dit Tanis en posant sa main sur l’épaule de Sturm, qui s’égosillait à donner des ordres. Garde tes forces pour le combat.

— Il n’y aura pas de combat, nous mourrons piégés comme des rats. Pourquoi ces idiots n’écoutent-ils rien ?

Sturm et Tanis se trouvaient dans la partie nord de la cour, à une vingtaine de pas des portes de la forteresse. Au sud se dressaient les montagnes, leur seul espoir de liberté. À tout instant, les portes de Pax Tharkas pouvaient s’ouvrir sur l’armée draconienne de retour du Qualinesti, et quelque part entre ces murs se trouvaient Verminaar et le dragon.

Elistan s’efforçait de rassembler ses gens pour les conduire vers les montagnes. Mais chacun cherchait un parent ou un ami, et il était impossible de se mettre en route.

Comme une comète auréolée de feu, Pyros jaillit du haut de la forteresse, chevauché par le seigneur Verminaar, dont le heaume à cornes brillait dans le soleil. Leur ombre plana au-dessus de la foule, obscurcissant la cour.

Une peur panique saisit les prisonniers. Pétrifiés par la terrible apparition, ils se blottirent les uns contre les autres, attendant la mort.

Pyros se posa sur une tour. Fou de rage, mais impénétrable, Verminaar toisa la foule en silence.

Tanis contempla les prisonniers d’un air désespéré.

— Regarde !

Sturm l’avait pris par le bras et pointait un doigt vers les portes de la forteresse.

— Ebène ! Mais qui est avec lui ?

— Il ne nous échappera pas ! cria Sturm en courant vers les deux hommes.

S’élançant à son tour, Tanis fut dépassé par une silhouette vêtue de rouge. C’était Raistlin, accompagné de son frère jumeau.

— Moi aussi, j’ai un compte à régler avec cet individu, murmura le mage.

Tous trois rattrapèrent Sturm à l’instant où il saisissait Ebène et le jetait par terre.

— Traître ! hurla le chevalier. Je mourrai sûrement aujourd’hui, mais toi, tu rejoindras les Abysses avant moi !

Il leva son épée pour frapper. L’homme qui accompagnait Ebène s’était approché. D’un geste, il arrêta le bras du chevalier. Sturm se retourna, stupéfait.

La chemise de l’inconnu s’était ouverte, dévoilant la gemme verte incrustée dans sa poitrine. La pierre, grosse comme le poing, renvoyait une lumière d’une intensité de mauvais augure.

— Je ne savais pas qu’un objet magique de cet ordre existait, s’étonna Raistlin.

Sentant les regards converger vers lui, Berem referma sa chemise. Oubliant Sturm, il tourna les talons et fonça vers les portes. Ebène se remit d’un bond sur ses jambes et courut derrière lui.

Sturm allait les poursuivre, mais Tanis l’arrêta.

— Non, c’est trop tard, ça n’en vaut pas la peine. Nous avons d’autres soucis.

— Tanis, regarde ! cria Caramon, un bras tendu vers les portes.

Un pan de muraille surplombant le portail s’ouvrit. Lentement, de gros morceaux de granit commencèrent à s’en déverser. Un par un, ils atterrirent sur le sol en soulevant des nuages de poussière. Au-delà du bruit de la chute des pierres, on percevait le grincement d’une chaîne.

Les blocs avaient commencé à se détacher de la muraille au moment où Ebène et Berem rejoignaient les portes. Instinctivement, Ebène se couvrit la tête avec les bras en hurlant de terreur. L’homme qui l’accompagnait lâcha un soupir. Une seconde plus tard, tous deux étaient ensevelis sous des tonnes de granit. L’antique système de défense de Pax Tharkas venait de sceller les portes de la forteresse.

— Cette provocation est la dernière ! Vous l’aurez voulu ! gronda Verminaar. (La chute des blocs de granit l’interrompit un instant.) Je vous ai donné une chance de servir ma Reine. J’ai pris soin de vous et de vos familles ! Mais vous êtes aussi bornés que têtus ! Vous le paierez de vos vies ! ( Il leva Nuit-noire au-dessus de sa tête.) J’anéantirai les hommes ! J’anéantirai les femmes ! J’anéantirai les enfants !

Le seigneur draconien éperonna Pyros, qui déploya ses ailes et s’envola. Il tournoya dans le ciel, se préparant à fondre sur la foule pour la balayer de son souffle mortel.

Soudain Matafleur apparut, piquant sur Pyros. Ayant sombré dans la folie, la bête revoyait comme dans un mauvais rêve les chevaliers montés sur leurs dragons d’or et d’argent, leurs Lancedragons scintillant dans le soleil. Elle se revoyait suppliant ses enfants de ne pas aller au combat, les assurant qu’il était perdu d’avance. Ils ne l’avaient pas écoutée. Entendant Verminaar annoncer la mort des petits, elle avait fait éclater les murs de son antre pour se précipiter à leur secours, comme des siècles auparavant.