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Sturm sentit les effets du sortilège refluer comme une vague. Ses muscles lui obéirent à nouveau. Près de lui, Lunedor était aux prises avec Verminaar, qui la frappait sauvagement. En un bond, le chevalier se rua à son secours. L’épée elfique scintilla au soleil ; Tanis, lui aussi, s’était relevé.

Les deux hommes se précipitèrent vers Lunedor, mais Rivebise les devança. S’interposant entre elle et son agresseur, il reçut le coup de masse qui allait fracasser la tête de la prêtresse. Le barbare entendit crier « Nuitnoire ! », puis l’obscurité l’enveloppa. Comme Caramon auparavant, il était devenu aveugle.

Le guerrier Que-Shu s’y attendait ; il ne céda pas à la panique. Il ne voyait pas l’ennemi, mais il l’entendait. Guidé par le souffle rauque du seigneur des Dragons, il frappa de sa lame pointée. Ripant contre la solide armure draconienne, son arme lui échappa des mains.

Verminaar maudit son heaume, inutile dans ce type de combat, sous lequel il étouffait et qui limitait son champ de vision. Le barbare étant aveuglé, il aurait pu facilement l’achever. Mais il y avait les deux autres, sur lesquels le sortilège n’avait plus d’emprise. A cause de son casque, il ne les voyait pas, mais il les entendait. Il tourna la tête et localisa le demi-elfe. Mais où était le chevalier ? Verminaar fit tournoyer sa masse pour les tenir en respect et essaya de se libérer de son heaume.

Trop tard. La lame enchantée de Kith-Kanan avait percé son armure et traversé son dos. Fou de colère et de douleur, il fit volte-face pour affronter le Chevalier de Solamnie. L’antique lame du père de Sturm lui transperça les entrailles. Il vacilla et tomba sur les genoux.

Il n’arrivait plus à respirer et sa vue se troublait… Le nouveau coup qu’il reçut le plongea dans les ténèbres.

Haut dans le ciel, Matafleur, déchirée par la douleur, entendit la voix de ses enfants qui l’appelaient. Elle était désemparée : on eût dit que Pyros attaquait de tous les côtés à la fois. À force de ruse, le grand dragon rouge se retrouva finalement le dos à la montagne.

Alors la bête entrevit une chance de sauver ses enfants.

Pyros cracha une bouffée de feu sur l’antique dragonne. Il constata avec satisfaction que l’assaut l’avait fortement ébranlée.

Mais Matafleur ne sentait pas les flammes lui brûler les yeux. Guidée par ses hallucinations, elle poursuivait son rêve.

Elle fonça tête baissée sur Pyros.

Le dragon, écumant de rage et de douleur, croyait avoir réduit son ennemie à néant et ne s’attendait pas à cet assaut meurtrier. Il réalisa qu’il ne pouvait plus reculer, s’étant laissé acculer à la montagne.

Matafleur rassembla tout ce que son vieux corps meurtri recelait de forces. Avec l’énergie du désespoir, elle se jeta sur Pyros, telle une flèche envoyée par les dieux tout-puissants. Les deux dragons s’écrasèrent contre la montagne, pulvérisant le roc. Le sommet explosa en crachant des pierres et des flammes gigantesques.

Des années plus tard, quand la mort de Flamme fut entrée dans la légende, certains prétendirent avoir entendu la voix d’un dragon portée dans le vent d’automne :

— Mes enfants… Mes enfants…

Le mariage.

Le ciel était clair et serein en ce dernier jour de l’automne. La brise du sud, qui soufflait depuis que les réfugiés avaient fui Pax Tharkas devant les armées draconiennes, réchauffait l’atmosphère.

L’armée avait mis longtemps à reconquérir la forteresse. Ses portes étant bloquées par des tonnes de granit, on avait dû utiliser des échelles d’assaut.

Les nains des ravins défendirent vaillamment les tours en repoussant les échelles et en jetant sur les draconien, tout ce qui leur tombait sous la main. Ils tinrent suffisamment longtemps pour que les réfugiés puissent arriver dans les montagnes, où ils courraient beaucoup moins de risques.

Flint s’était porté volontaire pour guider la troupe jusqu’à un endroit propice pour passer l’hiver. Il connaissait comme sa poche ces montagnes, proches de son pays natal, et il eut tôt fait de découvrir une vallée entre deux pics, dont l’accès serait bloqué tout l’hiver par la neige. L’endroit pouvait être facilement défendu, et les cavernes offraient un abri sûr en cas d’attaque.

Ils venaient de pénétrer dans la vallée quand une avalanche se déclencha derrière eux, couvrant providentiellement leurs empreintes. Les draconiens mettraient des mois à les retrouver.

Protégée des vents froids et de la neige, la vallée bénéficiait d’un climat tempéré. La forêt regorgeait de gibier. Des torrents d’eau claire ruisselaient le long des pentes. Les réfugiés pleurèrent leurs morts, puis se réjouirent de leur liberté retrouvée. Ils construisirent des cabanes pour s’abriter et célébrèrent un mariage.

Le dernier jour de l’automne, à l’heure où le soleil disparaissait derrière la montagne, Rivebise et Lunedor s’unirent.

Elistan avait été très honoré quand ils lui demandèrent de présider à l’échange de leur serment. Il s’était enquis des coutumes de leur peuple. Tous deux répondirent qu’elles n’avaient plus cours depuis le massacre de leur tribu.

— Cette cérémonie se déroulera comme nous le voulons, dit Rivebise. Destinée à rompre avec le passé, elle sera le point de départ d’une ère nouvelle.

— Au fond de notre cœur, nous honorons la mémoire de notre peuple, ajouta Lunedor. Mais nous regardons devant nous, et non derrière. Nous chérirons le passé en cultivant ce qu’il a de meilleur, avec les épreuves et les peines qui font partie de notre être. Mais ce n’est plus lui qui régentera nos vies.

Elistan consulta les Anneaux de Mishakal pour connaître l’avis des anciens dieux sur ce mariage. Il demanda à Lunedor et à Rivebise de rédiger leur serment de mariage pour exprimer la profondeur de leur amour. Car ce serment serait échangé devant les dieux et il les lierait par-delà la mort.

Selon la coutume Que-Shu, il fut décidé que les fiancés confectionneraient eux-mêmes les anneaux, qu’ils échangeraient en prononçant leurs vœux.

Les derniers rayons du soleil irradiaient le ciel. Dans un silence recueilli, tout le monde se rassembla au pied d’une butte, sur laquelle Elistan se plaça. Portant les torches, Tika et Laurana arrivèrent les premières. Ses cheveux d’or mêlés de fils d’argent flottant sur les épaules, le front ceint d’une couronne de feuillage, Lunedor marchait seule derrière elles. Le talisman de Mishakal brillait sur la tunique de cuir frangée de la barbare.

Tika avançait devant elle, le visage empreint de solennité. Ses craintes de jeune fille s’estompant, elle commençait à juger plus merveilleux qu’effrayant le grand mystère qu’un homme et une femme décidaient de partager.

Si la beauté de Lunedor avait la majesté des arbres, des fleuves et des montagnes, le charme de Laurana tenait à l’étrange éclat de sa beauté d’elfe.

Les deux jeunes filles accompagnèrent la fiancée jusqu’à Elistan et attendirent l’arrivée du promis.

Brandissant bien haut leurs torches, Tanis et Sturm précédaient Rivebise, aussi impassible qu’à l’ordinaire. Mais ses yeux brillaient d’une joie plus éclatante que les flammes.

Ses longs cheveux noirs étaient maintenus par une couronne de feuillage.

Flint et Tasslehoff le suivaient, tandis que Caramon et Raistlin, le cristal de son bâton activé, fermaient la marche.

Les hommes laissèrent le fiancé avec Elistan et se retirèrent près des jeunes filles. Tika se trouva à côté de Caramon. Timidement, elle lui effleura la main.

Il lui sourit.

En regardant Rivebise et Lunedor, Elistan songea aux dangers qu’ils avaient affrontés, aux chagrins et aux tragédies qu’ils avaient surmontés. En serait-il autrement à l’avenir ? Étreint par l’émotion, il ne savait que dire.