— Laurana…, commença Tanis, meurtri.
— Attends, dit-elle, prenant sa main. Je t’aime, Tanis, car aujourd’hui, je te comprends. Je t’aime pour la lumière et les ténèbres qui sont en toi. Voilà pourquoi j’ai jeté l’anneau. Un jour notre amour sera peut-être assez fort pour que nous puissions construire quelque chose. Un jour, je te donnerai un anneau et j’accepterai le tien. Mais il ne sera pas entouré de feuilles de lierre.
— Non, dit-il, l’attirant vers lui malgré sa résistance. Il sera fait d’or et d’acier.
Laurana plongea ses yeux dans les siens et se laissa aller.
— Je devrais peut-être me raser, dit Tanis en caressant sa barbe.
— Non, murmura Laurana, je commence à m’y habituer.
Les compagnons ne fermèrent pas l’œil de la nuit. Depuis leur position, ils assistèrent à la débâcle des draconiens.
Ils parlèrent peu, profitant de ce moment de répit pour se détendre. Entre eux, les mots n’étaient pas nécessaires. Mais chacun songeait qu’à l’aube, ils se sépareraient.
Le soleil allait se lever lorsque le temple de Takhisis explosa. Ses éclats incandescents jaillirent dans le ciel et se mêlèrent aux étoiles.
Des fragments scintillants reprirent leur place, redevenant étoiles parmi les étoiles.
Le Guerrier, Paladine, et le Dragon de Platine réintégrèrent l’espace face à la Reine des Ténèbres, Takhisis, le Dragon aux Mille Couleurs. Ils reprirent leur course éternelle autour de Gilean, dieu de la Neutralité, Balance de l’Harmonie.
Il n’y avait personne pour saluer son arrivée. Alors il entra seul dans la ville, car il avait renvoyé son dragon vert.
S’appuyant sur son bâton à pommeau de cristal, il avançait à pas rapides dans les rues désertes. Il connaissait parfaitement le chemin. Depuis des siècles, il le parcourait en esprit.
Il arriva en vue d’une Tour qui se découpait comme une fenêtre dans le ciel nocturne. L’homme à la robe noire s’arrêta. Il regarda avec attention l’édifice de marbre et ses tourelles en ruines.
Ses yeux dorés se posèrent sur les grilles de la Tour, où une autre robe noire flottait au gré du vent.
Aucun mortel n’avait pu regarder l’horrible spectacle sans devenir fou de terreur. Aucun n’était sorti indemne du bosquet de chênes, qui avait tant effrayé Tass.
Raistlin restait impassible. D’une main ferme, il saisit les lambeaux de robe noire et les arracha de la grille.
Un hurlement effroyable monta des profondeurs des Abysses. Il était si perçant que les habitants de Palanthas, réveillés en sursaut, se dressèrent sur leurs lits, croyant la fin du monde arrivée. Les gardes de la ville, paralysés, fermèrent les yeux, attendant la mort.
Tandis que le cri s’élevait de nouveau, une main livide se posa sur les grilles. Un visage hideux, au rictus rageur, apparut dans les nuées.
Raistlin ne fit pas un geste.
La main se tendit vers lui, le visage annonça les tortures que le mage subirait dans les Abysses où il serait précipité pour avoir profané la Tour. La main toucha le cœur de Raistlin et s’arrêta.
— Sache que je suis le maître du passé et du présent ! Mon avènement est écrit ! Les portes s’ouvriront devant moi.
La main du spectre se retira ; d’un mouvement ample, elle sépara les ténèbres. Les portes s’ouvrirent lentement.
Sans un regard pour le fantôme, qui l’accueillit avec révérence, Raistlin les franchit. L’armée d’ombres qu’abritait la Tour s’inclina sur son passage.
Raistlin s’arrêta. Ses yeux firent le tour de la salle.
— Je suis chez moi.
Un calme serein tomba sur Palanthas. La nuit engloutit les derniers frissons de terreur.
Ce n’était qu’un rêve, se dirent les bonnes gens, avant de replonger dans le sommeil serein qui leur promettait une aube paisible.