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— Les Batailles Perdues, qu’est-ce que c’est ? demanda Tanis.

— Qualinost aurait-elle perdu la mémoire ? répliqua-t-elle avec colère. Quels barbares êtes-vous devenus depuis que vous vous mêlez aux humains !

— La faute m’en incombe entièrement, répondit Tanis, je n’écoutais pas les leçons du Gardien des Traditions.

Alhana le regarda d’un air suspect, comme s’il moquait d’elle. Mais il avait l’air sérieux, et elle n’avait pas envie de se retrouver seule ; aussi se décida-t-elle à répondre à sa question :

— Pendant l’Ère de la Force, Istar vécut ses jours de gloire. Le Prêtre-Roi d’Istar et ses disciples jalousaient les magiciens. Ils trouvaient inutile de défendre un pouvoir sur lequel ils n’avaient pas de prise. Quant aux magiciens, ils étaient respectés, mais on s’en méfiait, même des Robes Blanches. Les prêtres d’Istar n’eurent aucune difficulté à monter le peuple contre les sorciers en les rendant responsables du Mal qui se propageait dans le monde. Les Tours des Sorciers, où les mages passaient une redoutable épreuve, étaient le siège de leur pouvoir. Elles devinrent des cibles pour le peuple, qui les prit d’assaut. Comme l’a dit ton jeune ami, pour la seconde fois dans leur histoire, les Robes s’allièrent pour défendre leur dernier bastion.

— Mais comment se fait-il que les mages aient été vaincus ? s’enquit Tanis, incrédule.

— Tu me le demandes, toi qui en as un exemple sous les yeux ? Ton ami le mage est puissant, mais il est contraint de s’arrêter pour prendre du repos. Les plus forts doivent avoir le temps de se régénérer pour lancer leurs sorts et entretenir leur mémoire. Même le plus expérimenté est obligé de dormir et de potasser ses grimoires. En outre, comme aujourd’hui, les magiciens n’étaient pas nombreux. Bien peu osaient affronter l’Épreuve de la Tour des Sorciers, car l’échec signifiait la mort.

— La mort ?

— Exactement, répondit Alhana. Ton ami est très courageux d’avoir pris ce risque aussi jeune. Très courageux, ou très ambitieux. Il ne t’en a pas parlé ?

— Non, il n’aborde jamais le sujet. Mais continue…

— Quand il fut évident que la bataille était perdue, les magiciens détruisirent eux-mêmes les Tours. Les explosions dévastèrent la région sur des lieues. Il n’en resta plus que trois : la Tour d’Istar, celle de Palanthas, et celle de Wayreth. Le Prêtre-Roi d’Istar prit peur : les magiciens pouvaient anéantir les villes de Palanthas et d’Istar en même temps que leurs Tours. Il leur garantit donc la liberté s’ils laissaient leurs Tours intactes.

« Les mages sont partis pour la seule Tour qui n’ait jamais été attaquée, celle de Wayreth, dans les Monts Kharolis. C’est là qu’ils mirent en sûreté le peu de savoir magique qui restait en ce monde. Les grimoires qu’ils n’avaient pu emmener avec eux, scellés par des sorts, furent regroupés dans la bibliothèque de Palanthas, où ils ont été conservés, selon les préceptes de nos traditions. »

La lune d’argent s’était levée. Sa lumière auréola l’elfe d’une beauté glacée qui transperça le cœur de Tanis.

— Que sais-tu de la troisième lune ? demanda-t-il en frissonnant. Une lune noire…

— Très peu de choses. Les magiciens tirent leur pouvoir des lunes : Solinari pour les Robes Blanches, Lunitari pour les Robes Rouges. Pour les Robes Noires, il s’agit, selon la tradition, d’une lune qu’ils sont les seuls à voir dans le ciel.

Raistlin connaissait le nom de la lune noire. Mais il n’en avait pas fait mention.

— Comment ton père a-t-il reçu l’orbe draconien ?

— Lorac était apprenti magicien. Il se rendit à la Tour des Sorciers d’Istar pour y passer l’Épreuve, qu’il réussit. C’est là qu’il a vu les orbes pour la première fois. Je vais te dire ce que je n’ai répété à personne, et qu’il n’a confié à nul autre qu’à moi : tu as le droit de savoir ce qui t’attend.

« Pendant l’Épreuve, l’orbe draconien a communiqué avec lui par l’esprit. Il a exprimé ses craintes d’une calamité qui s’abattrait prochainement sur l’Univers. « Ne me laisse pas à Istar, lui a dit l’orbe, sinon, je périrai, et le monde avec moi. » En quelque sorte, mon père a subtilisé l’orbe draconien pour le sauver.

« La Tour d’Istar fut abandonnée. Le Prêtre-Roi en prit alors possession. Puis les mages quittèrent la Tour de Palanthas. Son destin fut terrible. Le régent de Palanthas, un disciple du Prêtre-Roi, vint pour y apposer des sceaux. En réalité, il était avide de s’emparer des merveilles, bénéfiques ou maléfiques, dont parlent les légendes.

« Le grand mage des Robes Blanches avait verrouillé les portes d’or avec une clé d’argent. Le régent tendit la main pour s’emparer de la clé, lorsqu’un mage des Robes Noires le surprit et s’écria : « Les portes resteront closes et les salles vides jusqu’au jour où le maître du présent et du passé récupérera ses pouvoirs. » Puis il se lança d’une fenêtre. Avant de s’empaler sur les pieux, il jeta un sort sur la Tour. Au moment où son sang se répandait sur le sol, les portes d’or se mirent à trembler et se ternirent, puis noircirent. La Tour étincelante de blanc et de rouge se transforma en pierre grise, ses minarets noirs tombèrent en poussière.

« Le régent et le peuple, terrorisés, s’enfuirent. De ce jour, personne n’a plus osé approcher la Tour de Palanthas. C’est en ce temps-là que mon père a rapporté l’orbe draconien au Silvanesti. »

— Il savait sûrement quelque chose sur l’orbe avant d’en prendre possession, insista Tanis. Par exemple comment l’utiliser…

— Si c’est le cas, il ne m’en a jamais parlé. Voilà, je t’ai tout dit. Maintenant, je dois me reposer. Bonne nuit ! fit-elle sans lui jeter un regard.

— Bonne nuit, dame Alhana. Ne t’inquiète pas. Ton père est un sage, il a une grande expérience. Je suis certain que tout est en ordre.

Alhana allait se retirer sans répondre, mais la sympathie que lui manifestait Tanis ne la laissait pas indifférente.

— Bien qu’il ait réussi l’Épreuve, mon père n’était pas aussi savant que ton jeune ami l’est aujourd’hui. Et s’il pensait que l’orbe draconien était notre seul espoir, je crains bien que…

— Les nains ont un dicton, dit doucement Tanis en la prenant par l’épaule. « Celui qui hypothèque l’avenir paiera les intérêts en chagrin. » Ne te fais pas de souci. Nous sommes avec toi.

Alhana ne répliqua pas. Elle resta un instant face à Tanis, puis se dirigea vers la caverne. Avant d’entrer, elle se retourna vers lui.

— Tu t’inquiètes pour tes amis, lui dit-elle. Il ne faut pas. Le kender a failli mourir, mais ils ont pu quitter la ville sains et saufs. Ils sont en route pour le Mur de Glace, à la recherche d’un orbe draconien.

— Comment peux-tu être au courant ? s’étonna Tanis.

— Je t’ai dit tout ce que j’avais à dire.

— Enfin, Alhana, comment le sais-tu ?

Ses joues rosirent sous l’émotion.

— Je… j’ai confié mon étoile de diamants au chevalier. Il ne connaît pas ses pouvoirs et ne sait pas s’en servir, bien entendu. J’ignore pourquoi je la lui ai donnée… Peut-être parce que…

— Parce que quoi ? demanda Tanis, stupéfait.

— Il a été si galant, si courageux. Il a risqué sa vie pour moi sans savoir qui j’étais. Il m’a secourue parce que j’avais des ennuis. Et il a pleuré quand le dragon tuait tout le monde. Je n’avais jamais vu un homme pleurer. Même quand les dragons nous ont chassés de chez nous, nous n’avons pas versé une larme. Je crois que nous ne savons plus le faire.

Gênée d’en avoir trop dit, elle entra précipitamment dans la caverne.

— Par tous les dieux ! s’exclama Tanis.