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Une étoile de diamants ! Un cadeau rare, inestimable ! Chez les elfes, les amoureux échangeaient l’étoile de diamants quand ils étaient obligés de séparer. Par ce joyau qui reliait leurs âmes, ils partageaient leurs émotions et se soutenaient mutuellement. Qu’une elfe offre ce bijou à humain était impensable. Quel effet aurait l’étoile sur le chevalier ? Et Alhana ? Jamais elle ne pourrait aimer un humain. Elle avait dû agir dans un état de faiblesse causé par l’effroi.

Cela ne pouvait que mal finir. À moins que des changements radicaux se produisent chez les elfes, ou chez Alhana.

Soulagé de savoir Laurana et les autres en sécurité, il songea à Sturm.

Le pire était à redouter.

9

Le Silvanesti. L’entrée dans le rêve.

Au lever du soleil, ils s’envolèrent pour leur troisième jour de voyage. Apparemment, ils avaient distancé les dragons, bien que Tika prétendît avoir distingué des taches sombres à l’horizon. En fin d’après-midi, ils furent en vue de Thon-Thalas, la Rivière du Seigneur, qui séparait le Silvanesti monde extérieur.

Toute son enfance, Tanis avait entendu vanter la beauté et les merveilles de l’ancien royaume des elfes que ceux du Qualinesti évoquaient sans regret. Ces merveilles étaient devenues le symbole des différends qui divisaient les familles elfiques.

Les elfes du Qualinesti vivaient en harmonie avec la nature, qu’ils cherchaient à embellir. Leurs maisons construites dans les peupliers s’harmonisaient avec leurs troncs dorés et argentés. Ils demeuraient en des murs de quartz rose, toujours en accord avec les éléments naturels de leur contrée.

Les elfes du Silvanesti aimaient l’unicité et la diversité en toutes choses. Comme l’unicité ne se trouvait pas dans la nature, ils la rendaient conformé à leur idéal. Ils possédaient la patience, et ils avaient du temps. Qu’étaient les siècles pour des êtres dont la vie durait des centaines d’années ? Ils transformaient des forêts entières, élaguant et composant des jardins d’arbres et de fleurs d’une beauté inouïe.

Au lieu de construire des maisons, ils sculptaient les rochers, produisant de tels chefs-d’œuvre que les nains traversaient les montagnes pour venir les admirer.

Depuis les guerres fratricides, pas un elfe du Qualinesti, ni aucun être humain n’avait mis un pied dans la séculaire patrie.

Ils survolaient la cime des premiers peupliers du Silvanesti.

— Est-il exact, Alhana, demanda Tanis, que les humains, fascinés par la beauté du Silvanesti, sont incapables de s’en arracher et n’arrivent pas à le quitter ?

— Je savais que les humains étaient faibles, répondit froidement la jeune femme, mais à ce point ! S’il est vrai que les humains ne pénètrent pas au Silvanesti, c’est bien parce que nous les en empêchons. Nous ne les y retenons pas davantage. Si je pensais que vous voudriez y rester, je ne vous y aurais pas emmenés.

— Pas même Sturm ? ne put s’empêcher de demander Tanis, piqué au vif par le ton cinglant de la jeune femme.

Alhana se retourna, fouettant le visage de Tanis de ses longs cheveux. Elle était blanche de colère, et ses yeux violets avaient viré au noir.

— Ne me parle plus jamais de cela ! Ne me parle plus jamais de lui !

— Mais la nuit dernière…, balbutia Tanis, surpris.

— La nuit dernière n’a jamais existé ! J’étais affaiblie, fatiguée, j’avais peur. Exactement comme quand j’ai rencontré Stu… le chevalier. Je regrette de t’avoir parlé de lui. Et de l’étoile de diamants.

— Regrettes-tu de lui avoir donnée ?

— Je regrette le jour où j’ai posé le pied à Tarsis, répondit-elle. Je ne souhaiterais qu’une chose : n’y être jamais allée !

Les compagnons survolaient la rivière en direction de la haute Tour des Étoiles, qui brillait comme une grosse perle dans le soleil, quand les griffons piquèrent vers la terre sans raison apparente.

Il semblait peu probable que le Silvanesti eût été attaqué. Le paysage semblait paisible ; il ne présentait aucune trace d’occupation par les draconiens.

— Non, ne descendez pas ! cria Alhana aux griffons. Je vous ordonne de continuer ! Je veux arriver jusqu’à la Tour !

Les bêtes, ignorant ses ordres, tournoyèrent en planant toujours plus bas.

— Ils refusent d’obéir, souffla Alhana, soucieuse. Ils ne me disent pas pourquoi. Je n’y comprends rien. Il faudra nous rendre à la Tour par nos propres moyens.

Ce n’est pas bon signe, songea Tanis. Les griffons fiers et indépendants, avaient toujours fidèlement servis leurs maîtres ; rien ne leur faisait peur, pas même les dragons.

Cette fois, ils ne semblaient pas tranquilles. Ignorant les injonctions d’Alhana, ils se posèrent au bord de la rivière. Les compagnons n’avaient pas d’alternative. Ils déchargèrent les vivres et regardèrent les griffons déployer leurs ailes et s’envoler dans le ciel clair.

— Eh bien, nous allons marcher. Ce n’est pas très loin d’ici, dit Alhana d’un ton acide.

Les compagnons gardèrent le silence. Guettant 1e moindre bruit, ils scrutaient les bois que dorait le soleil du soir. Mais on n’entendait que le clapotis de l’eau sur le rivage.

— Tu as bien dit que ton peuple avait dû s’enfuir pour se soustraire à un siège ? finit par demander Tanis à Alhana.

— Si ce pays est occupé par les dragons, je suis un nain des ravins ! grogna Caramon.

— Nous avons été envahis par les draconiens ! Les dragons sillonnaient le ciel, comme à Tarsis ! Les armées ont détruit, pillé, brûlé…

— Ils ont dû chasser le canard sauvage, lança Caramon à Rivebise.

— Mais pourquoi nous a-t-elle amenés ici ? C’est peut-être un piège ? dit le barbare, toujours méfiant.

Caramon se tourna vers son frère, qui n’avait pas quitté des yeux la forêt de peupliers. Son regard semblait perdu dans le lointain.

— Tanis ! s’exclama Alhana, prise d’un soudain espoir. Peut-être mon père a-t-il réussi ? Oh, Tanis, traversons la rivière et allons voir ! Viens ! Le bac se trouve derrière ce méandre de la rivière…

— Attends, Alhana ! Qui sait ce qui se cache derrière ces arbres ! Raistlin…

Le mage le considéra d’un air absent. L’interpellation de Tanis le sortit de son rêve et il battit des paupières.

— Qu’y a-t-il ici, Raistlin ? demanda le demi-elfe. Que t’inspire cet endroit ?

— Rien, Tanis.

— Comment, rien ?

— On dirait un brouillard opaque, impénétrable, une sorte de mur aveugle… Je ne vois rien, je ne sens rien.

Tanis comprit que Raistlin mentait. Mais pourquoi ?

— Raistlin, supposons que Lorac, le roi des elfes, ait tenté de se servir de l’orbe draconien. Que serait-il arrivé ?

— Crois-tu qu’une chose pareille soit possible ? demanda le mage.

— Oui, répondit Tanis, d’après le peu qu’a raconté Alhana, l’orbe draconien a communiqué avec Lorac dans la Tour des Sorciers, et lui a demandé de le soustraire à une calamité imminente.

— A-t-il obéi ?

— Oui, il l’a ramené au Silvanesti.

— Alors il s’agit de l’orbe draconien d’Istar, soupira Raistlin. Je ne connais rien aux orbes, à part ce que tu m’en as dit. Mais je sais une chose, Demi-Elfe : aucun de nous ne sortira indemne du Silvanesti, si toutefois nous en sortons.

— Explique-toi ! Quel danger nous menace ?

— Que t’importe la nature du danger ? Nous sommes obligés d’entrer au Silvanesti. Tu le sais aussi bien que moi. Ou aurais-tu renoncé à retrouver l’orbe ?

— Mais tu pourrais nous dire si tu entrevois une forme de danger ! Nous y serions mieux préparés, insista Tanis, irrité.

— Alors préparez-vous, dit doucement Raistlin en arpentant la berge sablonneuse.

Les compagnons franchirent la rivière quand les derniers rayons du soleil atteignaient la berge d’en face. L’obscurité envahit peu à peu la fabuleuse forêt du Silvanesti. Les ombres de la nuit se mouvaient entre les arbres comme de l’eau tourbillonnant autour de la coque d’un bateau.