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— Et nous qui pensions que la conquête de l’orbe avait été une épreuve ! dit-il à voix basse. Nous n’avions affaire qu’à un magicien fou et à quelques hommes-morses. Ici, c’est toute une tribu d’elfes qui nous encercle !

— Nous discuterons raisonnablement avec eux, dit Sturm.

— Raisonnablement ! s’esclaffa le nain. Il serait plus facile d’obliger deux cailloux à faire la conversation !

Flint avait vu juste. À la demande de l’Orateur, les compagnons restèrent assis après que les elfes eurent pris congé. Dirk se leva pour engager les pourparlers.

— L’orbe restera en notre possession, déclara-t-il froidement. Tu n’as aucun droit sur lui. Il n’appartient ni à ta fille, ni à ton fils. J’ai accepté qu’ils m’accompagnent après les avoir libérés, à Tarsis. Je suis heureux d’avoir pu les escorter jusque chez eux, et je te remercie de ton hospitalité. Mais je partirai demain matin pour Sancrist, avec l’orbe.

Porthios se campa face à Dirk.

— Le kender, lui aussi, peut dire que l’orbe lui appartient. Et alors ? Il est à présent entre les mains des elfes et il y restera. Croyez-vous que nous soyons assez bêtes pour laisser un objet de cette importance à des humains qui mènent le monde à sa perte ?

— Nous menons le monde à sa perte ? explosa Dirk. Savez-vous seulement dans quel état il se trouve ? Les dragons vous ont chassés de votre pays. Maintenant, ils vont s’emparer du nôtre ! Contrairement à vous, nous n’avons pas l’intention de fuir. Nous resterons pour combattre. Cet orbe représente notre seul espoir…

— Eh bien, retournez dans votre pays et laissez-vous rôtir comme des alouettes, je ne vous retiens pas, cracha Porthios. C’est vous qui avez réveillé le Mal, affrontez-le, maintenant ! Le Seigneur des Dragons a obtenu de nous ce qu’il voulait, il nous laissera tranquilles. Ici, en Ergoth, l’orbe est en sécurité.

— Imbéciles ! cria Dirk en frappant du poing sur la table. Le Seigneur des Dragons a une seule idée en tête, c’est la conquête de toute l’Ansalonie ! Ce qui inclut cette île ! Vous aurez sans doute la paix un temps, mais si nous venons à périr, vous périrez également !

— Tu sais que ce qu’il dit est vrai, fit timidement Laurana. Porthios, père nous a déjà dit au Qualinesti que le Seigneur des Dragons ne se contenterait pas de nos terres, mais qu’il nous exterminerait ! L’as-tu oublié ?

— Bah ! Il s’agissait de Verminaard. Il est mort…

— Oui, grâce à nous, et pas grâce à vous ! s’écria Laurana.

— Laurana ! s’exclama l’Orateur de toute sa hauteur. Tu t’égares ! Tu n’as pas le droit de parler ainsi à ton frère aîné. Nous avons aussi affronté des dangers au cours de l’exode. Porthios respecte ses devoirs et assume ses responsabilités. Gilthanas aussi ! Eux, ils ne se sont pas enfuis pour courir après un bâtard de demi-elfe comme une pu…

Le Grand Orateur s’arrêta net. Laurana devint livide. Gilthanas fit mine de venir à son secours, mais elle le repoussa.

— Père, dit-elle d’une voix méconnaissable, qu’allais-tu dire ?

— Viens, Laurana, supplia Gilthanas. Il ne le pense pas. Nous en reparlerons demain.

Froid et figé comme une statue, l’Orateur resta muet.

— Tu allais me traiter de putain, dit Laurana en insistant sur chaque syllabe.

— Retourne dans ta chambre, Laurana, ordonna l’Orateur d’une voix tendue.

— Voilà ce que tu penses de moi, dit-elle, la gorge serrée. C’est pourquoi tout le monde se tait quand j’arrive quelque part : je suis une putain…

— Ma sœur, fais ce que te dit notre père. Quant à ce que nous pensons de toi, tu ne peux t’en prendre qu’à toi-même. Mais que crois-tu ? Regarde-toi ! Tu es habillée comme un homme. Tu portes une épée souillée de sang. Tu parles de tes « aventures » ! Tu cours les routes avec des humains et des nains ! Tu passes tes nuits avec eux ! Avec ton bâtard d’amant ! D’ailleurs, où est-il celui-là ? Il t’a sans doute déjà laissée tomber…

La lumière des torches dansa devant les yeux de Laurana, puis ce furent les flammes qui lui brûlèrent le corps, faisant place à un froid intense. Sa vue se troubla. Elle se sentit aspirée par un gouffre sans fond. Au-dessus d’elle, des gens parlaient, des visages sans forme s’agitaient.

— Laurana, ma fille…

Puis ce fut le trou noir.

— Maîtresse…

— Quoi ? Qui est-ce ? Où suis-je ? Je ne vois rien ! Au secours !

— Là, là, maîtresse, prends ma main, c’est moi, Silvara. Tu te souviens ?

Deux mains très douces saisirent celles de Laurana et la relevèrent lentement.

— Bois, maîtresse.

Laurana sentit le bord d’une coupe contre ses lèvres.

Elle avala l’eau fraîche. Ses forces revenaient, ses yeux se dessillèrent.

Une chandelle brûlait à côté de son lit ; elle était dans la maison de son père.

— Je ne me souviens pas de…

— Chut ! Il faut parler doucement, dit Silvara, un doigt sur les lèvres. Tu t’es évanouie. C’est ce qu’ils ont dit quand ils t’ont ramenée ici. Ton père est effondré. Il ne pensait pas ce qu’il a dit. C’est arrivé parce qu’il souffre terriblement de ton attitude.

— Comment sais-tu tout cela ?

— Je suis restée cachée dans l’ombre, c’est facile pour nous autres…

— Mais pourquoi t’occupes-tu de moi ? Pourquoi te donnes-tu cette peine ? demanda Laurana en regardant la jeune fille, dont la beauté sous la crasse, la frappa.

L’elfe sauvage capta le regard curieux de Laurana. Elle rougit.

— J’ai quitté les elfes du Silvanesti quand nous avons traversé le fleuve, maîtresse…

— Laurana. S’il te plaît, appelle-moi Laurana.

— Bien…, Laurana. Je… je suis venue te demander de m’emmener avec toi quand tu partiras.

— Partir ? Mais je ne pars…

— Tu ne pars pas ? demanda doucement Silvara.

— Je… je ne sais plus…

— Je peux t’être utile, reprit Silvara. Je connais le chemin qui mène à l’avant-poste des chevaliers, où se trouvent les grands bateaux ailés. Je vous aiderai à y aller !

— Pourquoi ferais-tu cela pour nous ? demanda Laurana. Écoute, je suis désolée, ce n’est pas de la méfiance, mais tu ne nous connais pas, et notre mission est dangereuse. Je crois que tu t’en sortirais mieux toute seule.

— Je sais que vous transporterez l’orbe draconien, murmura Silvara.

— Comment connais-tu son existence ?

— J’ai entendu les Silvanestis en parler près du fleuve.

— Et tu as compris de quoi il s’agissait ?

— Mon peuple connaît beaucoup d’histoires, répondit Silvara. Je sais qu’il importe de mettre fin à la guerre. C’est pour cette raison, et pour… (Elle s’arrêta et resta un moment silencieuse.) Tu es la première personne que je rencontre qui connaît la signification de mon nom.

Laurana la considéra avec étonnement. La jeune fille avait l’air sincère. Mais Laurana ne la croyait pas. Pourquoi aurait-elle risqué sa vie pour eux ? Peut-être était-elle une espionne, envoyée par les elfes du Silvanesti pour récupérer l’orbe ? C’était peu vraisemblable, mais les choses les plus étranges sont toujours possibles…

La tête entre les mains, Laurana réfléchit. Pouvaient-ils faire confiance à Silvara, au moins pour quitter le pays ? Ils devraient traverser le Kaganesti ; Silvara serait une aide précieuse.

— Il faut que je parle à Elistan. Peux-tu le faire venir ?

— Il attend à côté que tu te réveilles…

— Et les autres ? Où sont mes amis ?

— Le seigneur Gilthanas est chez votre père, bien sûr, répondit Silvara en baissant les yeux, et les autres sont dans leur hutte.

Silvara alla ouvrir la porte et fit un signe. Elistan entra.

— Elistan !