Laurana se jeta au cou du prêtre et se serra contre lui. Elle se sentit aussitôt rassurée. Tout irait bien maintenant, elle en était sûre. Elistan saurait comment agir.
— Comment te sens-tu, Laurana ? Ton père…
— Oui, je sais. Elistan, il faut que tu décides ce que nous devons faire. Silvara propose de nous aider à quitter ce pays. Nous pourrions récupérer l’orbe et partir cette nuit.
— Si c’est là ce que tu penses devoir faire, il n’y a pas de temps à perdre.
— Qu’en penses-tu ? Viendras-tu avec nous ? demanda-t-elle en prenant sa main.
— Non, Laurana. Si tu veux partir, ta décision ne peut reposer que sur toi-même. J’ai fait appel à Paladine : mon devoir est de rester avec les elfes. Ainsi, je parviendrai peut-être à convaincre ton père que je suis au service des vrais dieux. Si je pars, il continuera à croire que je suis un charlatan.
— Et l’orbe ?
— À toi de voir. Les elfes sont dans l’erreur. Espérons qu’ils s’en rendront compte avec le temps. Mais nous n’allons pas discuter pendant cent ans, le temps presse. Je pense que tu devrais emmener l’orbe à Sancrist.
— Moi ? Mais je ne peux pas !
— Chère Laurana, si tu prends cette décision, tu devras assurer le commandement de l’expédition. Sturm et Dirk sont trop distraits par leurs querelles de chevaliers, et ce sont des humains. Toi, tu as affaire aux elfes – ton propre peuple. Gilthanas a pris le parti de son père. Tu es la seule à avoir une chance de réussir.
— Mais je suis incapable de…
— Tu es capable de beaucoup plus que tu crois, Laurana. Les épreuves que tu as subies n’étaient peut-être destinées qu’à préparer ce qui va suivre. Ne perds plus de temps. Bonne chance, chère Laurana. Que Paladine te bénisse et t’assiste, comme je le fais moi-même.
— Elistan !
Le prêtre était parti. Silvara referma la porte derrière lui.
Laurana se laissa retomber sur le lit. Elistan avait raison : l’orbe ne devait pas rester ici. Si elle décidait de partir, il fallait le faire de suite. Mais tout était si précipité ! Quel poids sur ses épaules ! Pouvait-elle se fier à Silvara ? Une question superflue : qui d’autre pourrait la guider ?
Il ne lui restait plus qu’à aller chercher l’orbe, la lance et ses amis. Pour l’orbe et la lance, elle savait comment faire. Pour les amis…
Elle réalisa qu’elle s’engageait sur un chemin sans retour. Et Gilthanas ? Ils étaient devenus si complices qu’elle ne pouvait le laisser. Mais il serait épouvanté à l’idée de subtiliser l’orbe et de partir comme un voleur. S’il ne venait pas avec eux, les trahirait-il ?
La tête sur les genoux, elle ferma les yeux. Tanis, où es-tu ? Que dois-je faire ? Pourquoi moi ? Je ne suis pour rien dans tout ce qui arrive !
Elle se souvint du visage triste et tourmenté du demi-elfe. Sans doute s’était-il posé souvent les mêmes questions. Moi qui ai toujours cru qu’il ne doutait jamais. Peut-être s’était-il senti aussi seul et apeuré qu’elle ? Nous comptions tous sur lui, qu’il l’ait voulu ou non. Il l’avait accepté, faisant ce qu’il croyait être juste.
Moi aussi.
Incapable de trouver le sommeil, Sturm arpentait la cabane attribuée aux « hôtes forcés » de l’Orateur. Seul le nain ronflait comme une forge. Soudain, le chevalier s’immobilisa, l’oreille aux aguets. La cabane de rondins rectangulaire ne comportait que deux ouvertures : la porte, et un orifice pratiqué dans le toit pour l’aération.
Le bruit que Sturm avait entendu provenait du toit. C’était une alternance de craquements de solives et de raclements.
— C’est sûrement une bête sauvage ! grommela Dirk. Et dire que les gardes nous ont pris nos armes !
— Je ne crois pas, dit Sturm. Un animal serait plus silencieux. À propos, que font nos gardes ?
Dirk regarda dehors par une fente de la porte.
— Ils sont assis autour du feu. Deux sont endormis. Ils ne doivent pas nous trouver bien inquiétants…
Une masse sombre venait de masquer l’ouverture du toit. Sturm se pencha sur le feu et saisit une bûche enflammée.
— Sturm ? Sturm de Lumlane ?
La masse sombre avait parlé. Cette voix lui disait quelque chose.
— Théros ! Théros Féral ! s’exclama le chevalier. Quel bon vent t’amène ? La dernière fois que je t’ai vu, c’était à Solace, et tu étais plus près de la mort que du pays des elfes…
L’imposant forgeron réussit à grand-peine à passer par le trou. Il atterrit lourdement sur le plancher.
— La princesse Laurana m’a chargé de vous faire sortir d’ici. Nous devons la retrouver dans le bois. Dépêchez-vous. Nous avons quelques heures avant le lever du jour, et il faudra traverser le fleuve avant.
Réveillé en sursaut, Flint regarda le forgeron d’un air hébété. Le kender, lui aussi, ouvrait de grands yeux. Il semblait fasciné par le bras droit du nouveau venu, qui brillait comme de l’argent.
— Théros, interrogea Tass, qu’est-il arrivé à ton bras ?
— Les questions à plus tard ! Pour l’heure, il faut faire vite, et en silence !
— Traverser le fleuve, gémit Flint. Encore des bateaux, toujours des bateaux…
— Je viens voir l’Orateur ! dit Laurana à la sentinelle postée devant la maison de son père.
Suivie de Silvara, enveloppée dans une ample cape, Laurana entra.
— L’orbe est dans le coffre, au pied de son lit, chuchota-t-elle à l’elfe sauvage. Tu es sûre de pouvoir le porter ? Il est assez lourd.
— Il n’est pas très volumineux, répondit Silvara en écartant les deux mains comme si elle tenait une balle.
— Non, tu ne l’as pas vu. Il a près de deux pieds de diamètre. C’est pour cela que je t’ai fait mettre cette cape.
Silvara la regarda avec étonnement.
— Bon, nous n’allons pas rester plantées là toute la nuit. Nous trouverons bien une solution.
Elles se glissèrent dans la chambre. Quand elles refermèrent la porte, il y eut un horrible grincement. Silvara se mit à trembler comme une feuille. Laurana eut toute les peines du monde à garder son calme. Elle voyait son père, allongé à côté de sa mère, qui continuait de dormir profondément.
Les larmes lui montèrent aux yeux.
Le coffre se trouvait au pied de leur lit. Laurana ouvrit le couvercle. L’orbe était là, signalant sa présence par une petite lueur bleue. Ce n’était pas le même orbe ! Ou si c’était le même, il avait singulièrement rétréci. Comme l’avait dit Silvara, il avait les dimensions d’une balle. Elle le sortit du coffre. Il n’était pas aussi lourd qu’elle croyait. Laurana tendit l’orbe à Silvara, qui le fit disparaître dans les replis de sa cape. Elle prit la Lancedragon brisée, pensant la donner à Sturm.
Au fond du coffre, il y avait aussi Dracantale, l’épée que Kith-Kanan avait remise à Tanis. Laurana hésita. Fallait-il se charger de deux armes ? Silvara la regardait.
— Que fais-tu ? N’hésite pas, prends-la aussi !
Surprise, Laurana dévisagea l’elfe sauvage. Puis d’un coup sec, elle rabattit le couvercle du coffre.
L’Orateur se retourna dans son sommeil. Il se dressa sur un coude.
— Qui est là ? Que se passe-t-il ? demanda-t-il d’une voix enrouée.
Laurana serra le bras de Silvara pour la rassurer.
— C’est moi, père. Laurana ! répondit-elle d’une petite voix. Je voulais te dire que je regrette ce qui s’est passé. Et te prier de me pardonner.
— Ah ! Laurana, fit l’Orateur en se laissant retomber sur son oreiller. Je te pardonne, ma fille. À présent, retourne dans ton lit. Nous en parlerons demain matin.
La jeune femme attendit que sa respiration redevienne régulière. Serrant contre elle la Lancedragon, elle entraîna Silvara hors de la chambre royale.
— Qui va là ? appela en langue elfe une voix d’humain.