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— Qui parle ? répondit une voix d’elfe.

— Gilthanas, c’est toi ?

— Théros ! Mon ami !

Le seigneur elfe sauta au cou du forgeron. Submergé par l’émotion, il le serra contre lui.

— Théros, tu es en possession de tes deux bras ! À Solace, les draconiens t’avaient bien coupé le droit ? Tu serais mort, s’il n’y avait pas eu Lunedor.

— Te souviens-tu de ce que m’avait dit ce porc de Toede ? demanda Théros de sa belle voix grave. « Si tu veux retrouver ton bras, forge-le toi-même ! » Eh bien, c’est ce que j’ai fait ! Le récit de mes aventures pour trouver ce bras d’argent serait interminable…

— Et ce n’est guère le moment, grommela une voix derrière lui. À moins que tu veuilles les faire entendre à quelques milliers d’elfes. Ainsi tu as réussi à t’échapper, Gilthanas ! (Dirk sortit de l’ombre.) As-tu l’orbe ?

— Je ne me suis pas échappé, répliqua le seigneur elfe. J’ai quitté la maison paternelle pour accompagner ma sœur et Sil… sa suivante à travers les ténèbres. Laurana, il est encore temps de renoncer à cette folie. Rapporte l’orbe. Ne te laisse pas égarer par les âneries de Porthios. Si l’orbe reste ici, nous pourrons défendre notre peuple. Nous finirons par savoir comment l’utiliser, nous avons des magiciens…

— Allons nous rendre aux gardes séance tenante, nous passerons la nuit au chaud ! s’écria Flint, grelottant.

— Soit tu donnes tout de suite l’alarme, soit tu nous concèdes le temps de filer. Laisse-nous une chance avant de nous trahir, déclara Dirk.

— Je n’ai pas la moindre intention de vous trahir, grogna Gilthanas, furieux. Laurana ?

— Je suis décidée à aller au bout. J’ai bien réfléchi. Je crois que ce que nous faisons est juste. Elistan le pense aussi. Silvara nous montrera le chemin…

— Je connais aussi les montagnes, dit Théros. Et vous aurez besoin de moi pour passer la barrière des gardes.

— Eh bien, le sort en est jeté.

— C’est bon, soupira Gilthanas, je viens avec vous. Si je reste, Porthios me soupçonnera toujours de complicité.

— Parfait ! coupa Flint. Pourrions-nous filer dès maintenant ? Ou y a-t-il encore d’autres personnes à réveiller ?

— Par ici ! dit Théros. Les gardes ont l’habitude de mes escapades nocturnes. Restez dans l’ombre, et laissez-moi parlementer.

Avec des précautions de chats, les compagnons suivirent la haute silhouette du forgeron le long de l’enceinte du camp. Laurana avait pourtant l’impression qu’ils faisaient autant de tapage qu’un cortège de mariage. Le nain, qui trébuchait sur la moindre racine, manquait de s’étaler dans chaque flaque d’eau.

Pendant ce temps les elfes ronflaient, confits dans une autosatisfaction aveugle. Avoir échappé au pire leur donnait l’illusion que rien ne pouvait les atteindre.

Silvara, qui portait l’orbe, le sentit se réveiller au contact de son corps. Il commençait à se réchauffer…

4

Le Fleuve des Morts. La légende du dragon d’argent.

Le silence et le froid dominaient la nuit. Des nuages masquaient les lunes et les étoiles. La pluie et le vent restaient en suspens dans l’atmosphère, pesante comme une chape de plomb. La nature semblait en état d’alerte. Laurana avait laissé les elfes derrière elle, au chaud dans leur cocon de peurs et de haines médiocres. Que sortirait-il de cette singulière chrysalide ?

Les compagnons franchirent les barrages de gardes sans difficulté. Reconnaissant Théros, les elfes bavardèrent avec lui tandis que les autres se faufilaient à travers bois. À l’aube, le petit groupe avait atteint le fleuve.

Arrivée au bord de l’eau, Silvara mit ses doigts sur ses lèvres et imita un cri d’oiseau. Elle répéta cet appel à trois reprises.

Portée par l’onde, la réponse lui parvint de l’autre rive du fleuve. Silvara retourna vers les compagnons, postés à la lisière du bois.

— Kargai Sargaron, dit-elle précipitamment au forgeron, mes amis vont arriver. Je voudrais que tu restes avec moi pendant que je leur explique la situation. Ils n’accepteront pas sans mal d’accueillir des chevaliers et des Qualinestis sur leur territoire, je le crains.

— Je leur parlerai, répondit Théros. Tiens, les voilà qui arrivent !

Laurana regarda les deux silhouettes sombres qui glissaient sur l’eau grise. Les elfes du Kaganesti doivent monter la garde un peu partout, pensa-t-elle. Cette fille jouit d’une étrange liberté pour une esclave. S’il était si facile de s’échapper, pourquoi était-elle restée chez les elfes du Silvanesti ? À moins que la fuite ne soit pas son véritable but…

— Théros, que signifie le nom de « Kargai Sargaron » qu’elle te donne ? demanda Laurana.

— « L’homme au bras d’argent », répondit le forgeron avec un large sourire.

— On dirait qu’ils te font une totale confiance.

— C’est vrai. J’ai passé la plupart de mon temps chez les elfes du Kaganesti. (L’expression de Théros se crispa.) Je ne veux pas te manquer de respect, mais tu n’as aucune idée des tourments que ton peuple leur inflige. Ils déciment leur gibier, corrompent les jeunes au moyen de l’or, de l’argent et de l’acier. (Il poussa un soupir.) J’ai fait tout ce que j’ai pu. Je leur ai montré comment forger des outils et des armes pour la chasse. Mais l’hiver sera long et rude ! Le gibier se fait de plus en plus rare. Si on en arrive à laisser les elfes sauvages mourir de faim, ou à les tuer…

— Et si je restais ? murmura Laurana. Je pourrais les aider…

Elle réalisa que c’était une idée ridicule. Que pouvait-elle pour eux, alors qu’elle était rejetée par son propre peuple ?

— Tu ne peux être partout à la fois, dit Sturm. C’est aux elfes de résoudre leurs problèmes.

— Je sais, répondit-elle en soupirant. J’étais comme eux, Sturm. Mon merveilleux petit univers tournait autour de moi et je m’en croyais le centre. J’ai couru rejoindre Tanis parce que j’étais certaine de me faire aimer de lui. Tout le monde m’aimait. Pourquoi pas lui ? J’ai vite découvert que le monde ne tournait pas autour de moi, qu’il se moquait éperdument de mon existence. Puis j’ai côtoyé la souffrance et la mort. J’ai dû tuer pour ne pas être tuée. Et j’ai vu ce qu’était l’amour vrai. Lunedor et Rivebise m’ont montré qu’on pouvait tout lui sacrifier, même la vie. Je me suis sentie méprisable. Aujourd’hui, c’est mon peuple que je trouve méprisable. Et misérable. Je le croyais parfait. À présent, je comprends ce qu’éprouvait Tanis, et pourquoi il est parti.

Les embarcations des Kaganestis avaient atteint le rivage. Silvara et Théros vinrent au-devant d’eux.

Sur un geste du forgeron, les compagnons sortirent de l’orée du bois, les mains bien en évidence pour témoigner de leurs intentions pacifiques. Les elfes sauvages s’entretinrent un moment avec Silvara et Théros, sans résultat positif apparent.

Le son d’un cor retentit dans le lointain. Laurana et Gilthanas se regardèrent avec inquiétude. Théros les désigna et se frappa la poitrine de son bras d’argent, pour signifier qu’il se portait garant des compagnons. ! Le cor retentit de nouveau. Silvara supplia de plus belle. À contrecœur, les elfes sauvages finirent par accepter.

Les compagnons se ruèrent vers les embarcations. Tous avaient pris conscience du danger qui menaçait. Leur fuite avait été découverte, on était à leur poursuite.

Aidés par le courant qui entraînait les pirogues vers l’ouest, les elfes sauvages pagayèrent frénétiquement. Le visage fouetté par un vent glacé, les compagnons voyaient les arbres dressés le long du rivage défiler à toute vitesse. Sur les berges, toute vie semblait absente. Quelques silhouettes apparaissaient de temps à autre entre les buissons, sans doute des Kaganestis à l’affût des intrus. Parmi ces esclaves, il devait y avoir des espions, pensa Laurana. Son regard se posa sur Silvara.