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La brise écarta les nuages. Le croissant de la lune d’argent, Solinari, inonda le fleuve de sa clarté tamisée. Silvara sortit de l’eau, le corps et les cheveux ruisselants de perles argentées. Touché au plus profond de lui-même, Gilthanas ne put retenir une exclamation.

Silvara sursauta et jeta autour d’elle des regards terrifiés. Elle se précipita sur ses vêtements et en tira un couteau. Elle le brandit, prête à se défendre.

Son corps scintillant sous le clair de lune rappela à Gilthanas une biche qu’il avait forcée après une longue chasse. Silvara avait dans les yeux la même lueur de bête traquée. Elle ne le voyait pas.

Brusquement, elle se retourna, prête à bondir pour échapper au danger.

— Attends, Silvara ! C’est moi, Gilthanas ! Tu n’aurais pas dû partir seule…, c’est risqué…

Elle s’arrêta près des buissons. Obéissant à son instinct de chasseur, Gilthanas avança lentement vers elle, les yeux dans les siens, la voix caressante :

— Tu ne devrais pas t’aventurer si loin. Je vais te tenir compagnie. Et j’ai des choses à te dire, Silvara. Je ne veux pas non plus rester seul ici. Ne t’en va pas. J’ai déjà dû renoncer à tant de choses. Ne t’en va pas…

Il continuait d’approcher en parlant sur le même ton rassurant quand il la vit faire un pas en arrière. Alors il s’assit tranquillement sur un rocher. Elle s’arrêta et le regarda sans faire un geste pour aller reprendre ses vêtements. Apparemment, elle avait davantage à défendre que sa pudeur.

Bien que gêné par sa nudité, Gilthanas admira sa détermination. Toute femme elfe bien élevée se serait évanouie depuis longtemps. Bien sûr, il aurait dû détourner les yeux, mais il ne pouvait s’empêcher de la regarder. Il décida qu’il fallait continuer de parler, peu importait ce qu’il raconterait. De phrase en phrase, il s’aperçut qu’il lui confiait ses pensées les plus intimes :

— Silvara, je me demande pourquoi je suis ici ! Mon père a grand besoin de moi, mon peuple aussi. Pourtant je suis là, bravant la loi. Mon peuple est exilé, j’ai trouvé le moyen de le sauver – l’orbe – et au lieu de ça, je risque ma vie pour voler l’orbe et le donner aux humains, qui en ont besoin pour gagner leur guerre.

« Pourquoi, Silvara ? Pourquoi me suis-je ainsi déshonoré ? Pourquoi ai-je trahi les miens ? »

Silvara jeta un coup d’œil vers le bois, puis sur Gilthanas. Elle va fuir, pensa-t-il.

Lentement, elle baissa son couteau. Son regard était empli d’une telle tristesse que Gilthanas eut honte de lui.

— Pardonne-moi. Je ne veux pas te charger de mes soucis. Je ne sais plus où j’en suis. Tout ce que je sais…

Baissant les yeux sur les flots argentés, il semblait accablé.

— … C’est que tu dois agir ainsi, acheva Silvara à sa place.

Il leva les yeux. Elle s’était drapée dans sa couverture. Ce louable effort de pudeur raviva le désir de Gilthanas.

Il quitta son rocher et marcha vers elle. Immobile devant les buissons, elle restait sur la défensive. Sa peur ne s’était pas apaisée, mais elle avait abandonné le couteau.

— Silvara, ce que j’ai fait est contraire au code des elfes. Quand ma sœur m’a parlé de subtiliser l’orbe, j’aurais dû aller trouver mon père.

— Pourquoi ne l’as-tu pas fait ?

— Pare que je suis convaincu que les elfes ont tort. Leurs lois et leurs coutumes sont devenues iniques. C’est Laurana qui a raison. Sturm aussi. Il faut donner l’orbe aux humains. Cette guerre, nous devons la faire. Au fond de mon cœur, je le sais. Mais ma tête n’écoute pas ce qu’il lui dicte. Je souffre de tout cela…

En face de lui, Silvara marchait à pas lents le long du rivage.

— Je te comprends, dit-elle avec douceur. Mon peuple ne saisit pas non plus ce que je fais ni pourquoi je le fais. Mais je sais ce qui est juste, et j’y crois.

— Je t’envie, chuchota-t-il.

Il grimpa sur une grosse pierre plate. Silvara n’était plus qu’à trois pas de lui.

— Silvara, une autre raison m’a fait quitter mon peuple, et tu la connais.

Il lui tendit la main. Elle tressaillit et eut un mouvement de recul. Il fit un pas vers elle.

— Silvara, je t’aime. Tu sembles être si seule, aussi seule que moi. Je t’en prie, tu ne seras plus jamais seule. Je te le jure.

Elle leva une main hésitante. D’un mouvement bref, il la saisit et l’attira sur la pierre plate.

La biche aux abois réalisa un peu tard qu’elle était prise au piège. Non par les bras de l’homme, dont elle aurait pu facilement se défaire, mais par son amour pour celui qui l’avait attirée dans ses filets.

L’amour de Gilthanas était aussi tendre et profond que le sien, et ce sentiment réciproque devenait leur destin. Lui aussi s’était laissé prendre.

Gilthanas la serra contre lui ; elle était tremblante non de frayeur, mais de passion. Il prit son visage entre ses mains et le baisa. Les lèvres de Silvara étaient aussi douces que brûlantes. Sa main se pressa, toute chaude, contre la sienne. Gilthanas sentit la saveur salée d’une larme sur ses lèvres.

— Ne pleure pas. Je suis désolé, dit-il, relâchant son étreinte.

— Ton amour n’est pas la cause de mes larmes. Je pleure sur moi-même… Tu ne peux pas comprendre.

Silvara passa un bras autour de son cou et l’attira à elle. Sa main lâcha le lin qui l’enveloppait.

La couverture glissa vers les flots argentés, qui l’emportèrent…

6

La poursuite. Un plan sans espoir.

Vers midi, les fuyards durent renoncer à remonter le fleuve, qui n’était plus qu’un torrent. De nombreuses pirogues kaganesties avaient déjà été remisées sur les rives. Les compagnons tiraient les leurs sur la berge quand un groupe d’elfes sauvages sortit du bois. Ils transportaient les corps de deux guerriers. Comme ils s’apprêtaient à mettre les compagnons en joue, Théros et Silvara allèrent au-devant d’eux pour engager la conversation.

Le forgeron revint la mine morose ; Silvara était rouge de colère.

— Les miens refusent de nous aider, expliqua-t-elle. Ils ont été attaqués deux fois en quelques jours par les hommes-lézards. Ils affirment que ce sont les humains qui les ont amenés sur l’île dans un navire aux ailes blanches.

— C’est ridicule, s’écria Laurana. Théros, tu ne leur as pas parlé des draconiens ?

— Si, mais je crains que les circonstances ne plaident pas en votre faveur : Les Kaganestis ont repérer le dragon blanc au-dessus du navire, mais ils ne vous ont pas vu l’abattre. Ils ont fini par accepter de nous laisser traverser leurs terres, mais ils ne feront rien pour nous. Silvara et moi, nous nous sommes portés garants de votre conduite.

— Que viennent faire les draconiens par ici ? interrogea Laurana. Sont-ils avec l’armée ? L’Ergoth du Sud aurait-il été envahi ? Si c’est le cas, nous ferions mieux de rebrousser chemin…

— Non, je ne crois pas, répondit Théros. Si le Seigneur des Dragons voulait envahir l’île, il aurait envoyé des milliers de soldats et ses dragons. Là il s’agit plutôt des patrouilles chargées de semer le trouble pour dresser les elfes les uns contre les autres. Les seigneurs draconiens comptent faire l’économie d’une campagne en les poussant à s’entretuer.

Silvara les conduisit sur le sentier qui menait aux collines. La pente devint très vite raide. Théros déclara qu’il fallait s’en remettre à Silvara, car il n’était jamais allé aussi loin en amont du fleuve. Laurana ne parut guère satisfaite de la tournure des événements. Elle se doutait qu’il y avait quelque chose entre son frère et l’elfe sauvage depuis qu’elle avait surpris entre eux un sourire de connivence.

La jeune fille avait troqué ses nippes contre une tunique et un pantalon de peau souple. Ses cheveux, lavés et retenus au sommet de la tête, lui tombaient en cascades argentées jusqu’à la taille, illustrant parfaitement le nom qu’elle portait.