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— Eux…, grommela le dragon, allant et venant le long du promontoire. Nous avons quitté le front au nord, perdu un temps précieux, et dilapidé une fortune en acier. Tout ça pour quoi ? Pour une poignée d’aventuriers errants…

— La richesse ne signifie rien pour moi, tu le sais. Je pourrais acheter Tarsis si je voulais. Dans le nord, la guerre va bon train. Le seigneur Ariakus peut se passer de mon aide. Bakaris est un jeune chef fort habile, et il connaît l’armée presque aussi bien que moi. N’oublie pas, Zephir, qu’il ne s’agit pas de simples vagabonds. Ces aventuriers errants, comme tu dis, ont liquidé Verminaard.

— Bah ! Cet homme avait déjà creusé lui-même sa tombe. Dominé par ses obsessions, il avait perdu de vue nos vrais objectifs. On pourrait en dire autant de certains autres…

— Obsédé, Verminaard ? Oui, sans doute, et certains feraient bien de prendre plus au sérieux cette obsession. Il était prêtre, il savait quels ravages nous causait la dévotion du commun pour les vrais dieux. D’après les rapports, le peuple suit à présent un humain du nom d’Elistan, prêtre de Paladine. De nouveau, les adeptes de Mishakal portent la guérison à travers le pays. Non, Verminaard voyait loin. Le danger est réel. Nous devons en prendre conscience et lui faire barrage, au lieu de le négliger.

Le dragon répliqua par la dérision :

— Cet Elistan n’est pas à la tête du peuple. Il est le chef de huit cents réfugiés, des anciens esclaves de Verminaard à Pax Tharkas, terrés dans la Cité du Sud chez les nains des montagnes. D’autre part, nos espions affirment que ces aventuriers sont actuellement en route pour Tarsis. Dès ce soir, Elistan sera entre nos mains et l’affaire sera close. Voilà pour le serviteur de Paladine !

— Elistan ne m’est d’aucune utilité, dit le Seigneur des Dragons en haussant les épaules. Ce n’est pas lui que je cherche.

— Ah bon ? fit Zephir. Qui alors ?

— Il y en a trois qui m’intéressent plus particulièrement. Je te donnerai leur signalement, car c’est pour les capturer que nous participons demain à la mise à sac de Tarsis. Ceux que nous cherchons y seront.

Chacun de leurs pas faisait craquer l’épais tapis de neige, les compagnons marchaient en file indienne. Tanis était à leur tête, flanqué du fidèle Sturm, qui malgré sa pesante armure calquait son allure sur celle du demi-elfe. Venaient ensuite Caramon et Raistlin. Le guerrier, bardé de son équipement et de son frère sur le dos ressemblait à un grand ours.

De tous les compagnons, Gilthanas était celui dont Tanis aurait pu se sentir le plus proche. Mais il était le fils d’un seigneur, l’Orateur du Soleil, qui régnait sur les elfes du Qualinesti. Tanis, lui, était un bâtard, rejeton d’une elfe violée par une brute humaine. Pire, Tanis avait osé nourrir des sentiments tendres, bien qu’enfantins, à l’égard de Laurana, la sœur de Gilthanas. Tanis avait l’impression que loin de trouver en lui un ami, le jeune elfe se serait réjoui de le voir disparaître.

Rivebise et Lunedor marchaient derrière Gilthanas. Emmitouflés dans leurs fourrures, ils résistaient fort bien au froid. Depuis un mois qu’ils étaient mariés, leur amour avait mûri, leurs sentiments devenant de plus en plus profonds maintenant qu’ils découvraient de nouveaux moyens de les exprimer.

Derrière eux venaient Elistan et Laurana. Laurana et Elistan. Toujours ensemble. Toujours engagés dans de profondes conversations. Elistan resplendissait dans sa tunique claire qui se détachait à peine sur la neige. Avec sa haute stature, sa barbe blanche, et malgré ses cheveux clairsemés, il avait fière allure. Le type d’homme qui plaît aux jeunes filles. Croiser son regard bleu glacier ne laissait personne indifférent.

Laurana était sa fidèle auxiliaire. Cédant à un amour d’adolescente, la jeune elfe avait fui son Qualinesti natal pour rejoindre Tanis. Confrontée à la souffrance et au malheur, elle avait vite mûri. Considérée par le groupe comme un poids mort, elle avait dû se battre pour faire ses preuves. Avec Elistan, elle avait saisi sa chance. Elle l’avait aidé à s’occuper des réfugiés et si bien allégé sa tâche qu’elle lui était devenue indispensable. Tanis avait du mal à l’accepter.

Le regard de Tanis passa de Laurana à Tika. La jeune servante de l’auberge, entrée par hasard dans l'aventure, s’était placée auprès de Raistlin sur l’injonction de son frère, Caramon, parti vaquer à autre chose. Elle soutenait le mage chancelant, qui avançait en toussant, et la rabrouait avec sévérité.

Du vieux nain qui marchait à leur suite, on voyait surtout le haut du casque, où dansait une touffe de poils en forme de pompon provenant selon lui de la crinière d’un griffon. Tanis avait expliqué à Flint que c’était du crin de cheval, mais le nain, qui éternuait dès qu’il voyait un équidé, n’avait rien voulu savoir.

À côté de Flint, Tass le kender sautillait en pépiant d’une voix de fausset. Tass régalait le nain d’une merveilleuse histoire « vécue », à savoir sa rencontre avec une sorte d’éléphant à fourrure, ou quelque chose d’approchant, tenu prisonnier par deux magiciens fous. Tanis soupira ; le kender lui portait sur les nerfs. Il avait déjà dû le tancer à cause de boules de neige envoyées à la figure de Sturm. Les kenders ne vivant que pour l’aventure et la découverte, Tass jouissait de chaque minute d’un voyage plutôt pénible.

Oui, tout le monde est bien là. Ils le suivaient tous. Pourquoi moi ? se demanda-t-il, contrarié. Je ne sais pas mener ma vie, et on attend de moi que je conduise les autres. Je ne suis pas à la recherche de la Lancedragon, comme Sturm et son héros Huma. Je n’ai pas la vocation d’Elistan pour les vrais dieux, ni de mission envers le monde. Et je ne suis pas en quête de pouvoir comme l’ambitieux Raistlin.

Sturm interrompit ses mélancoliques pensées en pointant le doigt vers les collines qui se découpaient sur l’horizon. Si la carte du kender était exacte, la cité de Tarsis devait se trouver juste derrière. Tarsis, ses navires aux blanches ailes et ses minarets d’albâtre scintillants. Tarsis la Magnifique.

3

Tarsis la Magnifique.

Tanis déplia la carte du kender. Les compagnons étaient arrivés au pied des collines arides qui surplombaient Tarsis.

— Il serait risqué de gravir ces collines en plein jour, fit remarquer Sturm. On nous repérerait à dix lieues à la ronde.

— C’est juste, acquiesça Tanis. Nous allons bivouaquer ici. Je grimperai là-haut pour avoir une idée de la ville.

— Je n’aime pas ça du tout, répliqua Sturm d’un air sombre. Il y a quelque chose qui cloche, je le sens. Et si je t’accompagnais ?

— Occupe-toi plutôt d’aider les autres à dresser le camp.

Caché sous une cape blanche, Tanis s’apprêtait à grimper sur la colline quand Raistlin l’arrêta d’un geste.

— Je viens avec toi, murmura le mage. Perplexe, Tanis regarda la pente. Pour Raistlin, ce ne serait pas une mince affaire d’arriver au sommet. Le mage comprit son hésitation.

— Mon frère m’aidera, dit-il en faisant signe à Caramon. J’aimerais jeter un œil sur Tarsis la Magnifique.

Tanis le regarda sans aménité, mais le visage du mage resta impassible.

— Très bien, dit le demi-elfe, le regard rivé sur le mage. Mais avec ta cape rouge, tu seras repérable comme une tache de sang sur la neige. Couvre-toi d’un vêtement blanc. Tu n’as qu’à demander à Elistan de te prêter quelque chose, ajouta-t-il, sardonique.

Au sommet de la colline, Tanis promena son regard sur la cité et lâcha un juron. Quelle déception !

À son côté, Caramon tarabustait son jumeau.

— Raist, qu’est-ce qui arrive ? Je ne comprends pas.

— Tout ce que tu possèdes de cervelle est dans ton épée, mon frère, répondit le mage. Regarde donc cette légendaire cité portuaire. Que vois-tu ?