Au coucher du soleil, le groupe arriva devant une caverne.
— Nous allons passer la nuit ici, dit Silvara. Nous avons dû semer nos poursuivants ; peu de gens connaissent ces montagnes aussi bien que moi. Mais par prudence, mieux vaut ne pas allumer de feu.
La nuit se passa calmement. Au petit matin, il neigeait un peu. Tass se glissa dehors pour aller voir ce qui se passait. Il revint précipitamment à l’intérieur de la caverne, un doigt sur les lèvres, et fit signe aux compagnons de le suivre.
Les empreintes qu’il leur montra étaient si fraîches que la neige ne les avait pas encore recouvertes. Chacun reconnut la trace de bottes d’elfes.
— Ils ont dû nous dépasser pendant la nuit, dit Silvara. Ne restons pas ici. Ils s’apercevront vite qu’ils ont perdu notre piste, et vont retourner sur leurs pas. Partons.
— Cela ne changera pas grand-chose, grommela Flint en montrant les empreintes qu’il venait de laisser dans la neige fraîche. Autant les attendre confortablement, cela nous évitera de la peine. Il est impossible de partir sans laisser d’indices !
— Nous ne pouvons pas cacher nos traces, mais nous pouvons gagner du temps et mettre quelques lieues de distance entre eux et nous.
— Peut-être, fit Dirk en dégainant son épée.
Laurana prit Sturm par le bras.
— Il faut éviter que le sang soit versé ! lui dit-elle, affolée par l’attitude du chevalier.
— Nous laisserons pas ton peuple nous empêcher d’emmener l’orbe à Sancrist !
— Je sais, dit-elle en rentrant avec les autres dans la caverne.
Tous étaient prêts à partir. Debout sur le seuil, Dirk s’impatientait.
— Allez-y ! Je vous rejoindrai, dit Laurana, qui ne voulait pas qu’on la voie pleurer. J’arrive !
Dirk ne se le fit pas dire deux fois. Théros, Sturm et compagnie passèrent sans se presser devant elle en la regardant d’un air gêné.
Laurana ne pouvait chasser l’image de la main de Dirk posée sur son épée. Non, ce n’est pas possible. Je ne peux pas me battre contre les miens. Si cela arrive un jour, les dragons auront vraiment gagné. Je préfère mourir…
Elle entendit un bruit derrière elle. Elle se retourna, la main sur son arme.
— Silvara ! s’exclama-t-elle, surprise. Je te croyais déjà partie. Qu’est-ce que tu fais là ?
— Rien… Je prends seulement mes affaires, répondit l’elfe du fond de la caverne.
L’orbe, qui reposait dans un coin s’anima d’une lueur insolite. Avant que Laurana ait pu approcher, Silvara le couvrit de sa cape.
— Il faut se dépêcher, pressa-t-elle. Je suis désolée de te retarder…
— Un instant, dit Laurana en s’approchant du fond de la caverne.
L’elfe sauvage la retint au passage.
— Dépêchons-nous, dit-elle d’un ton presque impétueux, la main fermée sur le bras de Laurana.
— Lâche-moi !
Laurana avança au fond de la caverne mais ne vit rien qui lui parût digne d’intérêt. Un simple amas de brindilles et de charbon de bois parmi les cailloux. Si c’était un signal, il était vraiment sommaire ! Elle donna un coup de pied dans le tas.
— Voilà ! dit-elle à Silvara. Message ou pas, il sera difficile à déchiffrer pour tes amis.
Elle s’attendait à une réaction de colère ou de dépit, mais Silvara trembla simplement de tous ses membres. Elle regardait Laurana d’un air anxieux.
— Laurana, dépêche-toi ! cria Théros.
Elles sortirent de la caverne. Quelle idiote je suis ! Comme nous avons été stupides ! Avant que Silvara le recouvre, l’orbe draconien a brillé étrangement, je l’ai vu !
Une flèche siffla dans l’air vif du matin et vint se ficher dans un arbre à quelques pouces de la tête de Dirk.
— Les elfes ! Lumlane, ils attaquent ! cria le chevalier en dégainant son épée.
— Non ! Nous ne nous battrons pas ! Pas question de tuer !
— Tu es folle ! vociféra Dirk en se dégageant de Laurana, qui avait bondi sur lui.
Une seconde flèche siffla.
— Elle a raison ! renchérit Silvara, revenue sur ses pas. Impossible de se battre ici ! Nous aurons plus de chances de nous défendre si nous réussissons à atteindre le col.
Dirk arracha une nouvelle flèche qui s’était plantée dans sa cotte de mailles.
— Ils ne cherchent pas à nous tuer, dit Laurana. Sinon, nous serions morts depuis longtemps. Il faut filer. De toute façon, nous ne pouvons pas nous battre ici.
— Baisse ton épée, Dirk, ou c’est avec moi que tu devras ferrailler, dit Sturm.
— Tu es un lâche, Lumlane ! Tu fuis l’ennemi !
— Non, je fuis mes amis, répondit Sturm, l’épée toujours brandie. Va-t’en, sinon les elfes devront se contenter de ton cadavre !
Une troisième flèche siffla aux oreilles de Dirk, qui rengaina son épée, la rage au cœur. Le regard qu’il décocha à Sturm en s’engageant dans le sentier était si haineux que Laurana frémit.
Théros, qui fermait la marche, jetait des pierres qui dévalaient la pente à grand bruit. Les tirs avaient cessé.
— Ça ne les arrêtera pas longtemps ! souffla le forgeron en rattrapant Sturm et Laurana.
Au bord du sentier, Tass essayait vainement de relever Flint, qui n’en pouvait plus.
— Il ne nous reste plus que quelques mètres à faire ! pressa Silvara, tirant Laurana. Allez ! Continuez !
Suivis de Tass, trop fatigué pour articuler une parole, Sturm et Théros traînèrent le nain jusqu’au sommet. Épuisé, tous se laissèrent tomber sur la neige, sauf Silvara qui inspecta le pied de la montagne.
D’où tire-t-elle cette force ? se demanda Laurana.
Silvara se retourna vers eux.
— Nous devons nous séparer, dit-elle avec autorité.
Laurana la fixa sans comprendre.
— Pas question, fit Gilthanas en essaya de se relever.
— Écoutez-moi ! ordonna-t-elle. Les elfes nous suivent de si près qu’ils nous rattraperont sûrement. Nous serons obligés de nous battre ou de nous rendre.
— Nous nous battrons ! grommela Dirk.
— Il y a une meilleure solution. Toi, chevalier, tu partiras pour Sancrist seul avec l’orbe. Nous nous occuperons de nos poursuivants.
Ils regardèrent Silvara sans mot dire. Devant l’expression de Dirk, qui s’était éclairée, Sturm et Laurana échangèrent un coup d’œil inquiet.
— C’est une trop lourde responsabilité pour une seule personne, objecta Sturm. Il faudrait qu’un deuxième…
— Tu veux parler de toi, Lumlane, bien entendu ? coupa Dirk.
— Évidemment, si quelqu’un doit t’accompagner, c’est bien Sturm ! trancha Laurana.
— Je peux vous faire un plan des chemins de la montagne, proposa Silvara. La route est assez bonne, et l’avant-poste des chevaliers ne se trouve qu’à deux jours de marche.
— Comme nous ne pouvons pas voler jusqu’à cet avant-poste, protesta Sturm, les elfes retrouveront nos traces, et les vôtres. Ils sauront que nous nous sommes séparés.
— Nous pourrions déclencher une avalanche, proposa Silvara. J’en ai eu l’idée en voyant Théros jeter des pierres.
— Je connais un moyen de déclencher une avalanche par magie, dit Gilthanas. Elle couvrira toutes les traces.
— Pas toutes ! Il faut en laisser quelques-unes du groupe, pour qu’ils puissent le suivre, fit remarquer Silvara.
— Mais où irons-nous ? demanda Laurana. Je n’ai pas l’intention d’errer au hasard dans la nature.
— Je sais où aller, répondit Silvara en baissant les yeux. Il s’agit d’un endroit secret, que mon peuple est seul à connaître. Je vous y conduirai. Mais il faut se dépêcher !
— J’emmènerai seul l’orbe draconien à Sancrist, déclara Dirk. Le groupe a besoin d’un guerrier, Sturm partira avec vous.
— Nous ne manquons pas de guerriers, lui rappela Laurana. Nous avons Théros, mon frère et le nain. Quant à moi, j’ai toujours pris part au combat…