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Bientôt le sol s’aplanit. Ils devaient être dans une clairière tapissée de feuilles mortes et de mousse.

— Nous sommes dans le Val de Brumasil, expliqua Silvara, un des plus beaux endroits de Krynn avant le Cataclysme. Mais sa beauté n’est plus qu’un souvenir. Jadis une forteresse visible à des lieues à la ronde s’élevait au-dessus du brouillard. La nuit, la lune d’argent et la lune rouge l’irradiaient à travers la brume. Des pèlerins venaient de tous les coins de Krynn. Enfin… (Elle s’ébroua.) Nous bivouaquerons ici cette nuit.

— Quels pèlerins ? demanda Laurana en déchargeant son sac.

— Je n’en sais rien, répondit Silvara. Des légendes de chez nous… Je crois que personne ne vient plus ici depuis longtemps.

Elle ment, pensa Laurana. La voix douce et grave de Silvara semblait étrangement criarde dans l’atmosphère feutrée des bois. Le brouillard était oppressant. Les compagnons se couchèrent dans un silence troublé par le seul bruit des gouttes d’eau tombant sur le feuillage.

— Dormez, maintenant ! Car au zénith de la lune d’argent, il faudra partir, dit Silvara en s’étendant près de Gilthanas. Je vous réveillerai.

— Quand nous serons de retour de Sancrist, après le Conseil de Blanchepierre, nous nous marierons, lui dit Gilthanas.

Silvara ne répondit pas.

— Ne t’inquiète pas pour mon père, continua le jeune seigneur en caressant ses cheveux argentés qui brillaient dans la nuit. Il sera furieux au début, mais je suis le plus jeune, et personne ne se soucie vraiment de ce que je deviens. Porthios fera un scandale, mais qu’importe ! Nous ne vivrons pas avec les Silvanestis. Je ne sais pas comment cela se passe chez vous ; je peux apprendre. Je suis bon tireur à l’arc. J’aimerais que nos enfants grandissent dans la nature, heureux et libres… Mais Silvara… tu pleures !

Il la serra contre lui et sourit. Qu’avait-il dit de si terrible ? Les femmes étaient des créatures étranges…

— Calme-toi, tout ira bien. Dors, maintenant, murmura-t-il à son oreille.

Les compagnons furent aveuglés par la lumière d’une torche. C’était Silvara qui les réveillait.

— Nous avons besoin de nous éclairer, n’ayez pas peur, dit-elle pour prévenir les objections. Ce val est coupé du monde. Il y a bien longtemps, on y accédait par un chemin menant à l’avant-poste des chevaliers, et par un autre conduisant au pays des ogres. Les deux n’existent plus depuis le Cataclysme. Je vais vous guider sur un sentier que je suis seule à connaître.

— Toi et ton peuple, lui rappela sèchement Laurana.

— Oui, mon peuple aussi…, répondit Silvara, toute pâle.

— Où nous emmènes-tu ? insista Laurana.

— Vous le verrez sans tarder. Nous y serons dans une heure.

Les compagnons dévisagèrent Laurana d’un air perplexe. Qu’ils aillent au diable ! pensa-t-elle.

— Ne me regardez pas comme ça ! fulmina-t-elle. Que voulez-vous donc faire ? Rester ici à attendre dans le brouillard…

— Je ne suis pas une traîtresse ! dit Silvara, découragée. Je vous en prie, accordez-moi encore un peu de votre confiance.

— Allons-y ! Nous te suivons, répondit Laurana.

Le brouillard semblait s’épaissir au fur et à mesure qu’ils avançaient. Pas un cri de bête ou d’oiseau ne venait rompre le silence. C’était toujours les mêmes hautes herbes qu’ils foulaient sans les voir.

Silvara fit halte sans prévenir.

— Nous sommes arrivés, dit-elle en levant sa torche.

Les compagnons distinguèrent devant eux une masse escamotée par la brume. Silvara avança de quelques pas ; ils entendirent un bruit d’eau bouillonnante. L’air devint chaud, puis suffocant.

— Des sources chaudes ! s’exclama Théros, comprenant soudain où il se trouvait. Voilà la raison de ce brouillard. Et cette forme sombre…

— C’est le pont qui enjambe les sources, dit Silvara en approchant la torche. On l’appelle le Pont du Passage.

Le pont était un arceau de marbre blanc sculpté de personnages. On y reconnaissait des chevaliers évoluant symboliquement au-dessus des nuées de brouillard. Il était si ancien, que Flint ne sut reconnaître sa facture. Les humains, les elfes et les nains n’étaient pour rien dans la création de ce merveilleux édifice. Qui donc l’avait construit ?

Le nain constata l’absence de rambarde de chaque côté.

— Nous ne pourrons jamais traverser là-dessus ! dit Laurana. Nous voilà dans un cul-de-sac.

— Nous pouvons traverser, dit Silvara, car nous sommes appelés à le faire.

— Appelés ? répéta Laurana, excédée. Par qui ?

— Attendez un peu ! dit Silvara.

Ils obéirent les yeux fixés sur les tourbillons d’eau, puisqu’il n’y avait rien d’autre à faire.

— Voici Solinari, déclara Silvara.

Elle jeta sa torche dans les flots. Les compagnons furent plongés dans l’obscurité. Gilthanas appela Silvara, mais elle avait disparu, comme engloutie en même temps que la torche.

Le brouillard se mit à scintiller, éclairant les contours d’une silhouette : Silvara se tenait debout devant le pont, les mains tendues vers le ciel.

La brume se déchira. La lune d’argent apparut, étincelante au milieu des étoiles.

Silvara entonna une formule magique.

Peu à peu, le clair de lune enveloppa l’elfe sauvage. Sa lumière argentée illumina les flots qui roulaient au-dessous d’elle.

Elle redonnait vie aux chevaliers sculptés dans leur éternité de marbre !

Mais ce n’est pas cette beauté irréelle qui troublait les compagnons. Le visage tendu, les larmes aux yeux, ils se serrèrent les uns contre les autres.

Dressé comme s’il allait décrocher la lune, un gigantesque dragon sculpté dans le roc les dominait de toute sa hauteur.

— Où sommes-nous tombés ? demanda Laurana d’une voix brisée.

— Quand vous aurez franchi le Pont du Passage vous vous trouverez devant le Monument du Dragon d’Argent, répondit Silvara. Il est le gardien du tombeau de Huma, ancien roi de Solamnie.

8

Le tombeau de Huma.

Sous la lumière de Solinari, le Pont du Passage resplendissait comme un joyau au-dessus des flots du Val Brumasil.

— Vous n’avez rien à craindre, répéta Silvara. La traversée du pont n’est périlleuse que pour les pilleurs de tombes.

Les compagnons n’étaient pas rassurés pour autant. Silvara avança la première, confiante et légère, suivie des autres, plus lents et circonspects.

Quand chacun eut franchi le pont, la tension se relâcha. Laurana ne put s’empêcher de questionner l’elfe sauvage :

— Pourquoi nous as-tu amenés ici ?

— Tu ne me fais toujours pas confiance ?

Laurana hésita à répondre. Le grand dragon de pierre, la gueule ouverte, les surplombait de ses ailes déployées, sa patte géante tendue vers eux.

— Tu t’es débarrassée de l’orbe pour nous emmener voir un monument consacré à un dragon ! Que veux-tu que je pense ? Tu veux nous montrer ce que tu prétends être le tombeau de Huma. Mais personne ne sait s’il a réellement existé ou s’il s’agit d’une légende. Qu’est-ce qui prouve que c’est sa sépulture ? Est-ce là que repose son corps ?

— Non, bredouilla Silvara. Le corps a disparu, ainsi que…

— Ainsi que… ?

— … La lance dont il s’est servi pour tuer le Dragon de Toutes les Couleurs et d’Aucune, la Lancedragon, acheva Silvara dans un soupir. Entrons à l’intérieur, nous y passerons la nuit. Demain matin, tout deviendra clair, je te le promets.

— Je ne vois pas en quoi demain…, commença Laurana.