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— Rentrons à l’intérieur ! dit Gilthanas avec fermeté. Laurana, tu te conduis comme une enfant gâtée ! Pourquoi veux-tu que Silvara nous mette en danger ? S’il y avait un dragon, tout le monde le saurait ! Il y a longtemps qu’il aurait détruit toute vie sur cette île. Cet endroit ne dégage rien de maléfique. Au contraire, il en émane une sorte de sérénité. C’est une cachette parfaite ! Les elfes sauront vite que l’orbe est arrivé à Sancrist. Ils renonceront à nous poursuivre, et nous pourrons partir. N’est-ce pas, Silvara ? Nous sommes bien venus ici pour cette raison ?

— Oui…, c’est ainsi que doit se dérouler mon plan. À présent, venez tant que brille la lune d’argent. Quand elle aura disparu, nous ne pourrons plus entrer dans le tombeau.

Aussi peu convaincue par la tirade de Gilthanas que par les réponses embarrassées de Silvara, Laurana suivit le mouvement d’un pas réticent. Seule la curiosité la motivait. Tass, qui s’était précipité en avant, les interpella.

— Raistlin ! l’entendirent-ils crier d’une voix étranglée. Il s’est transformé en géant !

— Le kender est devenu fou, dit Flint d’un ton satisfait. Je le savais…

Les compagnons accoururent. Le kender gigotait sur place en désignant sa trouvaille.

— Par la barbe de Reorx ! s’exclama Flint. C’est vraiment Raistlin !

Une statue à l’effigie du jeune mage, plus vraie que nature, s’élevait au-dessus d’eux. Il n’y manquait ni l’expression de cynisme amer, ni les pupilles en forme de sabliers.

— Et là, c’est Caramon ! s’écria Tass.

Quelques pieds plus loin se dressait une statue du guerrier.

— Et voilà Tanis…, murmura craintivement Laurana. Par quel malheureux sortilège…

— Rien de maléfique, corrigea Silvara, à moins que tu aies des intentions néfastes. Dans ce cas, tu serais en présence des effigies de tes plus redoutables ennemis. Terrorisée, tu n’oserais aller plus loin. Mais ces statues sont celles de vos amis. Donc, vous passerez sans encombre.

— J’ai peine à compter Raistlin au nombre de mes amis, marmonna Flint.

— Je peux en dire autant, ajouta Laurana.

Elle passa en tremblant devant le mage en robe d’obsidienne. Des images précises du cauchemar du Silvanesti lui revinrent à la mémoire. Elle s’aperçut qu’elle était entourée d’un cercle composé des effigies de ses amis, au milieu duquel se dressait un petit temple.

C’était un simple édifice rectangulaire, décoré d’une fresque des chevaliers armés de lancedragons qui chargeaient d’énormes monstres figés dans un cri d’agonie.

— Ce temple a abrité le corps de Huma, expliqua Silvara.

Sous la pression de ses doigts, les portes de bronze s’ouvrirent sans bruit. Les compagnons, assis sur les marches, attendaient dans l’incertitude. Mais l’endroit n’avait rien d’inquiétant.

Ce temple rappela à Laurana le tombeau de la garde royale du Sla-Mori et la terreur que lui avait inspirée les spectres guerriers, gardiens du roi Kith-Kanan.

Mais ici dominait la tristesse laissée par le vide d’une victoire chèrement acquise.

Un par un, les compagnons pénétrèrent dans le tombeau. Les portes se refermèrent, les plongeant dans l’obscurité.

Une lumière jaillit. Laurana se demanda d’où Silvara avait sorti la torche qu’elle venait d’allumer.

Une stèle vide se dressait au centre de la crypte. Du chevalier Huma, ne restait que le bouclier et l’épée. Impressionnés par la solennité du lieu, les compagnons observèrent un silence respectueux.

— J’aurais aimé que Sturm soit là, murmura Laurana, les larmes aux yeux. Ce doit être vraiment la sépulture de Huma. Pourtant…

Un malaise la gagnait insidieusement. Ce n’était pas de la peur, mais une sensation qu’elle avait éprouvée dès qu’ils étaient entrés dans le Val Brumasil : une pression.

Silvara alluma les torches suspendues aux murs. Des rangées de bancs s’alignaient autour de la pièce, au fond de laquelle s’élevait un petit autel de pierre. Il était orné des symboles de la chevalerie : la couronne, la rose, le martin-pêcheur. Des pétales de roses et des plantes desséchées depuis des siècles répandaient encore leur parfum. Sous l’autel, une grande plaque de fer avait été enchâssée dans le dallage.

Curieuse, Laurana se pencha avec intérêt sur la plaque. Théros la rejoignit.

— Qu’y a-t-il là-dessous, à ton avis ? Un puits ? demanda-t-elle.

— Voyons voir, marmonna le forgeron.

Théros prit l’anneau à pleine main et tira de toutes ses forces sur la plaque. Elle laissa échapper un bruit de soufflet puis glissa sur les dalles en crissant.

— Qu’as-tu fait ? interrogea Silvara, qui s’était retournée d’un bond.

Théros tressaillit en entendant le son criard de sa voix. Inquiète, Laurana recula d’un pas.

— Ne vous approchez pas ! avertit Silvara d’une voix tremblante. Éloignez-vous ! C’est dangereux !

— Comment le sais-tu ? demanda froidement Laurana, qui avait repris ses esprits. Personne n’est entré ici depuis des années. C’est bien ça ?

— Oui, répondit Silvara en se mordant les lèvres. Je le sais par les légendes…

Laurana se campa au bord du trou. Même avec la torche, on ne voyait rien.

— Je ne crois pas que ce soit un puits, dit Tass.

— Ne t’approche pas, je t’en supplie ! implora de nouveau Silvara.

— Elle a raison, petit voleur ! dit Théros en retenant le kender par le collet. Si tu tombes là-dedans, tu peux te retrouver de l’autre côté du monde.

— Vraiment ? s’étonna Tass, enthousiaste. Je me demande à quoi cela ressemble. Y a-t-il des gens là-bas ? Sont-ils comme nous ?

— Pas comme les kenders, j’espère ! grommela Flint. Sinon, ils sont certainement tous cinglés. D’ailleurs, chacun sait que le monde repose sur l’Enclume de Reorx. Ceux qui tombent de l’autre côté sont pris entre son marteau et le monde qu’il est en train de forger. Des gens, de l’autre côté ? Tu parles ! s’esclaffa-t-il bruyamment.

Théros remit la plaque en place. Flint tira Laurana par la manche :

— Tu sais, je connais la maçonnerie. Eh bien, je trouve qu’il y a quelque chose de bizarre dans tout ça. Le tombeau et les statues ont été exécutés par des hommes, il y a fort longtemps…

— Assez longtemps pour que ce soit vraiment le tombeau de Huma ?

— Sans aucun doute ! Mais la grosse bête, dehors, chuchota-t-il en faisant un geste en direction de la statue du dragon, n’est pas l’œuvre des hommes, ni des elfes, ni des nains. (Laurana, préoccupée, semblait ne pas comprendre.) C’est une œuvre si ancienne, que tout le reste, comparé à elle, est carrément moderne.

Laurana commença à réaliser et ouvrit de grands yeux. Satisfait, Flint hocha la tête d’un air solennel.

— Aucun bipède vivant sur Krynn n’aurait pu sculpter cette falaise ! insista-t-il.

— Cela devait être une créature d’une force extraordinaire, murmura Laurana, une gigantesque créature…

— Avec des ailes…

— Avec des ailes, répéta-t-elle dans un souffle.

Elle s’arrêta, entendant psalmodier ce qui ne pouvait être qu’une formule magique.

En chantonnant Silvara émiettait des pétales de roses devant l’autel.

Laurana tenta de lutter contre l’engourdissement qui l’envahissait. Elle tomba à genoux, et heurta en jurant un banc de pierre. Entre ses paupières alourdies, elle aperçut Théros étendu sur le dallage, non loin de son frère, qui vacillait sur ses jambes. À côté d’elle, le nain ronflait déjà.

Sa dernière perception fut le bruit sec et métallique d’un bouclier qui avait dû heurter le sol. L’air était devenu oppressant, comme saturé du parfum des roses…

9

L’étonnante découverte du kender.

Lorsque Tass entendit l’incantation de Silvara, il réagit instinctivement en se mettant à l’abri sous le bouclier de la stèle. Après l’avoir bruyamment refermé sur lui comme un couvercle, il attendit que la psalmodie s’achève.