Quand le silence se fit, il patienta quelques instants, s’attendant à être changé en crapaud ou en torche vivante, enfin en quelque chose d’intéressant. Ce fut en vain, car rien ne se produisit. Taraudé d’ennui, il se décida à sortir de sa cachette.
Tous ses amis étaient endormis ! C’était donc ça, le sort de Silvara ! D’ailleurs, où était-elle passée ?
Était-elle allée quérir un monstre qui les dévorerait tous ?
Mais il la découvrit accroupie sur le seuil, se lamentant sur son sort.
— Comment vais-je me sortir de là ? gémissait-elle. Je les ai conduits jusqu’ici. N’est-ce pas suffisant ? Non ! J’ai éloigné l’orbe. Ils ne savent pas s’en servir. Je dois rompre mon serment ! Comme tu le dis, ma sœur, c’est à moi de choisir. Mais c’est si difficile ! Je l’aime…
Elle se prit la tête entre les mains et sanglota à fendre l’âme. Le kender, qui avait un cœur d’or, fut sur le point d’aller la consoler. Il se ravisa en se rappelant les paroles de l’elfe sauvage, qui n’étaient pas vraiment rassurantes.
Je ferais mieux de filer avant qu’elle se rende compte que j’ai résisté à son sort, se dit-il.
Malheureusement, Silvara bloquait la porte. Le trou ! Théros l’avait refermé mais il pouvait forcer un interstice entre la pierre et la plaque.
Après un dernier coup d’œil à Silvara, il se coula silencieusement dans l’orifice qu’il venait de se ménager.
Les échelons, trop espacés pour les petites jambes d’un kender, furent pénibles à descendre. Évidemment, tout a été construit pour les humains, songea-t-il avec irritation. Personne ne pense jamais aux petits !
Il était tellement furieux qu’il remarqua les diamants au moment où il eut le nez dessus.
— Par la barbe de Reorx ! s’exclama-t-il, empruntant à Flint ce juron qu’il adorait.
Six splendides diamants couverts de mousse étaient encastrés dans le mur du tunnel.
— Quelle idée de cacher d’aussi magnifiques joyaux dans un endroit pareil ?
Il tendit la main vers la pierre la plus proche.
Un courant d’air de la puissance d’un ouragan emporta le kender comme un fétu de paille. Tass vit la lumière diminuer jusqu’à devenir aussi petite qu’une tête d’épingle. Il se demanda s’il était aux prises avec le marteau de Reorx quand, brusquement, il cessa de tomber dans le vide. Le souffle le poussa latéralement le long d’un autre couloir. Il se sentit happé vers le haut ! Quelle sensation singulière !
Comme c’était excitant ! Il tendit les bras, et constata avec satisfaction qu’il prenait de la vitesse.
Et si j’étais mort ? songea-t-il soudain. Je suis mort, c’est pourquoi je suis plus léger que l’air. Mais non, puisque je peux agiter les bras ! Magnifique !
Ah ! voilà de la lumière !
Il se rendit compte qu’il était dans un tunnel beaucoup plus long que l’autre.
— La tête de Flint quand je vais lui raconter ça !
Le souffle faiblit peu à peu. Tass était arrivé au bout du couloir. Il se trouvait au ras d’une salle éclairée par des torches. À ses pieds, s’élevait un escalier conduisant à une galerie.
Qui avait allumé ces torches ? Se trouvait-il dans le tunnel du tombeau ou dans le roc sculpté en forme de dragon ? Pour plus de sûreté, il sortit son petit couteau et commença à gravir les marches.
— Par la barbe de Reorx ! Regardez-moi ça !
Le kender, qui n’était pas vraiment un esthète, fut ébloui. Une fresque colorée ornait le mur qui lui faisait face. Il n’avait jamais rien vu d’aussi beau. Si ! Cette peinture lui rappelait quelque chose. Mais quoi… ?
Il s’absorba dans la contemplation de dragons de toutes les couleurs assaillant des villes qui s’écroulaient au milieu des flammes tandis que les gens fuyaient, épouvantés. Comme à Tarsis.
— La Montagne du Dragon ! s’exclama-t-il en reconnaissant sur une autre peinture la coupe transversale de la gigantesque sculpture. Une belle carte ! Ah ! je vois maintenant où je suis.
D’un coup d’œil, il inspecta les lieux pour s’orienter.
— C’est la gorge du dragon, dit-il en suivant du doigt le dessin de la carte. C’est pourquoi cette pièce a une forme bizarre. Voilà le grand escalier… et la galerie dans laquelle je me trouve ! Je comprends comment j’ai atterri ici. Mais par les dieux, qui a bien pu construire un truc pareil ?
Tass poursuivit l’examen des étonnantes peintures murales. À sa droite, des dragons rouges, des bleus des noirs et des blancs se battaient avec des dragons dorés et argentés.
— Maintenant, je me rappelle ! s’exclama-t-il, aux anges.
Il se mit à sauter comme un poisson hors de l’eau, en poussant force cris de joie.
— Je me souviens ! Je me souviens ! À Pax Tharkas, Fizban m’a montré une peinture où il y avait des dragons. Je sais qu’il existe de bons dragons ! Ce sont eux qui vont nous aider à combattre les méchants ! Il suffit de les trouver. Et voilà les Lancedragons !
— C’est un comble ! grogna quelqu’un derrière le kender. On ne peut même plus dormir tranquille ! Quel boucan ! De quoi réveiller un mort !
Tass fit volte-face, le couteau brandi. Il n’était pas seul !
Un personnage en robe sombre émergea d’un recoin obscur de la pièce. Il s’étira, et se dirigea sur le kender. Dans l’impossibilité de battre en retraite, Tass s’abandonna à sa curiosité naturelle et attendit, bouche bée.
Un vieillard avançait vers lui.
Tass lâcha son couteau et prit appui contre la balustrade. Pour la première, et sans aucun doute l’unique fois de son existence, Racle-Pieds resta sans voix.
— F-f-f…
Les mots restaient coincés dans sa gorge.
— Eh bien ! Qu’y a-t-il ? Articule ! vitupéra le vieillard. Tu étais un peu plus bavard, il y a un instant ! Qu’as-tu donc ? Tu ne te sens pas bien ?
— F-f-f…
— Ah ! mon pauvre garçon, je vois ce qui ne va pas. Une extinction de voix ! Embêtant, très embêtant… Attends, je vais arranger ça.
Le vieillard fouilla dans ses poches et en sortit une pièce de monnaie qu’il fourra dans la main de Tass.
— Tiens, prends ça et file ! Va consulter un prêtre…
— Fizban ! cria Tass.
— Où ça ? fit le vieillard en regardant autour de lui. Dis-moi, reprit-il après réflexion, es-tu bien sûr d’avoir reconnu Fizban ? N’est-il pas mort ?
— Moi, je crois que c’est lui…, répondit Tass, ébranlé.
— Alors qu’a-t-il à traîner partout en faisant peur aux gens ! déclara le vieillard, indigné. Il faut que je lui parle. Hé, toi là-bas !
Tass tendit une main tremblante et toucha le bras du : vieil homme.
— Je n’en suis pas absolument certain mais… je crois que tu es Fizban.
— Ah bon ? Je ne me sentais pas dans mon assiette ce matin, – ce doit être le temps –, mais je ne me croyais pas si mal en point. (Il haussa les épaules.) Alors je suis mort. Liquidé ! On ferme la baraque ! (Il se laissa choir sur un banc.) J’ai eu droit à un bel enterrement ? Il y a eu foule, j’espère ? A-t-on tiré les vingt et un coups de canon ? J’ai toujours rêvé d’une salve pour mes funérailles…
— Euh… Eh bien, il s’agissait plutôt d’un hommage funèbre. En fait, nous avons eu beaucoup de mal à retrouver… Comment pourrais-je m’exprimer ?
— Mes restes ? demanda le vieillard avec sollicitude.
— Euh… tes restes, chuchota le kender. Nous avons cherché partout dans des nuages de plumes de poulet… Il y avait cet elfe noir… et Tanis qui disait que nous l’avions échappé belle !
— Des plumes de poulet ! s’exclama le vieillard. Que viennent faire des plumes de poulet dans mes funérailles ?