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— L’orbe draconien ! coupa Laurana.

— Oui. J’ai compris qu’il fallait se décider. Vous aviez l’orbe, mais aussi la lance. Tous deux étaient à ma portée ! J’ai songé que c’était un signe, mais je ne savais pas dans quel sens agir. J’ai décidé d’emmener l’orbe jusqu’ici pour le mettre en sécurité. Au cours du voyage, j’ai compris que les chevaliers n’accepteraient jamais que l’artefact reste au Val Brumasil. Il y aurait des dissensions. À la première occasion, j’ai fait en sorte que l’orbe quitte ces lieux. Apparemment, j’ai eu tort. Mais comment aurais-je pu le savoir ?

— Pour quelle raison ? Quels sont les pouvoirs de l’orbe ? Aurais-tu envoyé les chevaliers à la mort ?

— Qui peut le dire ? Je sais que tout orbe peut le Bien comme le Mal, mais je ne sais pas me servir des orbes draconiens. Ils sont l’œuvre de magiciens très puissants.

— Mais selon le livre que Tass a lu avec les lunettes magiques, ils sont capables de maîtriser les dragons ! Tass assure que les lunettes lisent la vérité…

— C’est vrai, répondit Silvara. Mais ce n’est que trop vrai, et je crains que vos amis en fassent l’expérience à leur dépens.

— Alors, pourquoi nous as-tu amenés ici ? demanda Laurana. Pourquoi ne pas nous avoir laissés partir avec l’orbe ?

— Puis-je leur dire ? En aurais-je la force ? interrogea Silvara, comme si elle s’adressait à quelque esprit invisible.

Elle resta un long moment silencieuse, méditant sa décision.

Puis elle se leva et se dirigea vers le paquetage de Laurana. Elle le déballa et en sortit le morceau de lance brisée que les compagnons avaient été chercher jusqu’au Mur de Glace. Quand elle releva la tête, son visage était serein.

Serein, mais aussi empreint de force et de fierté. Pour la première fois, Laurana put accepter l’idée que la jeune fille soit un superbe et puissant dragon. D’une démarche majestueuse, ses cheveux d’argent ruisselants de lumière, Silvara alla se camper devant Théros.

— Théros Bras d’Argent, je te confère le pouvoir de forger des Lancedragons.

LIVRE III

1

Les merveilleux sortilèges du Magicien Rouge.

Le crépuscule assombrissait peu à peu la salle de l’Auberge du Cochon Siffleur. La brise soufflant de la baie de Balifor et qui s’infiltrait entre les fenêtres disjointes avait donné à l’établissement une partie de son nom. Un simple coup d’œil au patron justifiait l’animal peint sur l’enseigne. Selon ce qui se disait en ville, le jovial et débonnaire Guillaume Deaudouce avait été frappé par le sort le jour de sa naissance. Un cochon baladeur ayant culbuté son berceau, bébé Guillaume en avait conçu une telle frayeur qu’il adopta l’apparence d’un pourceau.

Cette fâcheuse ressemblance n’avait pas altéré l’avenant caractère de l’homme. Marin de profession, il avait fini par satisfaire son désir de toujours : tenir une auberge.

Il n’y avait pas d’aubergiste plus aimé ni plus respecté à Port Balifor que Guillaume Deaudouce. Rien ne le faisait autant rire que les plaisanteries sur les cochons, auxquelles il répondait par des imitations et des grognements qui déclenchaient l’hilarité de ses clients.

Guillaume n’avait plus guère l’occasion de pousser ses grognements. Les buveurs se faisaient rares, et l’ambiance était plutôt morose. Port Balifor était en effet une ville occupée. Les armées des seigneurs draconiens, dont les navires mouillaient dans le port, avaient déversé leurs contingents d’abominables reptiliens dans la ville.

La consternation régnait parmi la population à majorité humaine de Balifor. Si les habitaient avaient su ce qu’il en était du reste du monde, ils se seraient sans doute réjouis de leur sort. Les dragons n’avaient pas brûlé la ville, et les soldats laissaient la population tranquille. La partie orientale de l’Ansalonie n’intéressait pas les Seigneurs des Dragons. Elle n’était peuplée que de communautés humaines dispersées et de kenders, dont le Kendermor était la patrie. Le gros des forces des armées draconiennes était concentré au nord et à l’ouest. Tant qu’ils pouvaient disposer du port, les Seigneurs des Dragons ne voyaient pas la nécessité de détruire Balifor.

Bien que les habitués se fissent rares, les affaires marchaient bien. La soldatesque draconienne et hobgobeline était bien rémunérée, ce qui lui permettait de sacrifier à sa faiblesse : l’ivrognerie. Mais Guillaume n’avait pas ouvert une taverne pour faire fortune. Ce qu’il aimait, c’était remplir son auberge d’amis. Ce qu’il détestait, c’était les troupes draconiennes.

Un soir qu’il trinquait avec de vieux compagnons, marins de leur état, des étrangers se présentèrent dans la taverne. Guillaume les dévisagea. Comme ils n’étaient pas draconiens, mais de simples voyageurs exténués, il les accueillit cordialement et les installa dans un coin de la salle.

Les nouveaux venus commandèrent de la bière, sauf un personnage en robe rouge, qui demanda de l’eau chaude. Après une longue discussion ayant pour centre le nombre de pièces contenues dans une bourse de cuir, ils finirent par choisir du pain et du fromage.

— Ils ne sont pas d’ici, dit Guillaume à ses amis. Ils ont l’air d’être plus fauchés qu’une bande de marins après huit jours de bordée !

— Ce sont des réfugiés, conclut un habitué en les jaugeant du regard.

— Drôle de mélange, ajouta un autre. Le barbu est un demi-elfe, et le grand transporte un arsenal qui ferait peur à toute l’armée draconienne !

— Je parierais qu’il en a déjà tenu quelques-uns au bout de son épée, grommela Guillaume. Ils doivent être en cavale. Regardez comme le barbu fixe la porte. Bon, on ne peut pas les aider à se battre contre le seigneur, mais je vais veiller à ce qu’ils ne manquent de rien. (Il approcha.) Remballez votre monnaie, dit-il d’un ton bourru en déposant du fromage et de la viande sur la table. Vous traversez quelques difficultés, c’est aussi évident que le groin au milieu de ma figure.

L’une des deux jeunes femmes lui sourit. Guillaume n’en avait jamais vu d’aussi belle. Ses cheveux d’or et d’argent débordaient en vagues de sa capuche, et ses yeux étaient bleus comme la mer. Ce sourire lui fit l’effet d’un verre de gnôle à jeun.

L’homme au visage et aux cheveux sombres qui était assis à côté d’elle poussa les pièces d’argent vers l’aubergiste.

— Nous ne demandons pas la charité !

— Rivebise ! dit la jeune femme d’un ton plein de reproche.

Le demi-elfe allait ajouter quelque chose quand le personnage en robe rouge qui avait commandé de l’eau chaude prit une des pièces.

Il la posa en équilibre sur le dos de sa main et la fit aller et venir jusqu’à son poignet. Guillaume ouvrit de grands yeux. Curieux, ses amis approchèrent. La pièce fit plusieurs tours en virevoltant sur la main de l’homme en rouge, puis disparut… et réapparut au-dessus de la tête de Guillaume, où elle orbitait en compagnie de cinq de ses sœurs.

Les spectateurs en restèrent bouche bée.

— Prends-en une pour la peine ! dit le mage.

Timidement, Guillaume tendit la main. Elle se referma sur le vide. Les six pièces avaient disparu. Il n’en restait qu’une, qui se trouvait dans la paume du mage.

— Je te l’offre en paiement, dit celui-ci avec un sourire malin, mais prends garde qu’elle ne te brûle pas les poches !

L’aubergiste la saisit délicatement et l’inspecta avec méfiance. Brusquement, elle s’enflamma. Avec un hurlement, il la laisser tomber et la piétina pour l’éteindre. Ses amis pouffèrent de rire. Il la ramassa, et à sa grande surprise, la trouva intacte.

— Cela vaut bien un plat de viande ! dit Guillaume d’un air réjoui.

— Et une nuit à l’auberge ! ajouta un de ses compères en jetant une poignée de pièces sur la table.