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Cela faisait un mois que les armées s’étaient embarquées pour Palanthas. Les nouvelles que Gunthar avait reçues le matin même n’étaient pas pour le réjouir. Il les lut plusieurs fois d’un air préoccupé, puis remit le parchemin dans sa poche.

Peu de temps auparavant, le Conseil s’était tenu d’urgence à cause des réfugiés elfes de l’Ergoth du Sud et de la prise de la Solamnie du Nord par les draconiens. Les membres du Conseil avaient été réunis au grand complet : les chevaliers, les gnomes, les nains des collines, les peaux sombres, les marins de l’Ergoth du Nord, et les colons de Sancrist. Les elfes, les nains des montagnes et les kenders étaient présents mais, n’avaient pas pris part au vote.

Ce premier Conseil s’était mal passé. Les vieilles rancœurs avaient réveillé les antagonismes entre les différents peuples. On avait dû séparer Arman Kharas, le roi des nains des montagnes, et Duncan Briseroc, celui des nains des collines, qui en étaient venus aux mains.

Alhana Astrevent, qui représentait son père, souverain du Silvanesti, refusa de dire un mot. Elle était venue pour empêcher Porthios, le seigneur elfe du Qualinesti, de s’allier avec les humains.

Il n’y avait rien à craindre de ce côté-là, les elfes et les humains ne s’adressant pas la parole en dehors des politesses d’usage. Le discours passionné du seigneur Gunthar, qui déclara que : « l’unité était le commencement de la paix et les divisions la mort de l’espoir ! », n’avait fait aucune impression.

Porthios avait répondu en accusant les humains d’avoir causé la réapparition des dragons. Par conséquent, ils n’avaient qu’à se tirer eux-mêmes du désastre. Aussitôt après, Alhana Astrevent s’était retirée, sans laisser planer le moindre doute sur la position du Silvanesti.

Le nain des montagnes, Arman Kharas, avait déclaré que son peuple acceptait la collaboration interethnique, mais qu’on ne pourrait pas compter là-dessus tant qu’on n’aurait pas retrouvé le Marteau de Kharas. Le seul à offrir son aide avait été Kronin Bélépine, le chef des kenders. Comme la collaboration des compatriotes de Tass était la dernière chose que souhaitaient les autres membres, la proposition avait été accueillie par des sourires polis, tandis que des coups d’œil horrifiés s’échangeaient dans le dos de Kronin.

Le Conseil s’était achevé sur ce constat d’échec.

Gunthar attendait davantage de la deuxième réunion. La présence de l’orbe, qui constituait un nouveau facteur, changeait les choses.

Les deux partis elfes seraient présents. L’Orateur du Soleil avait avec lui un humain du nom d’Elistan, qui se prétendait prêtre de Paladine. Le chevalier Gunthar, pour avoir entendu parler de lui par Sturm, était impatient de le rencontrer. Quant au Silvanesti, le chevalier se demandait qui le représenterait. Sans doute le régent qui avait remplacé Alhana Astrevent pendant sa mystérieuse absence.

Les elfes étaient arrivés à Sancrist deux jours plus tôt, la seule race étrangère à être représentée. Les nains des montagnes n’avaient pu être avertis à temps, et aucun messager n’était parvenu à franchir les lignes draconiennes qui assiégeaient les nains des collines.

Gunthar espérait que les humains et les elfes s’uniraient pour livrer une bataille décisive aux armées draconiennes en Ansalonie. Mais ses espoirs s’envolèrent avant même que le Conseil débute.

Le seigneur avait quitté sa tente pour faire une dernière fois le tour de la clairière de Blanchepierre.

Son fidèle serviteur le rattrapa.

— Mon seigneur, il faut revenir tout de suite à ta tente.

Hors d’haleine, Wills n’en dit pas plus long. Gunthar lui emboîta le pas.

Revêtu de son armure, le seigneur Mikael faisait les cent pas devant la tente de son chef.

— Que se passe-t-il ? demanda Gunthar, inquiet à la vue de la mine défaite du jeune chevalier.

— Seigneur, nous venons d’apprendre que les elfes exigent la restitution de l’orbe. Si nous n’obtempérons pas, ils nous déclareront la guerre pour le récupérer !

— Quoi ? La guerre ? Contre nous ? C’est grotesque ! Ils ne vont pas… Es-tu certain de cette information ? Est-elle fiable ?

— On ne peut plus fiable, seigneur Gunthar, dit un homme sortant de l’ombre.

— Mon seigneur, je te présente Elistan, prêtre de Paladine, dit Mikael. Pardon de ne pas l’avoir fait plus tôt, mais cette nouvelle m’a bouleversé.

— J’ai beaucoup entendu parler de toi, dit Gunthar en tendant la main au prêtre.

Le seigneur dévisagea Elistan. Il s’attendait à un personnage falot et éthéré, non à un gaillard robuste qui n’aurait pas déparé les rangs des chevaliers. L’antique emblème de Paladine, un dragon sculpté dans le platine, brillait sur sa poitrine.

Tout ce que Sturm avait dit d’Elistan lui revint à la mémoire. Comme s’il avait lu dans ses pensées, le prêtre déclara avec un sourire fatigué :

— Oui, j’ai échoué. Tout ce que j’ai pu faire, c’est persuader les elfes d’assister au Conseil. Je crains qu’ils soient venus dans le seul but de lancer un ultimatum : ou vous leur rendez l’orbe draconien, ou ils vous feront la guerre pour le récupérer.

Gunthar se laissa tomber sur un siège et fit signe à ses hôtes de s’asseoir. Son regard erra un moment sur les cartes, où des masses sombres signalaient la progression des armées draconiennes en Ansalonie. Il les repoussa d’un geste impatient.

— Autant abandonner tout de suite ! s’exclama-t-il. On pourrait même envoyer un message aux seigneurs draconiens : « Inutile de prendre la peine de tout détruire. Nous nous débrouillons très bien tout seuls ! »

D’un geste rageur, il sortit le parchemin qu’il avait reçu.

— Voilà les nouvelles de Palanthas. La population a contraint les chevaliers à quitter la ville. Les notables négocient avec les seigneurs draconiens, et la présence de nos troupes compromettrait les accords. Ils refusent de nous aider. Une armée de mille Palanthiens est en train de se tourner les pouces !

— Où se trouve le seigneur Dirk ? demanda Mikael.

— Avec ses chevaliers et mille fantassins réfugiés du Throtyl, il tient la Tour du Grand Prêtre, une forteresse au sud de Palanthas. C’est le seul col qui permette de franchir les Monts Vingaard. Palanthas tiendra donc un certain temps, mais les draconiens finiront par percer… (Il fit une pause.) Dire qu’il suffirait de deux mille hommes pour tenir ce col !

Quels imbéciles ! Et maintenant, pour couronner le tout, les elfes s’en mêlent ! Que penses-tu de ça, prêtre ? demanda-t-il, se tournant vers Elistan.

— Il est écrit sur les disques de Mishakal que le Mal, par nature, finit par se retourner contre lui-même. Il deviendra l’artisan de sa propre défaite.

« J’ignore ce qui sortira de ce Conseil. Les dieux ne m’ont pas éclairé à ce sujet. Peut-être ne savent-ils rien eux-mêmes. Le sort du monde est sur le fil du rasoir, et il dépend de nous. Voilà ce dont je suis sûr : si nous baissons les bras, nous assurons au Mal sa première victoire ! »

Elistan se leva et quitta la tente.

Gunthar garda le silence. Le monde entier lui semblait plongé dans un mutisme pesant. Les nuages étouffaient jusqu’au son clair des trompettes.

— Qu’en penses-tu, Mikael ?

— De quoi ? Des elfes ?

— Ce prêtre…

— Je ne m’attendais pas à un personnage de la sorte, répondit Mikael. Il ressemble plus aux prêtres de l’ancien temps, qui guidaient les chevaliers avant le Cataclysme, qu’aux charlatans qu’on rencontre maintenant. Elistan est un homme qui pourrait prendre part au combat, invoquant Paladine d’une main, une massue dans l’autre. Il porte l’emblème qu’on n’a plus revu depuis que les dieux nous ont abandonnés. Mais est-il un véritable prêtre ? Il en faut plus pour me convaincre.

— Je partage ton avis, répondit Gunthar en se levant. Il va bientôt être l’heure… Reste ici, il peut nous arriver d’autres messages.