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Sur le seuil de la tente, il se retourna.

— C’est étrange, Mikael. Nous avons toujours mis nos espoirs dans les dieux, nous sommes un peuple qui se défie de la magie. Aujourd’hui, nous attendons tout de la magie, et quand se présente une chance de renouer avec la foi, nous nous en défions.

Mikael ne répondit pas. Gunthar hocha la tête et partit vers la clairière de Blanchepierre.

Comme venait de le dire Gunthar, le peuple de Solamnie avait toujours révéré les dieux, la clairière de Blanchepierre ayant été un des hauts lieux de la foi.

Le mystère de la pierre blanche intriguait et fascinait les fidèles. Le Prêtre-Roi d’Istar en personne avait consacré aux dieux et interdit aux hommes le rocher blanc dressé au milieu d’une végétation éternellement luxuriante.

Après le Cataclysme, la clairière de l’éternel printemps était restée un lieu sacré. À en croire la légende, quand la montagne s’était éboulée, la terre s’était ouverte, mais Blanchepierre était restée intacte.

Dès qu’il entra dans la clairière, Gunthar se sentit le cœur plus léger. La brise tiède lui fit du bien.

D’un coup d’œil, il s’assura que tout était prêt. Des fauteuils de bois sculpté avaient été disposés sur l’herbe. Cinq étaient destinés aux membres votants, trois aux « consultants ». Des bancs accueilleraient l’assemblée des témoins exigés par la Loi.

Certains avaient déjà pris place. Les suites de l’Orateur du Qualinesti et du représentant du Silvanesti s’étaient regroupées à l’écart des humains. Les gnomes, qui ne célébraient pas le Jour de la Famine, se tenaient coi.

Gunthar vit arriver Porthios, le fils de l’Orateur, en compagnie d’un groupe de guerriers elfes qui prit place au premier rang. Il se demanda où était passé Elistan, qu’il voulait prier de prendre la parole.

Parmi les participants déjà installés, il découvrit d’étranges figures : un vieux mage au chapeau cabossé, accompagné d’un kender et d’un gnome de la montagne Sasufi, était assis au premier rang.

Les membres consultatifs firent leur entrée. Ils n’étaient que deux : le seigneur Quinath, du Silvanesti, et l’Orateur du Soleil, du Qualinesti. Les cheveux blanchis, le visage hagard, l’Orateur était si voûté qu’on l’aurait pris pour un infirme. Mais il avait gardé l’œil vif et brillant. Gunthar trouvait le seigneur Quinath aussi fier et arrogant que Porthios, l’intelligence en moins. Quant à Porthios, il avait toutes les qualités qu’admiraient les chevaliers, à l’exception d’une seule : la pondération.

Il était temps pour Gunthar de gagner son siège. Mir Kar-Thaon de l’Ergoth du Nord, un homme au teint sombre et aux cheveux gris acier, et le représentant des exilés de Sancrist, Serdin Mar Thasal, avaient déjà pris place dans leurs fauteuils.

Derrière eux, la pierre blanche diffusait son étrange lumière. Sur un signe de Gunthar, deux chevaliers s’approchèrent avec un socle doré et un coffre en bois. Un silence de mort salua l’apparition de l’orbe draconien.

Un des chevaliers posa le coffre sur le socle et l’ouvrit. L’autre sortit l’orbe, qui avait repris sa taille normale.

Un murmure parcourut la foule. Gunthar regarda l’assemblée, puis le Conseil, et nota que les elfes était armés. Ce n’était pas bon signe, mais que pouvait-il y faire ?

Le seigneur Gunthar Uth Wistan adopta un ton solennel et déclara d’une voix forte :

— Que le Conseil de Blanchepierre commence !

Il ne fallut pas deux minutes à Tass pour comprendre la situation. Avant que le seigneur Gunthar ait achevé son message de bienvenue, l’Orateur du Soleil se leva.

— Mon discours sera bref, dit-il d’une voix glaciale. Après que l’orbe nous eut été enlevé, les elfes du Silvanesti, du Qualinesti et du Kaganesti se sont réunis. C’était la première fois que ces communautés se rencontraient depuis les guerres fratricides !

« Nous avons décidé de mettre un terme à nos querelles et de revendiquer la propriété de l’orbe. Il appartient aux elfes et à nulle autre race. Nous sommes ici pour exiger que notre bien nous soit rendu. En retour, nous promettons d’assurer sa protection jusqu’à ce que se présente une occasion de l’utiliser. »

Des murmures parcoururent l’assemblée. Les membres du Conseil hochèrent la tête d’un air consterné. Serrant les poings, le chef à la peau sombre de l’Ergoth du Nord chuchota quelque chose à l’oreille du seigneur Gunthar.

Celui-ci se leva pour répondre. D’un ton calme, avec une politesse exquise, il informa les elfes qu’ils n’étaient pas près de revoir « leur » orbe, et qu’ils ne devaient pas compter dessus avant d’avoir rejoint les Abysses.

L’Orateur comprit parfaitement le message et se leva pour répliquer. Il ne prononça qu’une seule phrase, qui fit lever toute l’assemblée :

— Dans ce cas, seigneur Gunthar, les elfes vous déclarent la guerre !

Les réactions ne se firent pas attendre. Dans le brouhaha, les chefs des diverses délégations eurent du mal à calmer leurs sujets, qui s’invectivaient dans leurs langues respectives. Un semblant d’ordre fut rétabli, mais l’atmosphère était à l’orage. Gunthar reprit la parole. L’Orateur lui répondit, polémiquant de plus belle. Gunthar répliqua encore. Le marin à la peau sombre ne put s’empêcher de faire des remarques cinglantes sur les elfes. Le seigneur du Silvanesti lui cloua le bec avec des sarcasmes.

Des chevaliers s’esquivèrent. Armés jusqu’aux dents, ils revinrent se placer autour de Gunthar. Sous l’impulsion de Porthios, les elfes se massèrent autour de leurs chefs.

Gnosh commençait à comprendre qu’il avait peu de chance de prendre la parole.

Tass scrutait la foule pour tenter de découvrir Elistan. Lui seul pouvait calmer le jeu. Et Laurana ?

Où était-elle passée ? Les elfes avaient froidement dit au kender qu’ils n’avaient aucune nouvelle de ses amis. Je n’aurais jamais dû les quitter, songea Tass. Je ne devrais pas être ici. Pourquoi ce vieux fou de mage m’a-t-il emmené avec lui ? Mais lui, il pourrait peut-être trouver une solution ?

Tass jeta un coup d’œil au vieux magicien, qui dormait à poings fermés.

— Je t’en prie, Fizban, réveille-toi ! Il faut faire quelque chose !

À cet instant, il entendit le seigneur Gunthar répondre à l’Orateur :

— Vous n’avez aucun droit sur l’orbe draconien ! Dame Laurana et ses compagnons nous l’ont remis ! Vous le gardiez de force en Ergoth, et ta propre fille…

— Ne parle pas de ma fille ! cracha l’Orateur d’une voix sépulcrale. Je n’ai plus de fille !

Quelque chose se brisa en Tass. Les souvenirs affluèrent : Laurana se battant contre le reptilien qui gardait l’orbe, Laurana décochant ses flèches sur le dragon blanc, Laurana le soignant si tendrement.

Laurana rejetée par les siens après avoir tant fait pour sauver son peuple…

— Assez ! Silence et écoutez-moi ! s’entendit-il crier à pleins poumons.

À sa grande surprise, il constata que tout le monde s’était arrêté de parler et le regardait.

Face à un public inattendu qui lui en imposait, il ne sut que faire. Après tout, c’est ma faute, songea-t-il, c’est moi qui ai lu ce que disaient les livres au sujet des orbes. Il quitta son banc et se dirigea vers la grande pierre blanche. Du coin de l’œil, il vit les deux factions ennemies se masser autour de lui, et Fizban esquisser une sorte de sourire.

— J-je…, balbutia-t-il, indécis.

Une inspiration le tira d’affaire.

— Je réclame le droit de représenter mon peuple, dit-il fièrement, et de prendre place parmi le conseil consultatif.

Lançant sa queue-de-cheval par-dessus son épaule, il vint se camper devant l’orbe draconien. Levant les yeux vers le sommet de la pierre blanche qui le dominait de toute sa hauteur, il se retourna résolument vers Gunthar et l’Orateur du Soleil.