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Un voyage imprévu.

— Ma tâche est achevée, dit Laurana, à présent, je suis libre de m’en aller.

— Laurana, je comprends pourquoi tu songes à partir, répondit Elistan, mais où veux-tu te rendre ?

— Au Silvanesti. C’est là que je l’ai vu pour la dernière fois.

— En rêve…

— C’était plus qu’un rêve. Il était là-bas, vivant, et je veux le retrouver.

— Je te crois, chère Laurana, mais tu ferais mieux de rester ici. Dans ton rêve, il avait trouvé un orbe draconien. Si c’est le cas, il ira à Sancrist.

Elle ne répondit pas et continua de regarder par la fenêtre du château de Gunthar, dont elle était l’hôte avec Elistan, Flint et Tass.

Mais elle aurait dû être avec les elfes. Avant de quitter Blanchepierre, son père l’avait priée de retourner avec eux en Ergoth du Sud. Laurana avait refusé. Sans l’avouer, elle savait qu’elle ne pourrait plus vivre parmi les siens.

Son père n’avait pas insisté ; il avait lu dans ses pensées. Elle le voyait vieillir à vue d’œil, ce qui la chagrinait d’autant plus qu’elle n’avait pas de bonnes nouvelles à lui annoncer.

Gilthanas n’était pas revenu et Laurana n’osait pas lui dire qu’il était tombé amoureux et avait entrepris un voyage des plus périlleux.

« — Sais-tu seulement où il est ? » demanda l’Orateur.

« — Oui, père, ou plutôt, je sais où il veut aller. »

« — Et tu ne peux pas en parler, pas même à moi, ton père ? »

« — Non, Orateur, je ne le peux pas. Pardonne-moi, mais nous nous sommes promis de ne rien dire à personne de cette entreprise. À personne. »

« – Ainsi, tu n’as pas confiance en moi…»

« – Père, dit-elle en soupirant, tu as failli déclarer la guerre au seul peuple qui puisse nous aider…»

L’Orateur ne répondit pas. Il chercha appui auprès de son fils aîné et s’éloigna. Laurana comprit que, désormais, son père n’avait plus qu’un enfant.

Théros était parti avec les elfes. Après la retentissante irruption de Lancedragon, le Conseil de Blanchepierre avait décidé à l’unanimité de fabriquer des armes semblables et de s’unir pour vaincre les armées draconiennes. Théros avait alors demandé aux elfes de l’aider à fabriquer les lances.

Ils acceptèrent de lui fournir des bras pour forger, non pour se battre.

« — C’est un point dont il faudra discuter », avait décrété l’Orateur.

« — Bien sûr, avait lancé Flint Forgefeu, et tu finiras la discussion avec les draconiens ! »

« — Les elfes sont capables de prendre une décision sans les conseils d’un nain, répliqua sèchement l’Orateur. D’ailleurs, nous ne savons pas si ces lances sont efficaces. »

« — Mais tu as vu ce que Lancedragon a fait de Blanchepierre », plaida Théros.

« — Nous verrons ce qu’elle vaudra contre les dragons », répliqua l’Orateur.

Laurana repensait à cette scène en regardant le paysage hivernal. Bientôt il neigerait dans la vallée.

Si je reste ici, je deviendrai folle, se dit-elle.

— J’ai étudié les cartes de Gunthar, murmura-t-elle à Elistan, et j’ai vu où campaient les troupes draconiennes. Tanis ne pourra jamais arriver jusqu’à Sancrist. Et s’il a avec lui un orbe draconien, il ne se doute pas du danger que cela représente. Je dois le prévenir.

— Tu dis n’importe quoi, répondit doucement Elistan. S’il n’est pas possible pour Tanis de rejoindre Sancrist, comment veux-tu le retrouver ? Sois logique…

— Au diable la logique ! s’emporta la jeune elfe, tapant du pied. J’en ai par-dessus la tête d’être raisonnable ! J’ai fait ce qu’il fallait, et même plus ! Ce que je veux, c’est retrouver Tanis !

Elistan la regarda avec sympathie.

— Pardon, mon ami, dit-elle en soupirant, je sais que tu as raison. Mais je ne peux pas rester ici à ne rien faire !

Laurana avait un autre souci, dont elle ne parlait pas. Kitiara, était-elle avec Tanis, comme dans le rêve ? Elle dut s’avouer que l’image de Kitiara et Tanis enlacés la préoccupait davantage que la vision prophétique de sa propre mort.

Sans s’annoncer, le seigneur Gunthar poussa la porte de la salle.

— Oh ! je suis désolé, dit-il en regardant tour à tour Elistan et Laurana. J’espère que je ne vous dérange pas…

— Non, je t’en prie, entre, répondit Laurana.

— Merci, dit le chevalier en les rejoignant près de la fenêtre. Il faut que je vous parle. Inutile que tout le monde entende.

Encore des intrigues, pensa Laurana. Tout au long du voyage, elle avait sans cesse entendu parler des complots qui minaient la chevalerie.

Scandalisée par la façon dont s’était déroulé le procès de Sturm, elle avait tenu à témoigner en sa faveur devant le tribunal. Bien que la présence d’une femme fût un fait sans précédent, les chevaliers avaient été ébranlés par la superbe avocate qui prenait passionnément la défense de Lumlane.

Les partisans de Dirk n’avaient pas osé la récuser. Les chevaliers n’étaient pas parvenus pour autant à se mettre d’accord sur une décision. Ils avaient demandé un temps de réflexion, et renvoyé l’audience à l’après-midi. Gunthar venait de là. À voir son visage épanoui, les choses s’étaient sans doute bien passées.

— Ont-ils pardonné Sturm ? demanda Laurana.

Gunthar sourit en se frottant les mains.

— Pardonné, non, cela sous-entendrait qu’il est coupable. Il a été innocenté ! J’ai tout fait pour ça. Le pardon ne nous aurait servi à rien. Maintenant, il pourra devenir chevalier. Sa nomination à un poste de commandement sera entérinée officiellement. Voilà Dirk en mauvaise posture !

— Je suis heureuse pour Sturm, dit Laurana en échangeant un regard soucieux avec Elistan.

Élevée dans une cour royale, elle savait fort bien que Lumlane n’était qu’un pion sur un échiquier.

— Dame Laurana, dit Gunthar, je devine ce que tu penses : Sturm n’est qu’une marionnette dont je tire les ficelles. Pardonne ma brutale franchise. Les chevaliers sont divisés ; une partie me soutient, l’autre est pour Dirk. Nous savons l’un et l’autre ce qui arrive quand un arbre se scinde. Il dépérit, puis il meurt. Il faut mettre fin à ces déchirements. Je vous estime et j’ai confiance en vous. Vous connaissez le seigneur Dirk et vous me connaissez. Quel chef choisiriez-vous pour la chevalerie ?

— Toi, bien sûr, dit Elistan.

— Je pense de même, approuva Laurana. J’ai vu à quel point ces querelles nuisent à la chevalerie. Mais je songe d’abord à mon ami Sturm.

— Je suis heureux de t’entendre parler ainsi, car j’ai une grande faveur à te demander. Je voudrais que tu ailles à Palanthas.

— Quoi ! Pourquoi moi ? Je ne comprends pas…

— Laisse-moi t’expliquer. Toi et moi, jeune dame, nous connaissons les intrigues politiques. Je vais te dévoiler mon jeu. Vous irez très officiellement à Palanthas pour enseigner aux chevaliers le maniement des Lancedragons. Quoi de plus normal ? En l’absence de Théros, le nain et toi êtes les seuls à connaître ces armes. Flint est trop petit pour les maîtriser, il faut voir les choses en face. C’est donc toi qui emporteras les lances à Palanthas, en même temps que l’acte officiel de réhabilitation de Sturm, qui lui rendra son honneur. Cela portera un coup fatal aux ambitions de Dirk. Dès l’instant où Sturm endossera une armure complète, tout le monde saura que j’ai le Conseil derrière moi. Il ne me surprendrait pas que le retour de Dirk soit une dure épreuve.

— Pourquoi m’avoir choisie ? demanda Laurana. Je peux apprendre le maniement de la lance au seigneur Mikael, par exemple, qui partira pour Palanthas avec l’acte de réhabilitation…

— Ma dame, tu n’as toujours pas compris, dit Gunthar. Je ne peux faire confiance ni à Mikael ni à aucun des chevaliers. J’ai besoin de quelqu’un qui connaît Dirk et qui prend à cœur les intérêts de Sturm !