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— Les intérêts de Sturm me tiennent plus à cœur que ceux de la chevalerie.

— N’oublie pas, dame Laurana, dit Gunthar en lui baisant la main, que l’intérêt majeur de Sturm est la chevalerie. Qu’adviendrait-il de lui, si elle venait à disparaître ? Quel serait son sort si Dirk prenait le pouvoir ?

Comme Gunthar s’y attendait, Laurana finit par accepter de partir pour Palanthas. Par égard pour Sturm, et de peur de devoir avouer à Tanis qu’elle avait préféré le rejoindre plutôt que d’aider le chevalier, elle s’en tint sa décision.

L’absence de Tanis la tourmentait. Elistan l’avait quittée. Un émissaire des elfes était venu le chercher pour le ramener dans l’Ergoth du Sud. Laurana ne s’était jamais sentie aussi seule de sa vie.

Tass fit ses adieux à Gnosh et au vieux magicien et partit avec Laurana pour Palanthas.

En compagnie du jeune Doug, Elistan arpentait la plage de Sancrist en attendant le bateau qui les ramènerait dans l’Ergoth du Sud. Le prêtre parlait des anciens dieux à son interlocuteur attentif.

Soudain, Elistan reconnut dans le lointain le vieux magicien qu’il avait vu au Conseil de Blanchepierre. Il avait tenté plusieurs fois de le rencontrer, mais Fizban s’était acharné à l’éviter. Marmonnant entre ses dents, le mage marchait vers eux, tête basse. Elistan crut qu’il allait passer sans les voir, mais il releva la tête au moment où ils se croisaient.

— Oh ! qui vois-je ? Ne nous sommes-nous pas déjà aperçus ?

Elistan voulut répondre mais aucun son ne sortit de sa bouche. Se reprenant, il s’éclaircit la gorge.

— Oui, nous nous sommes déjà vus, répondit-il d’une voix enrouée. Bien que cette rencontre soit récente, il me semble te connaître depuis des années.

— Vraiment ? s’étonna le vieil homme, les sourcils froncés. Tu veux sans doute faire allusion à mon âge ?

— Pas du tout ! répliqua Elistan en souriant.

Le visage du mage s’éclaira.

— Eh bien, je te souhaite une excellente journée. Que tout aille bien pour toi ! Bon voyage !

S’aidant d’un bâton noueux, le vieil homme passa son chemin en claudiquant. Quelques pas plus loin, il s’arrêta et se retourna.

— Ah ! pendant que j’y pense… Mon nom est Fizban.

— Je m’en souviendrai, répondit Elistan en s’inclinant.

Le vieux magicien poursuivit son chemin. Étrangement calme et pensif, Elistan reprit ses allées et venues le long du rivage.

8

Le Perechon. Les souvenirs resurgissent.

— C’est de la folie ! protesta Caramon.

— Si nous étions des gens normaux, nous ne serions pas ici, souffla Tanis entre ses dents.

Les deux hommes marchaient à l’ombre des façades d’une ruelle fréquentée principalement par les rats, les ivrognes et les malfrats.

Le port de Flotsam s’accrochait au rivage de la Mer de Sang d’Istar comme un navire échoué sur les rochers. Flotsam abritait la lie de toutes les races de Krynn. Pour corser le tout, la ville était occupée par les draconiens et une théorie de gobelins et de mercenaires de toutes provenances, attirés par des soldes substantielles et le butin du pillage.

« À l’instar de cette racaille », comme Raistlin l’avait fait remarquer, les compagnons y avaient échoué, entraînés par la guerre. Ils espéraient trouver un bateau pour rejoindre Sancrist, au nord de l’Ansalonie.

Raistlin guéri, ils avaient âprement discuté de leur destination. Depuis que le mage avait affronté l’orbe, ils s’inquiétaient de ce qui pourrait arriver.

« — Vous n’avez rien à craindre, leur avait dit Raistlin. Je ne suis pas aussi fou, ni aussi faible que le roi elfe. Je maîtrise l’artefact. Ce n’est pas lui qui a le pouvoir sur moi. »

« — Et alors ? avait demandé Tanis. Sais-tu au moins t’en servir ? »

« — L’effort que j’ai fait pour le dominer m’a coûté toute mon énergie, et il me reste beaucoup à apprendre avant de l’utiliser. Il faut que j’étudie les livres des anciens magiciens. Nous devrons aller à Palanthas, dans la bibliothèque d’un certain Astinus. » Succédant à la neige du matin, la pluie tambourinait sur le toit du chariot. Le ciel était lourd de gros nuages gris. Le demi-elfe était gelé jusqu’à la moelle des os.

« — Tanis, je suis épuisé. J’ai besoin de sommeil. Laisse-moi dormir ! Mais n’oublie pas : Palanthas ! » Tanis avait dû admettre qu’il voulait aller à Sancrist pour des raisons strictement personnelles. Il espérait y retrouver Laurana, Sturm et les autres, et il avait promis d’y amener l’orbe. Mais il fallait considérer l’obstination de Raistlin, buté sur Palanthas.

Leur arrivée à Flotsam avait été un choc. La ville comptait plus de draconiens qu’ils en avaient vus sur leur chemin depuis Balifor. Les rues grouillaient de soldats armés jusqu’aux dents, et particulièrement intéressés par les étrangers.

Ils s’étaient hâtés de prendre des chambres dans la première auberge venue, une bicoque délabrée des faubourgs.

« — Comment diable irons-nous jusqu’au port ? Arriverons-nous seulement à négocier notre passage sur un bateau ? avait dit Caramon en prenant possession de leurs misérables chambres. Que signifie le branle-bas de combat de cette ville ? »

« — L’aubergiste prétend qu’un seigneur draconien est arrivé. Les hommes-reptiles sont à la recherche d’espions, ou quelque chose dans ce goût-là », avait dit Tanis.

« — C’est peut-être nous qu’ils recherchent…», avait lancé Caramon.

« — C’est ridicule ! Cela va devenir une obsession à la fin ! Personne ne peut savoir que nous sommes ici, ni ce que nous transportons. »

« — Je me demande…», avait commencé Rivebise en fixant Raistlin.

« — Je ne vois qu’une seule solution, avait tranché Tanis. Cette nuit, Caramon et moi irons guetter des soldats pour leur prendre leur uniforme. Des mercenaires humains, bien sûr, pas des draconiens. Nous pourrons ainsi nous déplacer plus librement. »

Après une discussion animée, il était apparu que ce plan était le seul valable.

La capuche rabattue sur ses oreilles d’elfe, Tanis déambulait avec Caramon dans les rues obscures de Flotsam. Ils cherchaient deux gardes de leurs tailles, ce qui, pour le guerrier, risquait d’être problématique.

Il fallait faire vite. Les draconiens qu’ils croisaient leur jetaient des regards méfiants.

— Je me demande ce qu’ils mijotent, murmura Tanis, inquiet.

— Peut-être la guerre fait-elle aussi des dégâts chez les seigneurs draconiens, répondit Caramon. Là-bas, Tanis, regarde ! Ceux qui entrent dans la taverne…

— Je vois. C’est à peu près ta taille. Allons nous cacher, et attendons qu’ils ressortent.

Minuit approchait. La pluie avait cessé, mais les nuages continuaient de voiler les lunes jumelles. Malgré leurs lourdes capes, les deux hommes grelottaient. Les rats qui leur filaient entre les jambes mettaient leur patience à l’épreuve. Ils commençaient à désespérer quand ils entendirent des éclats de voix et des rires d’ivrognes.

Les deux officiers sortirent de la taverne en titubant. Leurs armures bleu acier rutilantes laissaient supposer qu’ils venaient de fêter une promotion.

— Prêt ? souffla Caramon.

Tanis acquiesça. Caramon brandit son épée.

— Saleté d’elfe ! rugit-il de sa voix profonde. Je te tiens ! Attends un peu, je vais te traîner chez le Seigneur des Dragons, ordure d’espion !

— Tu ne m’auras pas vivant ! répondit Tanis.

Les officiers s’arrêtèrent pour regarder la rixe.

— Vite ! Aidez-moi à le capturer ! cria Caramon. Sa tête est mise à prix !

Sans hésiter, les soldats dégainèrent leur épée et se précipitèrent sur Tanis.