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— Kitiara…, souffla Laurana mue par le seul désir d’en savoir plus sur la femme humaine que Tanis aimait. Alors, ce noble guerrier était le père de Kitiara ?

Raistlin la dévisagea.

— Oui, c’est ma demi-sœur. Elle a huit ans de plus que Caramon et moi. Elle ressemble beaucoup à son père. Résolue, impétueuse, c’est une guerrière intrépide et forte. Son père lui a enseigné la seule chose qu’il savait : l’art de faire la guerre. Il partait pour des campagnes de plus en plus lointaines, jusqu’au jour où on ne l’a plus revu. Ma mère a convaincu les Questeurs de le déclarer officiellement mort. Elle s’est remariée avec notre père. C’était un homme simple, bûcheron de métier. Une fois encore, son don de voyance ne lui a servi à rien.

— Pourquoi dis-tu cela ?

— D’abord parce qu’il y a eu la naissance de mon frère et la mienne, répondit Raistlin, aussitôt submergé par une quinte de toux. Caramon ! Où en est ma potion ? Tu es en bonne compagnie, alors je ne compte plus ?

— Mais non, Raist, je m’en occupe.

Le mage fixa un moment Laurana, puis il poursuivit son récit comme si de rien n’était :

— Ma mère ne s’est jamais remise de son accouchement. La sage-femme m’avait donné quelques heures à vivre, et je ne serais sûrement pas là s’il n’y avait pas eu Kitiara. Sa première bataille contre la mort, a-t-elle coutume de dire, elle l’a gagnée avec moi. C’est elle qui nous a élevés. Ma mère était incapable de prendre soin de ses enfants et mon père travaillait nuit et jour pour nous nourrir. Il est mort accidentellement quand Caramon et moi avions dix ans. Ma mère est alors retombée dans sa léthargie. (Sa voix s’altéra.) Elle n’en est plus jamais sortie. Elle est morte d’inanition.

— Quel malheur ! murmura Laurana en frissonnant.

Les yeux fixés sur le ciel gris, Raistlin resta un long moment silencieux.

— J’en ai tiré une excellente leçon : il faut apprendre à contrôler le pouvoir pour ne pas se laisser contrôler par lui.

Laurana semblait n’avoir rien entendu. C’était une occasion unique d’apprendre ce qu’elle voulait savoir, mais elle n’osait pas se dévoiler devant un homme qu’elle craignait et dont elle se méfiait. Sa curiosité l’emporta. Elle ne se rendit pas compte qu’elle tombait dans un piège savamment préparé. Car Raistlin adorait s’approprier les secrets les plus intimes des autres.

— Que t’est-il arrivé ensuite ? Kitiara t’a-t-elle…

Elle buta sur le nom de sa rivale et s’efforça de prendre un air naturel.

Non sans intérêt, Raistlin la regarda se débattre avec ses conflits intérieurs.

— Kitiara était déjà partie. Elle a quitté la maison à quinze ans pour gagner sa vie avec son épée. Elle est remarquable, d’après Caramon, et n’a aucun mal à se faire engager comme mercenaire. Oh, elle est souvent revenue nous voir. Quand nous avons été un peu plus grands, elle nous a emmenés avec elle. C’est là que Caramon et moi avons appris à nous battre, lui avec son épée, moi, avec mes tours de magie. Ensuite, elle a rencontré Tanis, et elle a beaucoup voyagé avec nous.

— Avec qui ? Et où ?

— Il y avait Sturm de Lumlane, qui rêvait déjà de chevalerie, le kender, Tanis, Caramon et moi. Nous avons voyagé avec Flint. Les routes devenant dangereuses, il a renoncé. Pendant tout ce temps, nous avons beaucoup appris les uns des autres. Mais nous étions incapables de nous fixer, nous ne tenions pas en place. Tanis a jugé qu’il était temps pour nous de se séparer.

— Et vous avez fait ce qu’il a dit ? Était-il déjà votre chef ?

Elle se rappela comment il était avant de quitter Qualinost, imberbe et sans les sillons qui lui striaient le visage. Tourmenté par le sentiment d’appartenir à deux races, il se montrait déjà morose et renfermé. À l’époque, elle ne l’avait pas compris.

— Il a les qualités considérées comme essentielles pour diriger. L’esprit vif, il est intelligent et imaginatif. Mais pourquoi suit-on Tanis ? Sturm est un noble, membre d’un ordre qui remonte loin dans l’histoire. Pourquoi obéit-il à un bâtard demi-elfe ? Et Rivebise ? Il se méfie de tout ce qui n’est pas humain. Pourtant, Lunedor et lui suivraient Tanis jusqu’aux Abysses. Pourquoi ?

— Je me le suis déjà demandé, répondit Laurana, et je pense…

— Tanis ne fait pas taire ses sentiments. Il ne les nie pas, comme le chevalier, il ne les cache pas, comme le barbare. Tanis a compris qu’un chef doit parfois penser avec son cœur et non avec sa tête. Souviens-t’en.

— Tu ne parles pas de toi ! Si tu es aussi intelligent et puissant que tu le prétends, pourquoi suis-tu Tanis, toi aussi ?

— Je ne suis pas Tanis, répondit le mage en regardant Laurana dans les yeux. Nous empruntons simplement la même route. Au moins pour le moment.

— À Tarsis, les Chevaliers de Solamnie sont considérés comme indésirables, déclara le bourgmestre d’un ton solennel. Ainsi que les elfes, les kenders, les nains, et tous ceux qui les accompagnent. J’ai cru comprendre qu’il y avait également un magicien en costume rouge parmi vous. Vous portez l’armure. Vos lames sont encore maculées de sang et vous êtes prompts à les dégainer. À l’évidence, vous êtes des guerriers chevronnés.

— Des mercenaires, indiscutablement, bourgmestre, fit l’officier.

— Nous ne sommes pas des mercenaires, dit Sturm avec dignité. Nous venons des plaines du nord de l’Abanasinie. Nous avons libéré huit cents personnes de la tutelle du Seigneur des Dragons, Verminaard, à Pax Tharkas. Pour échapper à l’armée draconienne, nous avons caché les réfugiés dans une vallée, au cœur des montagnes, et nous nous sommes rendus dans le sud, espérant trouver les navires de la légendaire cité de Tarsis. Nous ignorions que la ville se trouvait à présent au milieu des terres, sinon nous ne serions pas ici.

— Vous venez du nord ? dit le bourgmestre en fronçant les sourcils. C’est impossible. Personne n’a jamais traversé les montagnes des nains de Thorbardin.

— Si tu connaissais un peu les Chevaliers de Solamnie, tu saurais que nous préférons mourir plutôt que mentir, même à l’ennemi. Nous avons pénétré dans le royaume des nains grâce au Marteau de Kharas, que nous leur avons restitué.

Mal à l’aise, le bourgmestre, jeta un bref coup d’œil au draconien qui se tenait derrière lui.

— Je connais les chevaliers, dit celui-ci d’un ton contraint, par conséquent, je dois croire à ton histoire, bien qu’elle sonne plus comme un conte de fées que…

Les battants de la porte s’étaient ouverts brutalement, livrant passage à deux gardes qui traînaient un prisonnier. Écartant les compagnons debout devant l’estrade, ils jetèrent le captif sur le sol. C’était une femme enveloppée de voiles épais. En un effort qui semblait surhumain, elle se redressa. Le bourgmestre la regarda d’un air consterné. Derrière lui, le draconien la considérait avec intérêt. Empêtrée dans ses jupes et ses voiles, la femme essaya de se relever sans que personne ne vienne à son aide.

Sturm avança vers elle.

L’ignoble traitement réservé à cette malheureuse horrifiait le chevalier. Il jeta un coup d’œil à Tanis, qui, d’un signe, lui enjoignit la prudence, mais le spectacle de la femme luttant pour se redresser brisa ses dernières résistances. Il allait se pencher vers elle quand une hallebarde lui barra le chemin.

— Tue-moi si ça te fait plaisir, dit le chevalier au garde, mais tu ne m’empêcheras pas de prêter mon bras à cette dame.

Le soldat recula d’un pas et consulta du regard le bourgmestre. Dissimulant un bref sourire derrière sa main, celui-ci hocha la tête.

— Ma dame, permets-moi de t’aider, dit Sturm avec une digne courtoisie.