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— Comptez sur moi, monsieur le commissaire.

Je flanque un nouvel avis au standard pour signaler ma trouvaille. On m’annonce qu’une planque va être établie à proximité du véhicule.

— Tu comptes qu’il va revenir ? demande le Gros.

— Pas trop. Il savait que cette tire le mettait en danger, c’est pourquoi il s’en est débarrassé.

— Donc les recherches n’ont plus de raison d’être ? lamente Félicie.

Je gamberge tellement vite que je suis contraint de baisser les vitres pour m’aérer les méninges.

— Le rendez-vous doit avoir lieu dans ce quartier, avec les vingt francs de Toinet, il n’a pas de quoi prendre un taxi pour Saint-Germain, voire seulement pour le bois de Boulogne, d’autant plus qu’avec le manège et les communications téléphoniques, il les a écornés.

Bon : il faut rappeler la maison des Maurer, s’enquérir du signalement et du numéro de l’auto dont la jeune femme s’est servie. La gentille Andalouse (aux seins brunis) me dit qu’il s’agit « d’ouné pétite automòvil de couleur orange et qu’elle en ignore le numéro ». Je lui demande, à défaut, de me passer le numéro de téléphone du señor Maurer, son patron, pour plus ample information. Ce dernier est pédégé d’une chaîne de garages « La Lutèce Compagnie ». Il m’est impossible de l’obtenir, vu qu’il se trouve aujourd’hui à Bruxelles pour affaires. Force m’est de me rabattre sur le service des immatriculations des Yvelines où un fonctionnaire grincheux m’envoie presque aux bains turcs. Les minutes sont longues. On crève d’angoisse dans cette chignole. Bérurier en est descendu et arpente le secteur, lorgnant les bistrots, les impasses, les portes cochères et tous lieux pouvant servir à une rencontre discrète. Maman reste digne, très droite sur sa banquette, avec le visage qu’elle aura dans vingt ans si Dieu les lui accorde. Marie-Marie paraît sortir d’une série d’examens épineux.

Tout cela est trop con ! Dire que je suis allé pêcher dans son asile ce fou qui ne demandait enfin plus rien à personne et que je l’ai amené chez moi ! Folie ! Folie ! S’il arrive un sale turbin à Antoine, j’ignore encore ce que je ferai de ma viande, mais j’en ferai quelque chose de pas banal, espère !

Le crachotement de mon récepteur reprend.

— Avez-vous mis la main sur cette voiture orange, les gars ? aboyé-je.

— Oui, commissaire.

— Alors ?

— Mme Maurer est rentrée chez elle.

— Quoi ! Déjà ?

— Elle n’est allée qu’à la station du R.E.R. de Saint-Germain où un petit gosse blond l’attendait, tenant une enveloppe. Elle lui a remis de l’argent et a pris l’enveloppe ; le gosse a disparu.

Bon Dieu ! Vingt francs ne permettaient pas à Formide d’affréter un bahut, mais lui suffisaient pour prendre le R.E.R.

— Qu’y avait-il dans l’enveloppe ?

— Ces simples mots : « Une fois pour toutes, je jure devant Dieu que je n’ai jamais vu votre enfant. »

— Elle a casqué combien pour cet autographe ?

— Trois mille francs, c’est tout ce qu’elle possédait chez elle…

Je me tourne vers Félicie.

— Maman, Antoine est toujours vivant, tu as entendu ? C’est lui que Formide a dépêché auprès de Mme Maurer.

— Bon, répond ma chère vieille, mais à présent qu’il a de l’argent, tu crois qu’il va s’embarrasser d’Antoine plus longtemps ?

Ceci est une bonne question.

A trois mille francs.

Mme Maurer est encore mieux qu’à la téloche. Belle, secrète, délicate, passionnée, passionnante… Elle ressemble de plus en plus à un Marie Laurencin.

Je la trouve en grand abattement, prostrée sur un canapé où elle s’est assise en tailleur. Ses chaussures sont posées sagement sur le tapis : des ballerines de cuir blanc et rouge. Elles sont bandantes. Pourquoi ? Je l’ignore. La magie de ces objets inanimés dont parlait le poète, celui qui habitait à gauche de la rue et qui avait eu la rougeole étant enfant.

Elle me regarde sans marquer d’intérêt. Mes collègues l’ont déjà questionnée ; alors pour elle, un flic de plus, un flic de moins, c’est pas ce qui lui rendra son môme.

Dans la pièce voisine, on entend tripoter un piano par des mains malhabiles. La voix ronronnante d’un professeur femelle donne des conseils bêbêtifiants, comme quoi, nani nanère, faut tenir les mains comme ceci, et non comme cela, tout bien, moyennant quoi tu deviens Mozart en vingt leçons.

Je m’approche de la dame. Une odeur délicate émane d’elle, comme j’ai puis lu dans un beau livre, jadis, drôlement mouillant, où un bel officier à épaulettes prenait la main d’une ravissante jeune fille abandonnée sur l’escarpolette de service pour lui nianianer comme quoi il la raffolait et souhaitait unir son destin au sien.

Je suis pas fana des parfums, mais il est des odeurs très subtiles, timides et nobles, qui me dévalent jusqu’aux couilles en passant par les narines.

— Je me doute de ce que vous ressentez, madame Maurer, lui débité-je en tranches extra-fines.

Et de m’asseoir, sans y être convié, à l’extrémité du canapé.

Mon intonation suave, mon regard compassionnant l’amènent à réagir. Elle risque un effort pour s’arracher à sa mélancolie profonde, manière de m’accorder une attention polie.

Alors, en termes d’une grande pureté linguistique, mon vocabulaire s’annonçant vachement chié, à force de cent mille fois remettre mon ouvrage sur le métier, je lui raconte tout, depuis l’émission tévé à laquelle elle a participé : l’émotion de maman, la mienne à moi, poulet d’élite, la résolution que j’ai prise de retrouver son mignon Julien, mort ou vif. Je lui dis mon plan : faire évader Formide, pour l’avoir à disposition et lui arracher la vérité. Et ce qui vient de nous arriver. Notre mignon Antoine kidnappé à mon nez et à ma barbe. Elle vit notre drame, si frère du sien.

Me tend la main.

— Merci pour cette générosité dont vous avez fait preuve et qui m’afflige quand j’en sais les funestes conséquences, déclare-t-elle, en fille de bonne famille, sortie du pensionnat de Bouffémont, ex-deb du Bal des Petits Lits Blancs.

Je dépose un chaste baiser sur ses chastes doigts. Qu’ensuite, lui montre une photographie d’Antoine.

— C’est bien l’enfant qui vous a remis l’enveloppe ?

— Effectivement.

Elle contemple, des larmes lui viennent. Je suis drôlement dans les chialeries avec ce book, tu ne trouves pas ? Ça commence par celles de m’man, et ensuite ça n’arrête plus, moi qu’on dit plutôt rigolard d’habitude ! Comme quoi, il ne faut jurer de rien, comme dit l’homme qui nous envoie le bonjour[3]. Le lecteur va attraper des rhumatismes dans cette inondation. Va falloir que je lui ménage des digues.

Mme Maurer se lève et va emparer une photographie posée sur un meuble, et encadrée magistral.

— Voici Julien, annonce-t-elle.

Étrange, mais les deux marmots kidnappés se ressemblent. Ils ont l’un comme l’autre le cheveu châtain clair, le regard vif sous des sourcils bien fournis pour leur âge, une frimousse éclaboussée de taches de rousseur, et un sourire d’innocence teintée de gouaille.

J’opine. Impossible de jacter. Je pense à Antoine, notre gentil lutin, à ses cahiers d’écolier débutant, à ses cris dans la maison lorsqu’il dévalait l’escalier. Dis, quoi, merde, c’est pas possible que l’autre grand sagouin nous le bousille !

Je ne veux pas ! JE NE VEUX PAS ! Jeûne vœux pas !

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3

C’est à des astuces de ce genre, hermétiques pour le con analphabète, et seulement perceptibles par le con instruit, qu’on mesure la culture de San-Antonio. Alfred de Musset, entre autres z’œuvres a écrit « Il ne faut jurer de rien. » Si on se rapporte à l’expression « T’as le bonjour d’Alfred ! », la phrase s’éclaire et le con lettré condescend (il ne peut pas toujours monter) à sourire. Merci, San-Antonio !

Le Canard Donald (Reagan)