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Mon collègue de la phonie annonce, avec un soupçon d’ironie :

— Il s’en sera fallu d’une pincée de secondes, commissaire. Si le gosse ne l’avait houspillé pour qu’il raccroche, on le situait plein cadre. L’appel provient toujours du même central.

— Merci, ronchonné-je.

Et je flanque un coup de poing dans le pare-brise. Lequel résiste mieux que mon poignet. Me voilà avec un début de foulure. Bérurier sort un paquet de cigarettes, fait rarissime chez lui, et s’allume une tige. Il est grave.

— On pourrait aller voir Pinuche, murmure-t-il.

— Ça changerait quoi ?

— Ce vieux nœud a un esprit d’décoction qu’à comparer, Chère Loque Omelette est un bout de bois mort plein de champignons venimeux.

Je hausse les épaules.

— Merci pour le cerveau électronique de la Baderne ! Je t’en fais cadeau…

Sa Majesté, vexée comme s’il s’agissait d’elle, prend les patins du Fossile.

— Cause, mon con, cause bien. Y a plus de juge ôte dans la tronche à César que de poils au cul de Berthe, et c’est pas peu dire biscotte ma grosse, sa chagatte ressemble à la bête du J’ai-vos-dents !

Compassionnel, le Mastard ajoute :

— N’empêche qu’il a pas la frite, le Vioque, ces temps. Ses émeraudes qu’ont remis la gomme. Elles sont grosses comme des balles de tennis, tant et si bien qu’elles le contraindent à s’asseoir à plat ventre.

Il éteint sa cibiche dans le cendrier, en sectionne l’extrémité brûlée et se la fourre dans le clappoir. En deux coups de ratiches il la bouffe. Glaoup ! L’avale !

— J’aime pas fumer, m’explique-t-il, c’est trop lent ; quand j’en vois, la sèche aux lèvres, j’ai l’impression qu’y s’font tarter. Bon, tu comptes faire quoi-ce ?

— Attendre.

— Attendre qui-ce ?

— Je l’ignore. Un nouvel indice. Ma bagnole est devenue une espèce de tour de contrôle. Je ne dois pas la quitter.

Le Mammouth rouscaille.

— Alors, mec, si tu permettras, je vais rendre une visite noctambule à Pinaud. Moi, l’métier de gardien de phare, c’est pas mon sandevoûitche ; puisque tu restes à l’écoute, j’t’appellerai plus tard.

Il largue ma guinde pour gagner la file des bahuts, laquelle s’est considérablement raccourcie depuis tout à l’heure.

C’est la femme de Mathias-le-Rouquin qui répond.

Elle dormait.

Le dit.

Mais son ton le faisait sentir. Elle a mis dans son premier « J’écoute », toute la hargne du monde. Par moments, je me pose la question : comment fait-il, le Rouillé, pour grimper cette commère, lui infliger un moutard par an, réglo ? C’est angoissant comme question lorsqu’on connaît la dadame. Sa frime pas sympa, son corps pas comestible. Il lui fout un oreiller sur la bouille, j’en jurerais. Mais pour le reste ? Il a dû pratiquer une fente dans une chaste chemise de noye, ainsi procédait-on jadis pour procréer sans offenser le Seigneur ! L’offenser, alors qu’Il ne recommande que cela, le gentil bon Dieu : la baise à tout-va, l’embrocation urbi et orbite, à la papa, en levrette, par-dessous la jambe et autres combinaisons fantasques nées du génie humain.

Je lui file la grosse rafale, à la houri, d’entrée, pas la laisser attaquer dans les grincheries nocturnes, mais la contrer sec, en profitant de sa malréveillance.

— Pardon de vous importuner, douce dame, ici, vous vous en doutez fort, San-Antonio, le commissaire paltoquet, sans foi ni loi, négrier ultime d’une civilisation en cours d’assainissement. Santonio, que rien n’arrête : ni la nuit, ni les convenances, ni la paix virginale des foyers primés par Cognacq. San-Antonio, le tyranneau de Bergerac, celui qui toujours fait marcher les autres sans jamais avancer lui-même. Je déverse à vos pieds menus un tombereau d’excuses plus ou moins bien famées et vous supplie de me passer d’urgence le brasero endormi à votre admirable côté, ma jolie.

Bousculée par cet élan oratoire, elle bredouille des choses assez vagues, comme quoi, si je résume bien, je devrais avoir fortement honte et aller me faire sodomiser par d’aimables Hellènes. Je lui promets d’y penser. Elle continue d’interférer en me demandant de quoi il retourne. Je lui explique qu’il y a du nouveau à propos de la Révocation de l’Edit de Nantes et que le bon président Mitterrand, né à Marignane en 1515, souhaiterait qu’on éclaircisse cette affaire pendant la nuit afin qu’elle puisse être publiée dans une édition spéciale de France-Soir. Il voudrait faire rentrer tous les exilés protestants de Suisse afin de créer un afflux de capitaux, comprenez-vous ?

La duégnette grince alors que je suis trop bourré d’esprit pour que ses trompes d’Eustache soient capables de m’héberger dix secondes de mieux et me passe le Rouquemoute.

Mathias, tu le connais : c’est l’hyper-zélé tout azimut. En tant qu’époux, en tant que flic (et en tant qu’hullant) comme disait le cher Marcel Proust en trempant le biscuit. (Des madeleines de préférence. Il aurait trempé des Petits Lu on n’aurait jamais plus causé de lui. Et pourtant, les Petits Lu sont autrement délectables que des madeleines spongieuses, non ?)

Pris entre l’arbre san-antonien et l’écorce marâtrale, mal arraché aux filaments du rêve où son sub jouait relâche (il se voyait sur une plage des Caraïbes avec une gonzesse pour couverture de magazine porno), le malheureux m’assure qu’il écoute. Dans son espace vital, trop exigu pour être vraiment vital, ou pour le moins vivable, ça se met à chougner, à glapir, à crier ; véritable orgue barbaresque où tous les instruments d’un concert de chiares sont rassemblés : hautbois, flûte, contrebasse à cornes, larmes, effroi nocturne, j’ai soif, pipi, caca, dodo ! La pondeuse à haute fréquence est débordée et va border pourtant, de-ci, de-là, cahin-caha.

— Pardon, Rouillé, je sème la merde dans ton terrier de garennes, n’est-ce pas ?

— Ce n’est pas grave, monsieur le commissaire.

A quoi, dame Mathias vocifère dans la région limitrophe que si c’est pas grave, j’ai qu’à venir préparer les biberons réendormeurs, bercer les dégénérés que l’immobilité terrorise, etc.

— Tu vas te lever, Blondinet, foncer à la Grande Taule et déterrer le dossier de l’Affaire Maurer qui remonte à deux piges : rapt d’enfant.

— Je me rappelle parfaitement l’affaire, monsieur le commissaire. Tout ce qui touche aux chers petits innocents, moi vous me connaissez ?

— Oui, Mathias, je te connais, et c’est pourquoi je fais appel à toi.

Le cramé ajoute :

— La maman du petit Julien est passée à la télé il y a…

— Je sais, soupiré-je. Je veux que tu t’attaches à la voiture du kidnappeur. A cette époque, Bruno Formide, le sadique, possédait une vieille Triumph blanche. C’est dans le coffre de ladite qu’on a retrouvé les vêtements du petit ; la trace de ses pneus…

— Oui, oui, je suis au courant.

— J’entends que tu retrouves l’endroit où Formide garait sa bagnole à l’époque. Et si tu pouvais même récupérer le véhicule, ça ne serait pas plus mal. Dès que tu as du neuf, appelle-moi à mon numéro privé.

— J’y vais, monsieur le commissaire.

— Embrasse tes petits pour moi, Mathias, mais après le boulot car ça te prendrait trop de temps.

Je n’ai pas plutôt raccroché qu’on me passe une communication : l’un des chauffeurs de tout à l’heure qui prétend avoir aperçu un homme tenant un enfant par la main, rue Legendre. Ils ont pénétré dans un immeuble, au 18, si bien qu’il n’a pu intervenir. Je lui demande la description du couple ; mon espoir tombe quand il m’avoue qu’il s’agit d’un gros type et d’un petit jeune homme d’une quatorzaine d’années. Les gens sont cons. Tu leur expliques, mais ça ne sert à rien. Personne n’écoute personne. Merci quand même.