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— De ces deux répliques, je conclus une chose, déclare le Doctoral en ôtant posément ses lunettes chattertonnées : c’est que notre gamin a pris l’initiative des opérations. De son propre aveu, le fou s’est rangé à ses directives. Toinet l’aide à se cacher. La chose paraît peut-être irrationnelle, mais je sens que nous sommes sur la voie. D’après ce que j’ai cru comprendre, Formide ne commettrait pas la bêtise de descendre dans un hôtel avec ce gamin. Alors le gosse a eu une idée. Et c’est cette idée que vous devez découvrir. Je m’y appliquerais volontiers sans ce fâcheux retour en force de mes vieilles hémorroïdes qui me retiennent ici, dans la posture que vous voyez.

Baderne-Baderne, très véhément, un poil précieux, reprend après une brève goulée d’oxygène bon marché :

— C’est à vous, c’est-à-dire à Mme ta mère et à toi-même qu’il appartient de déterminer si le gosse connaît quelque maison susceptible de leur servir de refuge.

— Voyons, Pinuche, quelles relations privées pourrait avoir un petit garçon de cet âge ? Il vit chez nous depuis qu’il est bébé.

— Il s’est fait des copains d’école ?

— Sans doute, mais ne les fréquente pas en dehors de la classe. Et si l’un d’eux est venu goûter deux ou trois fois à la maison, c’est parce que c’est un voisin.

— Il prend des cours particuliers avec quelqu’un ?

— Non.

— Il a de la famille ?

— C’est parce qu’il est orphelin que nous avons pu l’adopter.

Dérouté, l’hémorroïdien à tête chenue branle icelle, essuie ses yeux chassieux de cocker malade et réclame du feu pour ranimer son mégot. Il en obtient du Gros, jusqu’alors silencieux.

— J’sens des choses derrière les choses, déclare cet éminent docteur ès andouillettes. J’ai la certifiance que c’vieux furoncle a tiré la bonne manette du Jack Paul, mais ça coince quéqu’part, et les picaillons veut pas tomber. C’est l’histoire d’la forêt qui cache l’arbre, mes enfants.

— Merci, bêle le mégoté. Tu as foi en moi, Alexandre-Benoît, parce que ton instinct te chuchote que je frôle la vérité. Tonio, lui, est trop meurtri par cette navrante histoire pour exercer pleinement ses dons de…

Je l’interromps. Ou plutôt Mme Pinaud l’interrompt.

Elle entre comme le fantôme d’Hamlet qui aurait raté le métro et qui se pointerait à la bourre sur la réplique.

— Cher ami, Mathias est en ligne pour vous.

Je salue mes compagnons d’un geste semi-circulaire, un peu à la Néron, avant de dévaler l’escadrin.

* * *

— J’ai vos renseignements, monsieur le commissaire, jubile le Rouquemoute. Formide remisait sa Triumph au Garage de Lutèce, rue d’Alésia. D’autre part, ce véhicule se trouve à la fourrière de la rue Jean-Vautrin, à Courbevoie, où il rouille gentiment.

— Je te demande un instant, fais-je précipitamment, en ouvrant ma portière pour gerber sur le trottoir.

Ce mal d’estomac empire. Voilà qu’il s’accompagne de nausées furibardes qui me bichent au tu sais quoi ? Dépourvu ! J’ai un océan de vagues aigres à restituer. Toutes les saloperies de mon existence, dirait-on. Tout son pas bon, son pas chouette : vilaines acceptations, idées honteuses, actes fourvoyants… Le pus, la misère, la honte confondus. Et des vins pas francs, des plats rances, des culs sans joie. Je voudrais me dégueuler moi-même. Partir dans un suprême hoquet. Que ce soit cela, mon dernier soupir : un renvoi ! Une totale, une suprême auto-expulsion ! J’en virgule à tout-va, fusées volantes !

Un gardien de la paix (en anglais of the peace), qui regagne son gîte à vélo, me lance : « Ben dis donc, mon pote, elle t’a pas réussi le haricot de mouton d’à midi ! »

Je ne lui réponds pas, trop bien éduqué étant pour jacter la bouche pleine.

Au biniou, Mathias s’inquiète, j’entends sa belle voix rousse (cuivrée) écrier des « Allô ! commissaire ! », bambin qui a lâché la main de papa dans la foule.

Une dernière fusée et je reviens à ce brave rayon laser :

— Te demande pardon, Lampion, je suis malade à crever.

— Vous avez déjà été opéré de l’appendice ?

— Non, j’ai été opéré de la grippe, de la rougeole, de la coqueluche, mais jamais de l’appendice.

— Vous faites peut-être une crise. A moins que ça ne provienne du foie ?

— On vérifiera tout ça à l’autopsie, mon pote. Tu me disais donc Garage de Lutèce, rue d’Alésia ?

Et à travers mes haut-le-cœur, une loupiote rouge s’éclaire. M. Simon Maurer, le père du petit Julien, n’est-il pas le grand P.-D.G. de la chaîne des Garages de Lutèce ? De saisissement, je trouve le moyen d’envoyer une dernière fusée traçante, une que j’avais oubliée.

Bon Dieu, peut-être que ce dingue de Bruno dit vrai, après tout ! Imagine qu’il s’agisse d’une machination contre Maurer ? Suis bien le topo, Nestor. Au moment de ce dernier rapt qu’on lui impute, Formide avait les archers aux noix ; on le recherchait pour le meurtre de deux autres enfants. Supposons qu’au garage de la rue d’Alésia, quelqu’un ait su que la Triumph appartenait à ce monstre ? Le quelqu’un voit là l’occasion de perpétrer un forfait sans trop de risques. Il secoue la tire de Formide, va kidnapper le loupiot des Maurer, puis place les vêtements du gosse dans le coffre. De la sorte, il est assuré que Bruno sera crédité de ce troisième enlèvement. Vengeance ?

J’inscris à la case départ un point d’interrogation tout provisoire.

— Ça ne va toujours pas, commissaire ? s’inquiète Mathias. Puis-je quelque chose pour vous ?

— Non, je te remercie, va te pieuter.

Il hésite, se racle la gorge.

— Si vous n’avez plus besoin de moi, puis-je vous demander un service ?

— Accordé, fils. Si ta panthère rouge téléphone, je lui dirai que t’as du boulot jusqu’à l’aube. Elle est jolie, la môme ?

Il toussote.

— Je sais bien que je commets une folie, monsieur le commissaire. Le démon de la quarantaine… Il s’agit d’une jeune laborantine qui…

— Tâche de ne pas lui faire de mouflets, à elle. Garde ton élevage pour l’exploiter avec ta mégère.

Je raccroche avant ses effusions remercieuses. Fallait bien que ça arrive un jour, non ? Un gars ne peut passer toute sa vie en esclavage.

Des gens tirés des toiles, en pleine noye, ont tous un air de ressemblance, qu’ils soient mâles ou femelles, jeunes ou vieux, pauvres ou riches. C’est la remarque que je me fais en voyant descendre de leur chambre M. et Mme Maurer, les pattounes nues dans des mules de cuir, et brillant de toute leur robe de chambre en soie monogrammée.

Le coup de brosse qu’ils se sont donné à la va-vite, la giclée d’eau de Cologne chasseuse d’effluves nocturnes n’ont pas réussi à faire de ce couple endormi un couple réveillé. Des filaments de plumard les retiennent encore de leurs rets, comme j’ai puis lu chez un auteur qui habitait Neuilly.

Elle, pas besoin de te la repasser au trombinoscope. En ce qui concerne le monsieur, sache qu’il est jeune — peut-être un peu plus que sa bobonne ? — , brun, assez beau, énergique. C’est le genre de zig qui fréquente les instituts de beauté et de culture physique, la forme avant tout, consacre une belle partie de son budget à ses costars, liche un minimum d’alcool, surveille les calories, sait parler aux femmes, ce qui est bien, et aussi aux hommes, ce qui est mieux. Main de fer manucurée, dents blanches, haleine printanière. Il n’y a chez lui, de confection, que son sourire d’homme d’affaires pressé qui, en te recevant, s’excuse déjà de devoir te congédier bientôt[5].

Ses yeux verts lui donnent une expression étrange. Il aurait fait un magnifique play-boy s’il avait l’esprit bananos, mais grâce au ciel, il s’agit là d’un garçon énergique, aimant se collecter avec la vie pour s’imposer.

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5

Je sais bien qu’on ne s’excuse pas, mais qu’on prie quelqu’un de vous excuser, seulement quand t’écris en bon français les lecteurs débandent.

San-A.