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Son épouse esquisse des présentations sommaires. On s’en serre cinq (chacun), comme disait Sein-vin-sang-d’épaule.

Puis Mme Maurer m’abrupte :

— Vous avez du nouveau, monsieur le commissaire ?

— En effet, madame. Notez que j’aurais pu attendre une heure plus décente pour vous le communiquer, mais dans notre métier la promptitude est un gage de succès. Du moins en ai-je fait ma technique personnelle. C’est en bousculant l’événement qu’on parvient à le vider de sa substance.

L’époux m’écoute d’un air indécis, cherchant, en bon homme d’action qu’il est, à me situer plein cadre. La psychologie est un précieux atout. Je lis dans son regard de femme fatale quelque chose qui ressemble à de la surprise. Ma mise, mon style, l’intriguent. « Eh quoi songe-je-suppose-t-il, eh quoi, sont-ce là des manières, des paroles et paraboles policières ! »

— Passons au salon.

Je retrouve l’élégante pièce, très claire, très chic, où flottent des senteurs de roses peu socialistes, j’en gagerais à mes risques et périls.

— Je suppose, monsieur Maurer, que votre femme vous a mis au courant de mon entreprise ?

— En effet, monsieur le commissaire, et je vous exprime ma totale gratitude, en même temps que ma sympathie pour le chagrin qu’elle entraîne dans votre propre maison.

Bouf, le joli langage. Nous faisons (char d’) assaut de bonne grammaire, ce qui est toujours bon, au passage, pour les otites des lettrés venus se faire flageller un brin dans mes santonioculteries. Voilà qui leur repose le cervelet, comme disait également Cinq-vain-sans-deux-pôles (qu’on peut à la rigueur écrire Sain-vint-cent-dope-Eole quand on s’adresse à des érudits pas trop regardants).

Simon Maurer s’est assis contre sa femme et la tient par le cou. Il est vibrant d’amour, ce mec. Et c’est du sérieux. Avec sa frime, son sex-appeal, il pourrait culbuter toutes les nanas super-classe, mais on le devine fanatisé par sa légitime. Réconfortant de voir l’amour posé devant soi, bien évident, solide, inexpugnable.

— Nous vous écoutons, monsieur le commissaire.

— Je viens de découvrir un détail qui a échappé à mes confrères, au moment du rapt.

— Vraiment ?

— Bruno Formide, le sadique, remisait sa Triumph dans l’un des garages de la Lutèce Compagnie que vous dirigez.

Maurer fronce le sourcil.

— C’est important ?

— J’admets qu’il peut s’agir d’un hasard. On en trouve de beaucoup plus surprenants dans ce métier, mais je dois en tenir compte.

— Pourquoi ?

— Parce qu’il pourrait nous aiguiller sur une autre piste. Voyez-vous, monsieur Maurer, je connais parfaitement Formide. C’est un détraqué, certes, mais dont la personnalité demeure performante, si vous me passez l’expression. Il est intelligent. Sadique mais intelligent avec tout ce que ce mot implique de capacités à comprendre et à refuser. Sa hantise, c’est de prouver, lui qui reconnaît avoir mis à mal deux enfants et qui commente ses déviations mieux que ne le ferait un psychiatre, de prouver, dis-je, qu’il n’est pour rien dans la disparition de Julien. Il refuse ce crime, alors qu’il ne modifie absolument pas son propre sort. Pédagogue appliqué, il est avide de vérité, comprenez-vous ? Bien sûr, devant les preuves aussi irréfutables que le relevé de traces de ses pneus derrière chez vous et surtout, les vêtements du petit dans le coffre, je n’ai pas tenu compte de ses protestations, mais elles deviennent si vives qu’à la fin je me suis dit « Qui sait, après tout. » Premier point : il garait chez vous, enfin dans une maison que vous dirigez.

— Je n’ai, vous vous en doutez, aucun contact avec les clients. La chaîne Lutèce comprend neuf établissements dans Paris et la Ceinture, ce qui constitue un parking total d’environ deux mille véhicules…

— Attendez. Supposons qu’un habitué du garage d’Alésia ait repéré Formide ; c’est-à-dire qu’au moment où ce dernier a été recherché pour meurtres, il ait reconnu son client grâce aux photos qui en furent diffusées. L’homme en question vous veut du mal…

Maurer amorce une moue sceptique.

— Je sais, m’empressé-je, on est toujours décontenancé lorsque quelqu’un avance une supposition de ce genre. En bref on sous-entend que vous avez des ennemis. Peu de gens se « sentent des ennemis », il n’empêche que ce genre de situation peut fort bien se pratiquer à sens unique. Certaines personnes nous haïssent sans que nous nous en doutions et pour des raisons qui nous sembleraient futiles parce qu’elles le sont : employé renvoyé ou qui n’a pas accepté une réprimande, jalousie ; vos affaires sont florissantes et votre épouse très jolie, vous-même êtes bel homme, ça suffit parfois pour que d’autres veuillent votre mort. Bref, ce quelqu’un supposé voit dans cette conjoncture la possibilité de vous nuire cruellement et le fait avec un minimum de risques.

Mme Maurer presse le genou de son mari.

— Simon, ce que dit le commissaire est très troublant.

Mais il continue de marquer son incrédulité.

— Le criminel en question serait censé savoir où nous habitons ?

— Ce n’est pas très difficile à découvrir, vous êtes dans l’annuaire.

Un moment s’écoule. Je découvre le tic-tac d’une pendule de luxe posée sur une console (qui me console de rien du tout, ce que notre langue est pauvrette, merde !).

Plus tu es riche, plus tu te coupes du bruit, à croire qu’il est l’agresseur number ouane de notre civilisation chiatique. Tu habites des demeures isolées, tu roules dans des bagnoles insonorisées et même le temps marche avec des patins de feutre.

— Nous devrions boire quelque chose, décrète soudain Maurer. Qu’aimeriez-vous prendre, commissaire ?

— A pareille heure, du café me semblerait indiqué, mais votre personnel dort…

La jeune femme se libère doucement de la tendre étreinte du mari.

— Je suis tout à fait capable de préparer trois expressos, dit-elle avec un pauvre sourire.

Je regarde sortir la ravissante Evelyne, la manière dont son cul bien modelé ondule sous la soie blanche. Bon, pas trop coller ma prunelle sur ses meules, le julot doit être jalmince puisqu’il est amoureux.

Une fois qu’elle a quitté la pièce, Maurer murmure :

— Le moment est venu de vous faire un aveu, commissaire. Il s’agit d’une chose dont je n’ai pas parlé à vos confrères car je craignais de compromettre les chances de récupérer Julien…

— Eh bien ! allez-y, mon cher, il n’est jamais trop tard pour dire la vérité !

Il hoche la tête.

— Probablement allez-vous me sonner les cloches.

— Je ne suis pas ici pour vous faire de la morale, mais pour tenter de dégager la vérité, et aussi de sauver un garnement.

— Le lendemain de la disparition de Julien, j’ai reçu un appel téléphonique à mon bureau.

— Votre ligne n’était pas sur écoute ?

— Celle de la maison, oui, mais pas celle de ma société où il y en a une kyrielle de groupées.

— Alors ?

— Mon correspondant se prétendait le kidnappeur de Julien. Pour preuve, il m’a déclaré que ce bout de chou avait une petite tache de vin sous l’omoplate gauche, ce qui est vrai. Et savez-vous ce qu’il m’a demandé ?

— Ben, du fric.

— Oui, mais de quelle façon ?

— J’attends que vous me l’appreniez, monsieur Maurer.

— Il m’a demandé de combien d’argent je disposais « sur le moment », m’a déclaré qu’il n’était pas un maître chanteur mais qu’il lui fallait un dépannage urgent. J’étais bouleversé dans ces heures si cruelles, si folles. J’ai réuni sept mille francs environ. Le ravisseur m’a déclaré que cela lui suffirait et que je devais immédiatement les descendre et les déposer derrière la porte ouverte de l’immeuble et ensuite remonter dans mon bureau. « Vous avez deux minutes ! » J’ai agi comme il le désirait.