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Un silence plus lourd que le trône du cher empereur Bokassa Dernier, tombe sur notre tête-à-tête.

Je prends l’initiative de le rompre, car je n’ai peur d’aucun fardeau. Je suis le Jean Valjean du mutisme.

— Donc, il s’agirait bel et bien de Formide, fais-je misérablement, car il est impossible que deux personnes différentes usent de la même tactique, fassent preuve d’une pareille témérité et se montrent pareillement désintéressées, compte tenu des sommes qu’elles pourraient exiger.

— Oui, n’est-ce pas, vous voyez bien ? soupire Simon Maurer.

— Le bonhomme ne vous a rien promis en échange de ce… dépannage ?

— Rien, et chose curieuse, je ne lui ai rien demandé, pas même si l’enfant vivait toujours, je retenais mon souffle, comprenez-vous ? Vous devez me comprendre puisque vous traversez une épreuve semblable ?

— Je vous comprends, admets-je. Ce que je comprends moins c’est que vous n’ayez pas tenté de repérer votre correspondant, n’aurait-ce été qu’en chargeant une secrétaire de suivre la personne qui viendrait chercher le pognon derrière la porte de l’immeuble.

— Sur l’instant, il me semblait que tout tenait à un fil, qu’il convenait de ne rien tenter qui puisse indisposer le kidnappeur. Cela dit, j’admets que j’ai agi avec une inconséquence affreuse.

— Et pourquoi avez-vous tu cet épisode capital à la police, monsieur Maurer ?

— A cause de ma femme.

— C’est-à-dire ?

— Lorsque j’ai constaté que rien ne se produisait, ma conviction a été que l’homme avait tué Julien et c’est la vôtre également, n’est-ce pas ? Si après avoir versé une rançon, qu’elle soit forte ou modeste, le kidnappé ne réapparaît pas, c’est qu’il a été supprimé, toutes les annales du crime nous le disent. Evelyne aurait pensé de même, et j’entendais lui laisser coûte que coûte de l’espoir. Si je vous disais qu’elle en a encore ?

— Est-ce une si bonne chose ? demandé-je à brûle ton joli pourpoint brodé, mais déchiré au coude. N’importe les circonstances, la vérité est toujours irremplaçable, monsieur Maurer. Cet espoir fait de votre femme un être qui marche à côté de l’existence ; si elle avait marché dans le malheur, elle en serait sortie car le malheur est plus stable que le doute.

Quelle belle phrase ! Tu devrais la découper et la coller au plafond, au-dessus de ton lit, chérie, pour avoir de la méditance pendant que ton vieux tente de te faire pousser le contre-ut.

Mme Maurer revient, portant un plateau odorant. Sa robe de chambre s’écarte légèrement, découvrant fugitivement un beau plan de cuisse. Son mec se met à saliver aussi fort que moi.

Vraiment, les hommes, on est dégueulasses de ne penser qu’à ça.

De la lumière brille à la fenêtre de ma Félicie lorsque je regagne mon terrier, sur le coup de trois plombes, harassé, la bouche mauvaise, le cœur comme un champignon déshydraté. J’ai mille besoins d’une douche, d’une ou deux heures de pionce et d’un cassegraine revigoreur.

J’ai beau m’annoncer à la furtive, arquant sur la pointe des nougats, t’empêcheras jamais m’man d’apparaître au sommet de l’escadrin sitôt que j’ai refermé la porte.

— Du nouveau ? chuchote-t-elle.

— Machin a encore téléphoné, j’ai entendu Toinet. Ils paraissent avoir fait copain-copain tous les deux. Mon fou déclare que ses fantasmes ont changé d’objet.

J’éteins le vestibule pour la rejoindre sur le palier du premier.

— Marie-Marie est repartie ?

— Non, elle dort… dans la chambre d’Antoine. Elle n’a accepté d’aller s’étendre que depuis une heure environ, c’est une excellente petite, si tendre, si intelligente…

Bon, les arrière-pensées de ma vieille chérie lui radinent au galop malgré la situation pourrie. Elle donnerait sa vie, Félicie, pour que j’épouse la Musaraigne un jour prochain. Ce serait, à ses yeux, un happy end de rêve.

On est là, face à face, dans le silence de la maison, à se regarder sans trop se voir. Alors, je la prends dans mes bras, contre moi, fort. Je donne des baisers sur sa tempe, à travers ses cheveux gris qui sentent l’eau de Cologne.

— Mon amour de mère, lui chuchoté-je, il ne faut pas paniquer, je te jure que je retrouverai le môme et qu’il sera en bon état. Il n’est pas passif, tu comprends, mais boute-en-train. Aux dires de Formide, c’est même lui qui commande l’équipée. Sa forte personnalité fait échec à celle tourmentée du dingue. Machin (tiens, voilà que je me mets à le surnommer ainsi, le Bruno) — est un pauvre bonhomme dominé par des pulsions d’origine sexuelle. Ancien pédagogue, il était troublé par ses élèves, mais sa morale se rebellait ; au lieu de les tripoter, comme le font certains détraqués, il ressentait le besoin de les détruire.

— Quelle horreur ! balbutie ma mère.

— Les hommes ne sont que des hommes pour l’homme, maman.

Je lui refile un ultime bisou et je pénètre dans ma chambre. Mon lit est prêt, si accueillant, si net ! J’arrache mes godasses, jette mon veston sur une chaise pour me laisser choir, bras en croix. Mon mal de bide ne m’a toujours pas quitté. Est-ce que je couverais une vacherie quelconque ? Ça doit bien commencer d’une certaine façon, les trucs graves ? Les salopiades qui finissent par t’emporter, elles s’amènent en feinte innocente : grippe, indigestion, coup de froid. Et puis la déconne s’y met et un jour ça devient sans appel.

Je biberonne quelques verres d’eau. L’eau, toujours l’eau. Notre amie à tous. On ne le sait pas suffisamment. Je me rappelle un vieux toubib poivrot ; il m’exhortait. « Buvez de l’eau, petit : des trombes, quotidiennement, et vous vous porterez bien. » Il ajoutait : « Elle est le seul vrai remède naturel. La thérapeutique-clé. »

« — Et vous, vous n’en buvez jamais ? » je demandais au doc en question.

« — Si, me répondait-il : dans le Ricard… »

« Il ajoutait :

« — De toute manière, pour moi, il est trop tard, j’en suis au stade final : petit foie, grosse rate. »

Il a tout de même vécu dix ans encore avant de cracher ses tripes et tout le bataclan, y compris sa vie de médecin clodo. Je l’aimais bien : il se faisait chier. Un frère, quoi ! C’est en pensant à lui et en essayant d’oublier mon mal de ventre que je sombre. Je plonge dans le sommeil comme les cadavres qu’on immergeait, jadis, à bord des bateaux en les faisant tobogganer sur une planche inclinée. Maintenant on est équipés : on a des chambres froides pour la bidoche.

Avant de m’endormir j’ai mis mon réveil sur six plombes. Pas lourd de temps pour récupérer…

* * *

Je refais surface dans un océan de sueur. Trempé comme un pot-au-feu, l’artiste, avec des frissons partout. La fièvre (en anglais : the fever). J’ai du mal à me remettre à la verticale, tout chavire. Dis : je vais pas m’offrir une maladie de luxe avant d’avoir récupéré Toinet, sans charre ! La douche que je m’octroie n’arrange rien. Je me dis que beaucoup de caoua et d’aspirine me referont peut-être un bout de santé.

Mon mal de ventre s’est installé ; de toute beauté, franc et massif : lancées électriques qui s’irradient (au beurre), fouaillages incessants, chiasse latente. J’ai l’impression que le ciel me fait payer une flopée de trucs en retard. J’aurais préféré qu’il me présentât la note une autre fois ; c’est comme si ton banquier t’annonçait que ton compte a viré au rouge le jour où tu sors lessivé du casino.