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Sans trop penser, en éplorance ! Il compatit. Croit que je claque, s’en formalise. Fraternité ? Possible. L’homme il a des odeurs et des élans, plus quelques larmes et puis du foutre en abondance.

— La Triumph, vous saviez qu’elle appartenait à ce meurtrier d’enfants, monsieur Delco ?

— Hein ? Bien sûr. Ne vous agitez pas, commissaire. On va venir, vous soigner. Laissez, vous n’en pouvez plus…

— Bon, vous avez su, la Triumph… C’est celle du fou. Et alors, vous avez fait quoi, monsieur Visplatiné ?

Quelque part, un klaxon se bloque et son hululement est réverbéré par l’ampleur des locaux. Grand-messe de l’auto ! Te Deum de la divine bagnole. A genoux, tout le monde, le vrai carrosse du Saint-Sacrement passe. Vous voyez sa belle calandre chromée ? Injection directe, haut de gamme pour platanes en balade.

Saint Toto Mobile, priez pour nous ! Sainte Prise de sang, ayez pitié de nous ! Cinq roues, Sainte Vierge, protégez-nous.

Le rougeaud-chauveaud-blousaud-stylaud parle. Sa voix lui sort des yeux, alors je ne peux pas entendre, je comprends que le langage jacté, moi simple bipède assisté. Ne parle pas z’yeux. Tu parles z’œil, toi ? T’as de la chance. Ou t’es aveugle ?

— Vous voulez me redire ça avec la bouche, monsieur Cylindre ?

Il fait un effort. Moi de même.

— Vous avez quoi, dites-vous ?

Sa face remue, il cause du nez, à présent, ce bon gros ducon.

— Parlez doucement, please ! Vous avez quoi ? Demandé des instructions à la direction ? Et c’est quoi, la direction ? Elle est belle ? Beau cul, belles loloches ? Elle se laisse brosser, la direction, Albert ? Tu la fourres en levrette ? A la langoureuse ? Sur du Strauss ? Cosmique, la sensation. Alors, cette direction en minijupe, elle t’a dit quoi, mon gros Loulou ?

Brusquement, un voile s’arrache. Tout se fait précis, tout redevient intact, nature.

Le gros murmure :

— J’ai eu Mlle Courjus, la secrétaire générale.

— Et que vous a-t-elle dit, monsieur Vignette ?

— Qu’elle aviserait la police, de ne pas toucher à la voiture…

— Pourtant, le fou est revenu la chercher sa pompe !

— De nuit, Ahmed, le veilleur, n’était au courant de rien.

— Si la direction avait prévenu la Rousse, on aurait établi une planque à tout hasard dans votre garage, monsieur Parchoc.

Un turlututu d’ambulance retentit.

Marie-Marie se penche sur moi, baise ma bouche enfiévrée.

— Et maintenant, Antoine, tu vas cesser de faire le con. Si tu ne te laisses pas conduire à l’hôpital, je te fous un coup de clé à molette sur la tronche.

Et c’est là que se situe un incident à peine croyable, mais cependant vrai. Bien sûr, tu ne manqueras pas de hausser ta pauvre et chétive épaule, lecteur en manque de foi : Belle occase, n’est-ce pas, de jouer à l’esprit fort, comme Montesquieu avec celui d’Éloi. Seulement, veuille bien prendre conscience du machin ci-dessous, mon bougre : l’incrédulité n’a jamais été une preuve d’intelligence. Pour ma part, je vois dans le scepticisme délibéré une forme aboutie de la sottise ; car refuser le merveilleux, c’est se mettre à la merci du réel ; et quel plus grand asservissement que de se plier sans regimber aux plates exigences de ce qui est concret ? Alors que la vérité ne se trouve que dans l’abstraction. Crois-tu, ô mon pauvre cher lecteur en liquéfaction, que je serais tant et tant de fois monté en ligne au-delà de mes lignes, si je n’avais été habité que par la piètre foi de ce que je vois ? C’est par certitude d’autre chose que j’agis ; certitude engendrée par le besoin. La preuve par besoin est aussi rigoureuse que la preuve par « 9 ». Cher 9, quelle place de choix tu occupes dans notre civilisation ! Les hommes n’en finissent pas de te découvrir et de ciller d’admiration devant toi. Quoi de neuf ? Le « 9 » !

Donc, il m’en arrive une rarissime. Une miraculeuse.

Quelle merveille que le merveilleux ! Je ne m’en rassasierai jamais. Ce préambule étant bien consigné à la place qui lui est due, je te narre. Et pauvre de toi si ne me crois.

Moi, en partance pour l’au-delà semblerait-il. Et, toujours est-il, pour l’hosto, voilà qu’on m’extirpe de ma propre carriole, qu’on me met à l’horizontale, qu’on me soulève, coltine, enfourne dans un véhicule spécialement affecté à des parcours ultra-confortables : goutte-à-goutte, oxygène, réanimateur cardiaque et j’en passe. La voiture blanche quitte le garage toutes sirènes hurlantes.

A travers un liséré de verre normal ménagé dans l’opacité de la vitre, j’aperçois la vie des autres, tohubohutante. Et ton Antonio d’amour, ayant Marie-Marie à son chevet, plus un infirmier qui semble préoccupé par les traites de sa machine à laver, considère ces flashes comme les visions d’une autre vie remontant à l’époque où il était vertical.

On file vite, car faut reconnaître qu’en cette époque sournoise et salement égoïste, l’ambulance et le pompier sont encore prioritaires, en vertu du fait que le glas sonne toujours pour toi.

On roule, comme pierre se gaussant de la mousse. Des rues, des boulevards, des quais, des ponts, des rues…

Quand, soudain : un bruit de freins. Que ne dis-je pas deux bruits de freins. Le plus présent est produit par notre Citroën, le second par une autre bagnole, plus poussive si je m’en réfère à sa plainte de ferraille surmenée. Et puis c’est le méchant « braâhoummmm ! » (Il se peut que j’aie omis un « h » quelque part, car je n’ai pas l’oreille mélomane.) L’ambulance éventrée fait la toupie. Nous tournoyons, en folie folle, emboutissons autre chose à notre tour. La sirène continue de lancer son cri à la con. L’infirmier situé à mon chevet saigne de tous les pores de sa viande. Marie-Marie est vautrée sur moi. Le conducteur de notre calèche a disparu par son pare-brise émietté. On a du verre sécurit partout.

Des gens nous portent aide et assistance. Je suis le premier à organiser les secours depuis l’intérieur, c’est pas de la tarte à la myrtille vu que l’habitacle s’est rétréci de moitié, que les portes sont bloquées et que naninana, une pure chiasse !

Mais tant mal que bien je parviens à m’évacuer par une vitre brisée dont j’achève la démolition à coups de mon poing autour duquel j’ai entortillé le plaid (et bosse) qui me couvrait.

Une fois sur la chaussée, j’aide la Musaraigne à s’arracher, après quoi je prête main extrêmement forte à l’infirmier ensanglanté pour qui ses traites à payer ne revêtent plus le même caractère préoccupant. (Non seulement celles de la machine à laver, mais il y a également celles du piano droit acheté pour sa fille, une connasse surdouée qui eût mieux fait d’apprendre le pipeau, je te demande un peu, au lieu de faire chier toute une H.L.M. avec cette Lettre à Élise qui n’en finit pas.)

A l’avant de l’ambulance, gît le corps de notre conducteur déparebrisé et qui s’est embouti la calebasse contre un lampadaire.

A première vue, ce serait un autobus qui nous aurait percutés et répercutés.

En début de chapitre, je t’annonçais de l’incroyable. Le voici : au cœur de cette minicatastrophe, je me sens instantanément guéri. Mais alors guéri comme un miraculé des Hautes-Pyrénées. Guéri en plein, à bloc. Frais et dispos, neuf !

Un examen postérieur montrera que je souffrais d’un abcès frugolongitudinal du colombéchar plâtreux, et non pas d’une péritonite, comme annoncée par ce médecin légiste qu’il faut bien excuser puisqu’il ne soigne que les morts.

Dans l’impact de l’accident, ledit abcès a éclaté, me soulageant immédiatement. Certes, il pourrait m’infecter toute la région périphéro-antoniaise, mais, heureusement, les antibiotiques qui me furent préalablement administrés m’ont préservé de toutes conséquences funestes autant qu’annexes. En résumé : c’est la miraculade sans bavures.