Il la reboucha et l’emporta dans la salle d’eau où la dame Malipense respirait maladroitement parce que du nez seulement.
Outre un lavabo et un bac à douche, l’appareillage comportait également un bidet. Formide déposa la bonbonne et décida de faire l’emplette d’une toile cirée afin de se protéger des éclaboussures. L’admirable, dans les drogueries, c’est que l’on y trouve de tout. Elles répondent à nos besoins les plus ahurissants, les moins prévisibles. Je tiens le droguiste pour un bienfaiteur de l’humanité en péril. Qu’il me permette de le saluer ici avec émotion et de lui déclarer qu’il mérite la Légion d’honneur, une place assise dans le métro et l’estime de tous… Vive les droguistes, vive la République, vive la France !
Et qu’est-ce que je déconnais d’autre ? Oh ! oui, Formide et sa toile cirée. Il repasse dans le magasin pour en acheter une. Qu’alors son attention est capturée par un certain remue-ménage dans la rue, là devant lui. Et qu’aperçoit-il ? San-Antonio et des gugus en grande effervescence (de térébenthine, vu l’endroit). Alors il bat en retraite et se met à réfléchir. Le téléphone est posé sur un comptoir, près de la caisse. Il le dépose sur le plancher. Puis il regarde autour de lui encore, et encore… Il calcule, il combine, déduit, projette, se marre…
— Escusez-moi si j’vous demande pardon, a dit Béru, mais avant qu’on conférencie, j’ai une course à faire.
En son absence, Pinaud murmure :
— Antoine, avec toute la meilleure volonté du monde, je ne peux plus supporter mon pantalon, non plus que mon slip ; le frottement sur mes malheureuses hémorroïdes est intolérable.
— Pose-les, dis-je, très éloigné de ce genre de préoccupations car il est des moments dans l’existence où la charité chrétienne, tu en fais un paquet-cadeau et tu l’expédies dans des régions sous-développées, charge à elles d’en faire part à leur missionnaire habituel.
Moment très surprenant : emporté par la souffrance et n’écoutant que ses varices bleues des mers du Sud, César suit mon conseil. La patronne du petit bistrot où nous venons de nous abattre, tel un vol de cormorans sur un récif, n’en croit pas son strabisme convergent. Pinuche se dépantalonne, déslipe, mais soucieux d’épargner à son prochain la vue affligeante de ses génitoires grisâtres ainsi que de son bouquet de bleuets, il noue son pantalon autour de son ventre.
— Vous m’excuserez, fait-il, mais je resterai debout. « Voulant rester proscrit, me récité-je, hugolâtre comme tu me sais, car enfin, au XIXe et au XXe qu’y a-t-il eu de notoire en France ? Victor Hugo, Charles de Gaulle et San-Antonio, non ? C’est pas de moi, j’ai lu ça dans l’Express de la semaine dernière, donc ça doit être vrai.
Bérurier revient, lesté d’un monceau de victuailles et la bouche déjà pleine, ce qui représente les portions alimentaires de la partie nord-est de Calcutta.
— Et maintenant, causons ! articule-t-il tant bien que mal en postillonnant du pied de porc.
Ce que nous faisons aussitôt.
— Admettons, attaqué-je, que Pinuche ait vu juste et que Formide se soit terré chez quelqu’un. Si nous cernons le quartier, il s’en apercevra et alors risquera de se laisser aller à une pulsion fatale et de tuer le gosse. Ce qu’il faut, c’est organiser des planques discrètes dans le secteur et attendre qu’il sorte de son terrier pour l’alpaguer. Pas d’objections ?
Mes trois commensaux branlent le chef.
Mathias objecte, après un silence méditatif :
— Supposons qu’il se complaise là où il se trouve ?
— Nous attendrons le temps qu’il faudra.
— Mais si, dans l’immobilisme, ses démons le reprennent ? Je crois que la sédentarité ne lui vaut rien. Jusqu’à présent, les lieux d’asile l’ont poussé à commettre des homicides. La nuit chez la fleuriste, le studio de la putain…
Sa réflexion est à considérer.
Mais que faire ? Mobiliser un maximum de bonshommes et les lancer à l’assaut des immeubles environnants pour qu’ils les investissent ?
Bérurier dévore une oreille de cochon vinaigrette.
— J’vais vous dire ce dont je pense, promet-il après une formidable poussée de la glotte.
Il écluse coup sur coup deux godets de beaujolais frelaté et reprend :
— Vous m’filez un porte-voix. J’circule dans les rues en virgulant un message à ton gonzier comme quoi faut qu’il t’appelle dare-dare, qu’on sait qu’il est laguche, vous mordez la manœuv’ ?
— Et alors ?
— Ce futé te rappellera. Alors tu y espliques comme quoi la partie est perdue pour sa pomme, que l’avoir c’t’une simple question d’heures et qu’si il joue au con av’c le lardon, y aura pas d’arrestation, mais une chouette bastos dans son ciboulot dégénéré, dont j’me charge de lu administrer, moi Bérurier. Puisqu’il a une partie du chou encore valide, y voira où qu’est son intérêt, non ? Entre déguster du plomb et regarder la série des Angéliques à la téloche d’un asile psychique, y a comme une plaisante différence, non ?
Loin de réfuter cette propose, nous l’étudions. Que choisir ? La patience ou l’action directe ? Jouer les chats tapis devant le trou de souris ou bien les bulldogs fonceurs ? Dans l’un ou l’autre cas, le danger reste le même. Seule différera la motivation de Formide. Il peut tuer dans le désœuvrement et tuer dans l’affolement.
— Et si on essayait avant toute chose de repérer sa planque ? rêvassé-je.
— En expédiant un faux employé du gaz d’appartement en appartement ? murmure Mathias. Il en est d’inoccupés à cette heure, il faudra les forcer ?
L’argument est de poids.
Béru file un coup de dent féroce à un malheureux jambonneau qui ne lui a cependant rien fait et profite de ce qu’il a la bouche comble pour déclarer :
— C’est ma combine la mieux.
Et ça me décide.
— Mathias, téléphone à la Grande Taule qu’on m’envoie une tire équipée d’un haut-parleur.
C’est le Rouillé qui pilote. On quadrille le secteur en roulant à une allure de corbillard. J’ai mis l’ampli et je déclame, d’un ton guilleret, pas du tout menaçant :
— Hé ! Bruno ! C’est ton pote : il est indispensable que je te joigne, appelle-moi d’urgence !
Des tronches ahuries s’encadrent dans les fenêtres, des gens sortent sur le pas des portes. Les passants cessent de passer ; les tomobilistes ralentissent, les commerçants ne commercent plus et sortent pour tenter de comprendre le pourquoi du comment du chose : cette bagnole équipée d’une phonie, juste pour héler un pote.
Moi, imperturbable, de continuer mon petit bigntz :
— Écoute, Bruno, tu m’as fait confiance jusqu’à présent, continue. Si je te demande de m’appeler, c’est dans ton intérêt. On sait que tu est là et on veut arranger les choses… Je te parle d’homme à homme, Bruno.
SECOND INTERLUDE
B
Ils annonçaient tout un tas de conneries calamiteuses au Journal Téloché. Toinet les suivait d’un œil distrait, préférant de loin les pubes, dont certaines étaient très réussies.