Выбрать главу

Comme l’a si justement écrit Karl, le cinquième des Marx Brothers, « lorsque le douzième coup de minuit a sonné, n’oublie pas de te croire demain, sinon la veille te semblera remonter à hier ».

Justement, dans le quartier, un clocher diligent égrène les coups fatidiques qui mettent le compteur à zéro.

Une page est donc tournée. De calendrier, certes, mais le résultat est le même. A toi de jouer, superman de tes choses ; graphoman de noces et banquettes. Va, l’aventure t’attend, tontaine et tonton.

Je me dresse sur un coude.

Calme plat. Des ronflements, des soupirs. Ce qu’il y a de plus angoissant chez les dingues, c’est qu’ils sont fous jusque dans le sommeil.

Je me lève. Vais au plumard de Bruno Formide. Une pâle clarté venue d’ailleurs fait briller son regard.

— Je vous attendais, souffle-t-il ; c’est décidé, je vous accompagne.

— Alors, en route. Attends que je fasse gonfler tes couvertures pour qu’on ne s’aperçoive pas d’emblée que ton lit est vide.

On se dirige en direction de la lourde avec, pour tout bagage, une fourchette aux dents croisées.

Comme on y parvient, une forme jaillit d’un plumard et nous bondit contre.

— Pris ! Au commissariat ! glapit l’intervenant.

Il s’agit de Pollux, un ancien gardien de la paix que de trop gros embarras de circulation ont amené là. Son dada, ça reste la loi, à cézig. La grosse marotte constante. Il fait tarter tout le monde comme quoi on traverse le salon en empruntant les clous, ou bien que, dans la cour, on franchit la raie jaune. Il croit que tout le monde passe au rouge, oublie de mettre son clignotant dans les virages et se trimbale avec la vignette de l’année précédente. Service-service. Il fait la circulance, au sortir du réfectoire, brandissant un journal roulé en guise de bâton blanc.

Là, il écume, le balèze.

— Vol avec effraction, annonce-t-il, je vous préviens que vous allez chier du poivre, mes gaillards !

— Moule-nous, Pollux, je lui susurre, on va juste faire pipi.

Mais l’horrible ne se calme pas.

— Insulte à agent, détention d’armes, recel, faux et usage de faux, vous savez ce que ça va vous coûter ?

— A nous non, mais à toi, oui, soupiré-je en le foudroyant d’un taquet au menton.

Ne me reste plus qu’à le coltiner jusqu’à son plumard où il va pouvoir enchaîner du k.-o. au sommeil, sans escale.

La première porte cède.

Nous traversons la vaste pièce de séjour où flottent des relents. La seconde lourde renâcle un brin, mais moi, doué pis que Louis le Seizième pour la serrurerie, je lui explique qu’elle n’est pas de taille à résister ; elle pige, abdique.

Nous voici dans le hall d’entrée du pavillon. Au fond est le logement de l’infirmier-concierge. Une veilleuse bleue répand une lumière que je souhaiterais plus faiblarde, mais il faut faire avec ce qu’on a, non ?

Détail touchant : Formide me tient par le pan de mon pyjama, comme un enfant dans le noir se laisse guider par son père.

La troisième lourde constitue ma dernière épreuve ; ensuite, il faudra que la chance me donne un coup de pouce. Je lui ai adressé une convocation, note bien, mais on ne sait jamais, avec les femelles.

Ouf ! nous voici dehors. La cour est éclairée à journaux, comme dit Béru. S’agit de raser les murs et de prier pour qu’aucun gardien ne soit insomniaque.

Mon plan est prêt. Délicat. Heureusement, une bise que n’importe quel autre grand romancier te qualifierait de « aigre », mais moi, les clichés, merci bien (je ne suis pas japonais), souffle sur l’asile, et sur les environs aussi d’ailleurs.

— Nous n’allons pas vers le portail ? s’étonne à voix basse Formide.

— Pas tout de suite.

Je me dirige vers un chantier dressé contre le pavillon « C », auquel on adjoint une aile.

Un amoncellement de planches y est entreposé. Je prie Bruno de m’attendre et vais procéder à un micmac pas très catholique. Cela consiste à me délester des journaux dont je suis bardé, à les froisser avant de les fourrer sous des tas de bois de charpente et à y mettre le feu, grâce à l’une des deux allumettes que j’ai réussi à piquer à l’un de nos infirmiers, fumeur invétéré, qui se cache dans les coins peinards pour sacrifier à sa funeste manie, bien que ce soit contraire au règlement. La première alouf suffit. Le papelard se met à cramer joyeux. Je bascule sur ce début de foyer un maximum de copeaux ramassés à deux mains sur le sol. Que le vent fasse le reste !

— Allez, amène-toi, enjoins-je à mon pote de cavale.

Nous droppons au portail, lequel est flanqué de deux énormes buis taillés en forme de toupie.

— Cachons-nous derrière les buis ! intimé-je.

Il veut tout ce que j’exige, Formide. Docile comme un moutard, ce tueur d’enfants.

Nous nous accroupissons.

Là-bas, vers le chantier, une lueur se développe. On entend crépiter l’incendie. Du bon bois blanc, tu parles d’un régal pour des flammes. Et cette chère brise nocturne qui attise à tout berzingue, tu voudrais quoi de mieux, toi ?

— On attend quoi ? demande dans un chuchotis le camarade massacreur.

— Les pompiers, mon grand. Quand le feu aura pris de l’ampleur, quelqu’un donnera fatalement l’alerte.

« Or, que fait-on en pareil cas ? Tu veux que je te dise, Bruno ? Le 18 ! Sur son cadran de téléphone pour appeler les pompiers. Attendons-les. Quand ils se pointeront il faudra bien délourder le portail, voire le laisser ouvert ensuite, pour faciliter les allées et venues ».

Et tout s’opère comme prévu. Mes moyens ne me permettent pas d’inventer des gadgets foireux. Ce qui fait notre force, au Fleuve, c’est le rendement. Les prix sont étudiés ; le calibrage, la promotion, tout… Y a que les auteurs qui n’ont pas bien étudié, mais à quoi bon se crever l’oigne à apprendre puisque c’est pour oublier tout de suite après les examens ?

Agitation croissante ! Au feu, au feu ! Pin-pon, pin-pon ! Ping-pong, ping-pong ! Ça se met à remue-ménager, puis à déménager. V’là les guerriers du feu ! Tu veux que je te refile un bon tuyau ? Alors, prends celui qu’ils amènent et déroulent fissa. Comme prévu, le portail reste grand ouvert.

Filons !

On marche peinards jusqu’au coin de la rue suivante, à l’ombre des marronniers en fleur qui sont la cause de tant de superbes allergies. La chignole que j’ai planquée avant mon « internement » est là, non volée, poussiéreuse à souhait. Je récupère les clés fixées par du chatterton à l’intérieur de l’aile arrière droite.

— Une nouvelle lubie des tomobilistes : ils cachent leurs clés à cet endroit, expliqué-je à Formide.

Lui il s’en fout. Sa docilité continue. Depuis qu’on joue la belle, il est pareil à un handicapé moteur, l’apôtre. Sa folie homicide semble avoir cédé à la prostration du débile profond.

J’opère un démarrage sans histoire.

Bye-bye, le Cinoque’s office !

Tu sais que c’est bon de renifler l’air pur de la liberté ?

C’est une gravure ancienne qui nous vient du côté de papa et qui s’intitule « Les Joies de la Famille ». Ça représente donc une famille vachetement bourgeoise du siècle dernier, avec une chiée de personnages bien attifés dans des postures qui feraient marrer une couvée de singes.

T’as la dame maman devant sa tapisserie qui constate une connerie qu’elle a dû faire en pénélopant, à travers son face-à-main. Sa grande fille mutine l’assure que c’est pas grave. Derrière ces deux dames, y a trois pimbêches armées d’éventails qui nous regardent les regarder, comme au zoo les macaques observent les visiteurs. Ça compose la partie gauche de la gravure. A droite, deux bambins, garçon et fille, sont en train de se chuchoter des secrets, du style (je présume) « Va dans le jardin d’hiver, tu me montreras ton frifri et je te laisserai toucher ma zézette savante ». Le papa en guêtres, gilet, redingue, a abaissé son journal pour les considérer avec attendrissement, cependant qu’une petite soubrette friponne à qui il doit palucher la moulasse dans les corridors arrange des fleurs dans un pot. Le tout fait printanier, évoque la famille de ton arrière-grand-mère et t’invite à regretter les temps jadis, qu’on serait morts présentement, bien sûr, si on les avait connus, mais on serait, de ce fait, dispensés des connards, trouducs, saligauds, navrures, faisans, requins, délateurs, merdophages en tout genre qui osent exister en même temps que nous.