Выбрать главу

C’est tout ce que je perçois. Le Ferdinand que j’ai nettement sous-estimé vient de m’octroyer un coup de goumi au bas de la rotonde, qui disperse ma lucidité.

J’ai à peine eu le temps de percevoir le sifflement de sa matraque. Comme je commençais à me retourner, le bâton de réglisse m’est arrivé sur la nuque… Le bath tapis d’Orient se précipite à ma rencontre et nous faisons connaissance brutalement.

Ma communication aussi est coupée. Inutile de vous escrimer sur l’interrupteur, mes agneaux, me voilà en dérangement pour un bout de moment.

Je pense au tennisman borgne qui venait de prendre la balle dans son lampion valide.

Et puis je ne pense plus à rien…

N’ayant pas consulté ma montrouze au moment du coup, je ne puis vous dire combien de temps je me baguenaude au pays du cirage. Ce sont des évaluations durailles à faire lorsqu’on se trouve dans ma situation. Toujours est-il que c’est le mal de bol qui me réveille. Ma tronche ressemble au clocher de Notre-Dame au moment où l’on sonne la Libération de Paname. Je regarde un long moment les motifs tortueux du tapis… Mes idées se rassemblent pour un grand meeting mais sans ordre. Elles sont follement indisciplinées. Je pense à Félicie qui, hier matin, épluchait des oignons dans sa cuisine, au beau costume de Bérurier, au comte de Souvelle et à sa fille qui, j’oubliais de vous le signaler et je m’en excuse, possède un grain de beauté sur la fesse droite. Je pense aussi à la mort de Louis XVI qui a dû ressentir un peu de ce que je ressens… Puis au numéro de téléphone de M. Jean Mineur car les choses importantes de la vie sont toujours celles qui s’imposent à vous dans les cas d’urgence… Enfin le tocsin diminue d’intensité et j’arrive à m’agenouiller sur le tapis. Ma tête pèse une tonne. J’ai le plafard en plomb. Décidément, je l’avais sous-estimé, le Ferdinand. Pour un gnace qui manipule les plumeaux, il ne se défend pas trop mal. Il fait des poids et haltères par correspondance, c’est pas possible autrement. Oh ! ma douleur ! Il n’a pas pleuré le sirop de muscle, le frère ! Je porte la main à ma nuque. C’est tout poisseux. Décidément, il va falloir que je me fasse blinder la tourelle, ou que je ne sorte pas sans un casque à pointe…

J’arrive à me lever… Je déniche la cuisine et je fais couler de l’eau froide sur ma bouille endolorie. Ça ranime. Une bouteille de rhum providentielle achève de me redonner une allure humaine.

Naturlich je fouille toute la strasse sans rencontrer âme qui vive. Je redescends dans le hall afin de téléphoner, mais je m’aperçois qu’on a sectionné le fil du biniou.

Je me traîne hors de la cambuse. Le portail est grand ouvert et le garage jouxtant la demeure est vide. Ces foies-blancs se sont tirés. Je me sens gonflé de rancœur. Entre nous et la baisse des prix, je m’y suis pris comme un manche. Ce qu’il fallait, c’était embarquer la veuve d’autor jusqu’à la Maison Viens Poupoule et, là, lui sortir le grand jeu sur canapé. Je vous parie un séjour à la tour de Londres contre un déjeuner à la Tour d’Argent qu’elle aurait mis les pouces…

Le Vieux va encore me jouer Ramona. Et il n’aura pas tort.

Le bol fourmillant, je rejoins ma base. En catimini je vais m’enfermer dans mon burlingue afin de donner des instructions aux services compétents pour qu’on appréhende la veuve Godemiche et son larbin. A la Préfecture, service des cartes grises, on me confirme que la digne personne possédait bien comme voiture une Chrysler décapotable blanche et je fais diffuser le numéro d’icelle à tout va. Avec un bolide aussi voyant, elle ne saurait aller bien loin.

Ce dispositif mis en place, je décide alors d’opérer une descente à La Petite Sibérie. Je convoque Mathias et l’invite à se joindre à moi. Après quoi je me fais délivrer un ordre de perquisition.

J’avale deux comprimés d’aspirine et je me convoque pour une conférence personnelle placée sous ma haute présidence. A l’unanimité je décide que si je n’ai pas dénoué cette affaire dans les vingt-quatre heures, je pose ma candidature au titre de roi des glands, laissé vacant par la récente démission de Bérurier. Cet ordre du jour est adopté à l’unanimité moins une voix.

Mathias radine en tirant sur la boucle de son imperméable.

— Ça n’a pas l’air d’aller, monsieur le commissaire, observe-t-il.

— Ça ira beaucoup mieux lorsque j’aurai retrouvé certains petits dégourdis de ma connaissance, promets-je.

En cours de route, je rêve à ce qui se passera lorsque Ferdinand me tombera dans les paluches.

CHAPITRE VIII

Comme on se retrouve !

La porte du restaurant est dépourvue de son bec-de-cane lorsque nous débarquons. Je frappe aux carreaux, mais personne ne répond. Aucune lumière ne brille derrière les rideaux de l’isba.

— Le service n’est pas encore commencé, fait Mathias.

Je pénètre sous le porche voisin et je vais solliciter de la concierge de l’immeuble un entretien particulier. La dame en question est en train de friser sa cinquantaine avec un fer qu’elle a mis à chauffer sur la flamme de son réchaud.

Personne accorte, aux formes abondantes et au regard généreux.

— La Petite Sibérie est fermée ? m’enquiers-je.

— Ils vont bientôt rouvrir, promet la cerbère en essayant les mâchoires incandescentes de son fer à friser sur un morceau de journal qui se met dare-dare à fumer.

Elle commente :

— Tous les après-midi, ils ferment une heure ou deux, car ils restent ouverts tard le soir. Ça fait une pause pour le personnel.

— Qui est-ce qui dirige la boîte ?

Elle me bigle, suave, à travers la fumaga et susurre :

— Vous êtes bien curieux.

Je lui montre ma carte.

— C’est de naissance, lui dis-je.

Du coup, elle cesse de minauder.

— Qu’est-ce qui se passe ? demande-t-elle, vorace, d’une voix qui espère des choses.

— Rien pour l’instant… Alors ?

— C’est des nouveaux.

— Qui ?

— Les patrons. Avant, c’est un ancien général russe qui dirigeait la maison. Depuis le mois dernier, c’est deux messieurs qui ont repris.

— Leurs noms ?

— Embroktaviok et Félareluir, le genre Europe centrale, si vous voyez ce que je veux dire…

— Il existe naturellement une entrée annexe à l’établissement ?

— Bien sûr, par la cour… La porte de fer à gauche, mais je vous préviens qu’il y a vraiment personne, j’ai vu partir tout le monde…

— Merci, chère madame. Puis-je vous demander la discrétion la plus absolue ? fais-je, sachant pertinemment qu’elle va propager la nouvelle de ma visite à tous les azimuts.

— C’est comme si vous ne m’aviez rien dit, affirme la coltineuse de poubelles.

Elle prend son fer qu’elle avait déposé sur le réchaud et se happe une mèche… Son émotion est telle qu’elle n’a pas songé à vérifier la chaleur du fer. Une odeur de roussi se répand dans la loge, de la fumée monte, rectiligne, du cigare de la pipelette et sa mèche de tifs lui reste dans la pogne.

— Méfiez-vous, lui dis-je ; pour Yul Brynner, ça a commencé comme ça.

Je me casse tandis qu’elle cavale se plonger l’incendie dans une cuvette de flotte.

— Alors ? demande Mathias.

— Amène-toi.

Je l’entraîne à la petite porte de fer dont au sujet de laquelle m’a causé la concierge. Mon petit sésame naît au bout de mes doigts et se glisse tout seul dans l’orifice de la serrure.

C’est une fermeture de sûreté, mais la sûreté, vous pensez si ça me connaît. En moins de temps qu’il n’en faut au shah de Perse pour assurer sa descendance, j’ai eu raison des réticences opposées par la maison Yale. Nous pénétrons alors dans une immense cuisine où flotte une chaleur d’étuve.