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C’est le genre soumis. Quand on rouscaille, elle se met en veilleuse.

— Venez plutôt voir le défunt, enchaîné-je en la faisant pénétrer dans l’office ; des fois que vous l’auriez déjà vu…

Elle se masque les yeux, mais en écartant les doigts.

— J’ai peur des morts !

— Vous avez tort, la rassuré-je, les types comme lui ne sont dangereux que vivants…

Elle s’incline enfin devant la dépouille mortelle de ma victime.

— Mais, c’est M. Félareluir ! crie-t-elle.

— Quoi ?

— L’un des directeurs du restaurant…

— Merci du renseignement.

Les renforts que je viens de réclamer rappliquent. Je leur confie le soin d’évacuer le macchab et d’intercepter au passage, toute personne qui se présenterait, employés ou autres…

Je passe dans la salle de restaurant et cramponne une bouteille de vodka. Puis je vais m’attabler à la place que j’occupais la veille au soir.

Je cherche à piger.

Félareluir, alias Badarin, dînait dans sa propre boîte, comme l’eût fait un convive normal. Pourquoi donnait-il le change ? Et à qui ? A Alliachev ou à moi ? Il est parti, toujours comme un client ordinaire. Dehors il a fait son numéro avec la gosse Monique et je suis tombé dans le panneau… Donc, c’est pour mes beaux yeux enchanteurs qu’il a joué ce rôle du client.

Bizarre…

Je me téléphone deux verres de vodka et je me sens en pleine carburation. Mes collègues vont et viennent, procédant aux constatations d’usage… C’est la grosse effervescence.

Soudain, comme j’attaque mon troisième glass, un inspecteur de la criminelle vient me tirer de ma méditation.

— Vous avez un instant, monsieur le commissaire ?

— Pourquoi ?

— Nous venons de faire une curieuse découverte à la cave.

— Si vous croyez m’apprendre quelque chose, rigolé-je. C’est même à cause de ce poste émetteur que la fusillade a éclaté.

— Je ne parle pas du poste émetteur, monsieur le commissaire, fait cet enviandé en réprimant un petit sourire supérieur.

— Vous parlez de quoi alors ?

— Du cadavre…

— Quel cadavre ?…

— Venez voir…

Je bondis.

Mes collègues ont ouvert la quatrième porte, celle que j’étais en train de bricoler quand Mathias s’est fait balancer le potage. Avec tous ces événements, je l’avais oubliée.

La quatrième pièce contient des caisses et une malle. Je ne sais pas ce qu’il y a dans les caisses, mais tout ce que je peux vous garantir, c’est que le cadavre de Boris Alliachev repose dans la malle.

CHAPITRE IX

Le jeux des questions

Je dois pousser une frime du plus haut comique si je m’en réfère à celle, épanouie, de mon collègue.

— On vient de trouver ce monsieur, fait-il. Vous le connaissez ?

— Pas plus tard qu’hier nous dînions ensemble, assuré-je.

Ce qui est la vraie vérité du bon Dieu.

— De quoi est-il mort ?

— On ne sait pas encore ; il n’a aucune blessure apparente…

— Si vous le déballiez, on serait plus à son aise pour l’examiner…

Aussitôt demandé, aussitôt servi. Les poulets sortent l’espion de sa boîte et l’étalent sur le carreau.

Je remarque que la peau d’Alliachev est d’une vilaine couleur bronze. Je ne serais pas étonné d’apprendre qu’il a été empoisonné.

— Déloquez-le, je veux en avoir le cœur net ! ordonné-je.

Mes collègues dépoilent le mort et je trouve aisément ce que je cherche. Il a, à la cuisse droite, une piqûre auréolée de vert. Les tauliers de la Petite Sibérie se sont farci le client au poison. C’est une prise de congé propre et silencieuse. Décidément, je commence à y voir plus clair. Pendant qu’on me chambrait, hier soir, on s’occupait de M. Alliachev. Il n’est jamais sorti du restaurant.

Voilà pourquoi il fallait absolument m’embarquer… Il devait rester sur place, lui.

— Vous semblez tout content, remarque mon confrère, un peu déçu.

— Je le suis, dis-je. Ça me fait plus plaisir que si j’avais trouvé une boîte de peinture sans danger dans mon sabot de Noël…

— Que fait-on de ce ouistiti ?

— Direction la morgue. A moins que vous ne vouliez l’empailler pour décorer votre salle à manger…

Il rit un peu jaune, pour la forme. Moi, je refais surface et j’arrive dans les communs à l’instant précis où le personnel radine. Celui-ci se compose de deux cuistots, d’une préposée au vestiaire-téléphone et de trois serveurs, parmi lesquels mon maître d’hôtel qui ressemble à Vincent Tauriol.

— Embarquez-moi tout ce trèpe à la Grande Taule, ordonné-je, on sera plus à l’aise pour bavarder…

Ayant dit, je remonte dans mon bahut pour devancer la clientèle. Les événements vont bon train. Moi j’aime ça. Je ne suis pas un stagnant…

Qui vois-je en poussant la lourde de mon étable ? Je vous le donne en mille… En dix mille ! En autant de mille que vous voudrez ! Vous cloquez votre menteuse au greffier ?

Bérurier !

Le seul, le vrai, l’unique. Le Béru à carreaux, au bitos graisseux, à la barbouze mal fauchée, au regard anémié par le gros rouge ; Bérurier le volumineux, Bérurier le cornard, Bérurier, ce malodorant brave homme qui m’est aussi cher que ma profession.

Il se tient assis, comme en visite, une jambe allongée, l’autre repliée sous son siège, le chapeau sur le ventre, un coude sur son dossier et sa physionomie est barbouillée de confusion.

— Qu’est-ce que tu fous ici ? barris-je. Je te croyais dans le rapide de Marseille…

— J’y suis t’été, articule-t-il avec peine. Mais figure-toi que la garce m’a possédé.

— Elle ne t’a pas balancé par la portière, si ?

— Ecoute, quand j’ai z’eu mon bifton, j’sus grimpé dans le dur et je m’ai mis à sa recherche. A se trouvait dans un compartiment où qu’il n’y avait plus de place. Moi je file dans celui d’à côté et je m’installe… Le train se barre. Je me dis que je vais griller une sèche… Je passe dans le couloir et qu’aspers-je dans le wagon de la gonzesse ? Balpeau… Sa place était vide. Tout de suite je la crois aux gogues et j’attends : nib ! Dix minutes s’écoulent sans que je revoye miss Fille de l’air. Je cavale au fourgon-restaurant, pas de frangine ! Du coup, je prends les vapeurs et je me farcis tout le dur, depuis le fourgon de queue jusqu’au tender : zéro ! Comme si que cette garce s’était déguisée en courant d’air… Alors j’entre dans son compartiment et je demande à ses compagnons de voyage ce qu’elle est devenue.

« Y me disent que, juste au moment où que le train partait, un type est venu lui causer. Paraît qu’elle a cramponné sa valoche dans le filet et qu’elle est descendue comme une qu’aurait oublié de fermer le gaz. »

Le Gros allume une cigarette pour se donner le temps de respirer. Il laisse tomber l’allumette non éteinte sur le pan de sa veste qui se met à grésiller joyeusement. Il conjure le sinistre, gratte les bords noircis du trou pratiqué dans l’étoffe et attaque la péroraison.

— Heureusement, termine le Mastar, que ce rapide-là s’arrêtait à Sens. J’y suis descendu et j’ai pris un autre bolide en sens (il rigole du mot) inverse… Tu mords ?

Un silence gênant (pour lui) plane sur le burlingue comme une menace de guerre. Je foudroie mon subordonné d’un œil terrible. Il tente de m’amadouer par un sourire, se rend compte de la vanité de l’exploit, et baisse sa grosse tête pleine de calembours et de recettes culinaires.