Выбрать главу

Il s’évente la joue avec la feuille de bristol qu’il manipule depuis le début de l’entretien.

— Et voici ce que je possède sur Igor Andréeff, votre maître d’hôtel.

Il me tend la fiche. Je lis :

« Igor Wladimir Stephanovitch Andréeff. Ancien compagnon de Trotski. A habité la France en 1938. A épousé une actrice belge, Eva Dontefervoir, dont il a eu un fils : Jean. Veuf en 1943 (femme tuée dans un bombardement). Départ en Allemagne à cette date. Retour d’Allemagne cette année, en compagnie de Georges Félareluir. »

Je repose la fiche. D’accord, c’est bien gentil, mais ça ne nous avance pas à grand-chose.

Je coule au Vieux un regard en forme de crochet à bottine pour bien lui signifier mon interrogation.

Il sourit finement. J’aimerais lui arracher les yeux et cracher dans les trous dans ces cas-là. Son air supérieur me rend malade.

— Depuis notre précédente conversation, dit-il, je fais prendre des renseignements sur les gens de La Petite Sibérie.

J’attends patiemment la suite.

Le grelottement frileux de son téléphone rompt le charme. Il s’empare du combiné, écoute, fait deux fois oui, dit merci et raccroche. Le sourire qui éclairait son visage s’est accentué.

— Le fils d’Igor Andréeff a été élevé en France, fait-il. Son père lui a fait prendre la nationalité française. Il est actuellement sous les drapeaux, en garnison à Orange.

Je viens de piger ! Chapeau ! C’est quelqu’un, le boss. Ce qu’il y a d’inouï avec sa vieille pomme, c’est qu’il pense toujours avec deux heures d’avance. Il possède le citron le mieux organisé de France et peut-être de Navarre.

Le voilà qui écrit quelques mots sur son bloc. Il déchire le feuillet, le pousse vers moi.

« Jean Dontefervoir-Andréeff. »

— Avec ça, fait-il, vous devez avoir raison des réticences d’Andréeff. J’espère qu’il a la fibre paternelle développée.

Je m’abstiens de dire au Dabe que j’ai horreur d’utiliser ce genre de monnaie d’échange. A mon avis, c’est pas correct. Seulement, dans notre job, les beaux sentiments, il faut s’asseoir dessus, vous le savez bien !

Je redescends, le cœur empli d’amertume, mais certain de tenir un ouvre-boîtes breveté.

Le Gros rumine sa mauvaise humeur en éclusant un kil de vin des Rochers, le velours de l’estomac.

— Je crois que je tiens le truc pour faire parler ton client, assuré-je.

Il ouvre ses lourds stores.

— Qu’est-ce que tu débloques ?

Je lui apprends l’existence du fils d’Andréeff.

— On va faire saigner son cœur de vieux père en lui expliquant que s’il ne parle pas, le Jeannot sera chargé d’une mission dangereuse dans un endroit vachement exposé…

Je m’attendais à une flambée d’allégresse de Béru, mais il a une réaction qui me plaît.

— C’est dégueulasse, dit-il. Va le travailler seul, moi je ne suis pas amateur de ces combines…

Furieux après le Vieux, après ma profession et après moi-même (qui l’a choisie), je prends l’ascenseur pour le sous-sol. C’est en effet au-dessous du niveau de la mer que sont situés nos clapiers à malfrats. Un garde en uniforme qui ligote l’Equipe me salue avec la déférence qui m’est due.

— Où est le client de Bérurier ? lui demandé-je.

— Au 4, fait-il. Dites, m’sieur le commissaire, vous avez vu ce que le Racing a mis comme piquette au G.T.F.P.L.B.N.H.L.M. ?

Il m’ouvre la lourde en rigolant de bonheur. Je m’immobilise. Andréeff est inanimé sur le bat-flanc de sa cellote. Ses lèvres bleues me renseignent : il vient de croquer une dragée de cyanure. Au lieu de lui défoncer le portrait, le Gros aurait été mieux inspiré de le fouiller.

— Il est mort ? bégaie le garde.

— Au point qu’on se demande s’il a jamais vécu, dis-je en palpant le Russe.

Une nouvelle porte vient de se refermer dans notre dos. Et pour l’avoir dans le dossard, croyez-moi, espèces de fin d’espèce, on l’a vraiment dans le dossard.

CHAPITRE XI

Les relations d’Hector

La journée s’achève dans une grisaille confuse. J’en ai lourd comme un train de marchandises sur la patate. Bérurier idem, à qui j’ai passé un savon carabiné pour avoir enchristé Igor sans le fouiller. Et un savon, c’est le cadeau idéal pour le Gros. Lorsqu’il passe plus d’une heure dans le burlingue, j’ai l’impression de m’être installé au Zoo de Vincennes, section des fauves. Le Gros, marri (et mari cocu de surcroît) écluse du gros rouge par larges gorgées silencieuses…

Notre seul espoir ? Le bigophone. Chaque sonnerie nous fait frémir d’espoir. Nous pensons chaque fois qu’il s’agit d’une bonne nouvelle. Tonnerre de Brest, comme on dit à Quimper, tous ces gens en fuite : Mme Godemiche, ses deux larbins, Monique de Souvelle et Embroktaviok ne peuvent s’être évaporés. A un moment ou un autre ils vont bien être dans l’obligation de refaire surface, non ? Un individu, à la rigueur, peut disparaître, mais cinq ! Ça ne se serait jamais vu.

Hélas, nos espoirs sont déçus : la journée se termine sur un appel du révérend Pinaud qui nous signale que les funérailles du comte auront lieu le lendemain dans la matinée. A sa voix, je réalise qu’il a un peu forcé sur le muscadet, histoire d’égayer sa veillée funèbre ; saurais-je lui en faire grief ? Que non point !

— Rien de nouveau à signaler ? lui demandé-je.

— Absolument rien…

— Personne n’est venu voir le défunt ?

— Quelques bouseux des environs, mais Jeannot les connaît tous…

— Qui est Jeannot ?

— Voyons, proteste Pinuche, c’est le brigadier de gendarmerie dont auquel tu as eu affaire ici, souviens-toi-z’en.

Je me z’en souviens et je déduis de cette intimité que mon noble camarade a trouvé le partenaire idéal pour les parties de chopine.

— Vous venez aux obsèques ? demande le cher enrhumé.

— Et comment ! A demain, Trésor, ne prends pas froid, les nuits sont fraîches à la campagne.

— Des clous ? interroge Bérurier en secouant le reliquat de picrate.

— Rien, soupiré-je. Malgré la publicité que lui a consacrée la grande presse du soir, ce pauvre de Souvelle ne fait pas recette…

— Tu crois que sa garce de fille va le laisser mettre en pot sans l’arroser ?

— Ah ! les femmes, tu les connais, non ?

Bérurier s’abîme dans une louche évocation de sa grosse Berthe. Il arrache d’un coup sec un poil de son nez et le dépose sur son buvard aux fins d’examens.

— Oui, soupire-t-il, je les connais… Qu’est-ce qu’on fiche à c’t’heure ?

— On rentre chez soi, dis-je. Y a des jours où ça ne tourne pas rond, c’est astral. Dans ces cas-là, il vaut mieux ne pas insister… Et puis, avec tous ces gnons que j’ai reçus et donnés, toutes ces allées et venues, je suis fourbu.

On s’en serre cinq (chacun) et sans plus tergiverser je rentre at home (comme on dit en Savoie) en pensant fortement à mes pantoufles.

Décidément, j’avais raison de prétendre que c’est astral. J’espérais avoir la paix, et je rencontre le cousin Hector à la cabane. Rien ne va plus. Ce locdu s’est mis sur son trente et un parce que c’est son anniversaire. Il ne voulait pas fêter ça seulâbre, le cher homme. Ses quarante-six carats, il tient à en faire profiter la famille. C’est gentil, ça part d’un bon sentiment. Comme il sait vivre, il a acheté un gâteau d’occasion dans une pâtisserie en faillite. Pas un grand, pour trois, vous pensez… D’autant plus qu’il va falloir s’huiler les clapeuses pour morfaler ça. Il a pas l’air tellement comestible, son gâteau. M’est avis qu’on l’a fabriqué avec des balayures de grange. Félicie, ma brave femme de mère : la bonté même, pousse naturlich des cris d’admiration devant cette mesquinerie pâtissière. Elle cavale acheter des bougies pour planter sur le chef-d’œuvre.