« Je m’ai approché. Il a eu peur et s’est taillé. Moi, curieux de nature, tu me connais ? J’ôte les planches et je regarde au fond du trou, croyant voir miroiter la flotte.
« Nibe ! Je lance un caillou, comme font les gosses. Je m’avise qu’y a pas d’eau… Conclusion, je me dis, le puits est à sec. »
— Bravo !
— Ta gueule… Je repense à ce chat et je veux en avoir le cœur net. Je vais chercher ta lampe dans l’auto… Je découvre alors une forme étendue au fond du trou. J’avais repéré une échelle dans la remise… Et voilà. Te dire ma stupre en reconnaissant le vioque !
— Ta stupre n’a eu d’égale que ma stupeur, fais-je. Rattrapons vite le cercueil avant qu’on ne le mette en terre.
— Tu crois ?
— Réfléchis… Il n’est pas vide… Les porteurs s’en seraient aperçus…
— Très juste, Auguste, fait Béru pour qui la versification n’a pas de secrets.
Il demande, anxieux :
— Pourquoi a-t-on déménagé le corps du vieux ?
— Je me le demande…
— Qu’est-ce qu’on aurait mis à sa place ? Des sacs de terre ?
— C’est possible…
— Et qui donc aurait fait ça ?
— Si tu pouvais me le dire.
Tout en échangeant ces répliques pertinentes, nous retournons au village. Les cloches nous informent que le convoi pas si funèbre que ça a quitté l’église. Effectivement, nous le rejoignons à l’entrée du cimetière.
Je le double, bien que ça ne se fasse pas, et je place ma guinde en travers du chemin. Le prêtre s’arrête de psalmodier et me considère avec inquiétude. C’est un beau vieillard à lunettes qui me prend pour un profanateur. S’il savait ce qui va se passer, il serait plus inquiet encore.
— Stop ! crie Béru.
Jamais les bouseux du cru n’ont eu droit à pareil spectacle. Ils s’immobilisent, sidérés.
Je m’approche.
— Je suis commissaire de police, annoncé-je.
Ma voix claironnante a de curieuses inflexions dans l’air mouillé de la campagne. On entend des chuchotements, des toux discrètes…
Pinaud, qui suivait en queue de peloton avec le brigadier, s’approche.
— Ce qui se passe, Antoine ?
— Occupe-toi du service d’ordre avec le brigadier. Dis au maire de venir ici…
Il obéit, plus ahuri que les autres.
— On s’y prend comment ? s’informe Bérurier-le-noble.
— Va chercher un tournevis dans ma voiture…
— Comment ! s’épouvante-t-il, tu veux l’ouvrir sur place ?
— Tu ne penses pas que je vais emmener ce cercueil à la maison comme une pochette surprise pour me faire languir !
— Mais…
— Je veux bien mourir de n’importe quoi, sauf de curiosité, ajouté-je.
Trois minutes plus tard, je suis aux prises avec les vis du cercueil. Mes collaborateurs calment l’assistance et, tout en œuvrant, j’affranchis le maire et le curé au sujet de la macabre et stupéfiante découverte de Bérurier…
La dernière vis cède. Je compte jusqu’à trois, je respire un grand coup et je soulève le couvercle de la bière.
Il se fait en moi un grand silence, un grand vide, un grand froid.
Ma gorge et mes tripes se nouent.
Je me sens pâlir.
Je me sens trembler.
Car il y a quelqu’un dans le pardessus en sapin.
Et ce quelqu’un n’est autre que…
Oh ! mais non. Rien que pour vous embêter, je ne vais vous le dire qu’au chapitre suivant.
CHAPITRE XIV
De l’enterrement considéré comme un sport violent
Le quelqu’un en question est mort, vous l’avez deviné, j’espère, à moins que vous ne soyez tout à fait gâteux[2]. Ce mort est une femme.
Cette femme, c’est Monique de Souvelle.
Avouez que ça vous en bouche une drôle de surface portante !
Elle a au cou la cordelette qui a servi à l’étrangler. Ses yeux mi-clos expriment encore une indicible épouvante.
Je remarque qu’elle porte au visage des traces de coups. On l’a sérieusement tabassée avant de lui serrer le kiki. Son nez est brisé, une de ses oreilles arrachée, il lui manque des touffes de cheveux sur le dessus de la tête et de vilaines plaques violacées marquent sa peau. Elle aurait eu des mots avec une couvée de tigres affamés qu’elle ne serait pas en plus piteux état…
— Tu connais ? me demande Bérurier…
Je n’ai pas le temps de lui répondre. Le maire qui s’est penché sur le cercueil lamente : « Mademoiselle de Souvelle. »
La nouvelle court dans l’assistance…
— Le médecin du village est-il ici ? demandé-je.
Un petit jeune homme s’avance, l’air effarouché.
Je lui désigne le corps.
— Pouvez-vous me dire à quand remonte le décès de cette fille, docteur ?…
Pendant qu’il examine le corps, je prends Pinaud à part.
— Voilà où conduit ton inconscience, crème d’idiot, lui fais-je. Je te charge de veiller un mort, mais tu préfères aller te soûler en compagnie d’un gendarme ! Et pendant que tu dégustes la blanquette de veau de sa mégère, des gens sont venus déménager le corps du comte ; ils ont buté la fille et l’ont collée à sa place dans le cercueil.
Pinuche a des larmes de honte plein son visage blafard.
— Je te préviens, Baderne, si cette enquête foire, tu pourras demander ta retraite !
Je reviens au docteur…
— Vos conclusions ?
Il n’ose pas trop se mouiller. C’est un jeunot, timide, qui finit de s’instruire.
— Douze heures environ, sous toutes réserves, murmure-t-il. La rigidité cadavérique s’exerce toujours… Il faudrait une autopsie pour…
— Elle aura lieu, mais il m’était utile de savoir…
Je monte sur le talus afin de pouvoir haranguer la foule. Dans le fond, c’est une aubaine d’avoir le village réuni. Ça évite les investigations particulières.
— Mesdames, messieurs, fait le vaillant San-Antonio, l’homme qui remplace le beurre et les paratonnerres à moustaches, dans la soirée d’hier, des gens étrangers au pays sont allés au château. De toute évidence, ils étaient en voiture. Voici la mienne ; excepté elle, en avez-vous aperçu une autre cette nuit, dans les parages ?
Les Courisurldiciens s’entre-regardent. Personne n’ose débloquer… On se surveille. On se méfie de la police… Je pige que ces bonnes gens vont y mettre une sourdine. S’ils savent quelque chose, il faudra les forceps pour les accoucher ; ça prendra du temps. Or, c’est le temps qui me manque le plus.
Je m’approche du curé et du maire.
— Messieurs, leur dis-je, pour que ce crime abominable soit puni, il est indispensable que ces gens parlent. Dans un petit pays comme celui-ci, le passage d’une auto est encore un événement… Pouvez-vous m’aider ?
C’est le curé qui se décide. Il chausse ses lunettes et toise toutes ses ouailles avec attention.
Son panoramique s’arrête sur une grande femme rousse figée au premier rang d’orchestre.
— Marie Tournelle, dit-il, votre maison est juste à l’entrée du chemin menant au château, vous avez certainement entendu quelque chose.
La rouquine continue de flamber sans broncher. Alors le brave prêtre se met en rogne.
Depuis le temps qu’il pratique ses paroissiens, il a appris à les connaître.
— Marie Tournelle, qu’il reprend, le bon vicaire, la justice de votre pays fait appel à vous pour démasquer le coupable d’un crime odieux. Vous taire est un péché très grave dont il ne suffira pas de vous confesser pour en diminuer les conséquences…