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Pris en flagrant délit, il a perdu ses moyens, le cousin.

Pinaud prend le bouchon-cage et examine la mouche à travers la grille.

— C’est bien fait, approuve mon collègue. Faut de la patience pour réussir ça.

Hector avale sa pauvre salive.

— Qu’est-ce que… qu’est-ce que tu viens faire ici ?

— La maison Bouglione qui m’envoie. Il leur manque un dompteur ; le leur s’est fait décapiter par un lion de l’Atlas. Une imprudence : il s’était mis de la brillantine avant de coller sa pipe dans le râtelier du fauve… Je suis sûr que ton numéro de mouches ferait de l’effet. Si un jour tu veux renouveler ta ménagerie, préviens-moi : j’ai un ami à l’U.M.D.P.

Il se drape dans sa dignité.

— Je t’en prie. Tes sarcasmes ne m’atteignent pas ! Que veux-tu ?

— Hier, j’ai fait une omission. J’ai oublié de te demander l’adresse du garage où tu me dis avoir rencontré Monique de Souvelle.

— Que cherches-tu à faire ? s’inquiète l’homonocule.

— Je t’écrirai mes projets, tu les recevras demain matin par pneumatique. J’attends le renseignement.

Mais il fait des giries, Hector. Il veut reprendre de l’autorité.

— Je n’ai pas envie de causer des ennuis à cette jeune fille. Sa vie n’est certes pas exemplaire, il n’empêche que je n’ai pas à m’en mêler…

— Des ennuis, fais-je doucement, ni toi ni personne ne peut plus lui en causer. Elle est morte.

— Que dis-tu ?

— Etranglée. Et étranglée par un type qui roulait dans une bagnole américaine. Alors tu piges mes intentions, cousin ?

— C’est pas vrai ? bée Hector.

Bérurier intervient.

— Tout ce qui y a de plus véridique, renchérit le Chéri. Même que c’est moi qu’ai découvert le poteau rose.

Un peu confus, il ajoute en me mendiant du regard :

— En somme, hmmm ?

Hector fait craquer ses jointures.

Il s’empare d’un crayon à la mine bien affûtée et se met à nous dessiner un plan de Paris et de sa banlieue pour nous montrer l’emplacement du garage.

J’empoche la feuille et je lui mets une affectueuse bourrade qui lui dévisse l’omoplate.

— T’es un cousin germain, lui dis-je. Pour te récompenser, je demanderai à la Commère de t’envoyer du miel pour ta mouche.

Nous le quittons sur cette excellente repartie (que tous mes lecteurs ne comprendront pas hélas, mais qui, néanmoins, comme disait nostalgiquement Cléopâtre, signifie quelque chose).

Le pompiste en combinaison bleue vient à nous.

— Qu’est-ce que je vous mets ? demande-t-il.

— De super, fais-je.

Béru me désigne la coquille Saint-Jacques qui orne la casquette du préposé.

— Il aurait été boxeur que ça ne m’étonnerait pas, fait-il.

Tandis que le transvaseur d’huile noire branche son pipe-line, je m’approche du box vitré derrière lequel un monsieur en blouse blanche lit un roman espagnol intitulé « Mercedes a une injection directe ».

Je me fais connaître. Il est prêt à m’aider, je le comprends à son regard aimable qui luit derrière des verres épais comme des hublots de bathyscaphe.

— Combien garez-vous de voitures américaines ? questionné-je.

L’homme prend une expression inspirée.

— Cinq, fait-il au bout de son calcul mental.

— J’aimerais avoir l’identité de leurs propriétaires…

— Facile…

Il sort d’un tiroir un grand registre noir aux feuillets brisés. Et il parcourt les pages en se salivant l’index.

— Le docteur Bubon, boulevard Saint-Marcel ; Eugène Auvère, l’acteur, boulevard de Port-Royal ; Constant Tinople, l’armurier de la rue Stine ; Tatonbou-Kipu, un prince nègre qui habite l’Hôtel du Cap-Nord, et Stéphan Simonet, rue des Frères-Zonêtes.

Je réfléchis.

— Ces cinq voitures ont-elles passé la nuit ici ?

En guise de réponse, il appuie sur un timbre. Je vois surgir un Arabe aux yeux papillotants.

— Mohamed, fait l’homme à la blouse blanche. Toutes nos bagnoles amerlocks ont dormi ici cette nuit ?

Le veilleur de notche secoue la tête :

— Pas celle du docteur…

— Pff, lamente le garagiste, il la rentre presque jamais. Si : le dimanche quand les autres sortent la leur. Le reste du temps, elle dort devant chez lui…

— Et puis ? coupé-je…

L’Arabe me sourit.

— Pas non plus celle de M. Simonet.

— Quand l’a-t-il prise ?

— Ça fait deux jours qu’il n’est pas rentré…

Le veilleur ajoute :

— Il part souvent en voyage…

Je me gratte la tempe, ce qui peut sembler un détail superflu, mais je tiens à ne rien vous cacher.

— Autre chose, parmi les trois voitures en question, y en a-t-il qui sont rentrées très tard dans la nuit ?

Mohamed fait la moue.

— Y a l’armurier, fait-il. C’était presque quatre heures…

Voilà qui m’intéresse.

— Ah oui ?

— Oui. Il mariait sa fille. Ils étaient toute une bande vachement partis, m’sieur… La bagnole est encore pleine de rubans de papiers et de fleurs…

Je fais la grimace.

— O.K., merci…

J’allonge un pourliche au veilleur et je laisse le monsieur miraud se replonger dans les aventures de Mercedes, laquelle se nomme Troissanhessel de son nom de famille.

Dehors, le Gros est aux prises avec le pompiste. Il prétend lui faire emplir son briquet. L’autre s’y refuse, alléguant que sa pompe est automatique et qu’il ne peut doser la pression de son doigt sur le déclencheur.

Je mets fin au conflit en embarquant le Mahousse dans ma chignole.

— Des indices ? s’informe le Révérend.

— A voir, dis-je.

— Où qu’on va ? s’inquiète Bérurier ; je vous préviens que j’ai la dent !

— Tu te rempliras plus tard, Gros. Maintenant nous devons foncer dans le brouillard. Quand le vin est tiré, il faut le boire.

— Parle pas de vin, supplie-t-il, tu me donnes soif.

Je décide de rendre visite au dénommé Stéphan Simonet. La rue des Frères-Zonêtes[4] est toute proche. Et puis ce zouave qui n’a pas remisé sa tire depuis deux jours m’intéresse d’instinct.

J’ai le nez creux.

CHAPITRE XVI

La vie n’est qu’un commencement

La rue des Frères-Zonêtes commence au boulevard dont nous parlions l’autre jour, pour se terminer à l’avenue que vous empruntez lorsque vous êtes gênés pour vos échéances.

C’est une voie étroite et discrète où il est interdit de stationner. On entend vagir la télé et tricoter les concierges.

Le calme un peu lénifiant n’est troublé que par les cris des enfants et les soupirs de ceux qui sont en train d’en faire.

L’immeuble habité par le sieur Simonet est une petite construction de deux étages superposés dans le sens de la hauteur. On dirait un ancien immeuble particulier divisé en appartements : un par étage.

Pas de concierge, mais, dans le couloir, le blaze des locataires sur des plaques de cuivre. Entre le mur et l’une de ces plaques, une carte de visite portant le nom de Simonet. M’est avis que le monsieur en question est en sous-loc chez un miroton nommé Scarlatinovitch.

La vaillante équipe Cognedur gravit un large escalier de bois, pourvu d’un tapis rouge usé dans le milieu des marches.

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4

Les frères Zonêtes : Opticiens français ; inventeurs du foyer convexe, du foyer qu’on ne vexe pas, du prisme à la qualité, de lentille farcie et de la monture à guidon télescopique.